A l’approche de la date du premier mai et de la manifestation
populaire prévue à cet effet à l’appel de l’UGTT, des voix se sont élevées et,
parfois, des communiqués officiels ont été publiés pour nous dire que le
premier mai ne serait pas seulement la fête du travail, mais celle de
« tous les Tunisiens » ou encore la « fête de l’unité
nationale ». L’intention de ce type d’attitude peut paraître louable, à
première vue. En effet, quel citoyen raisonnable ne serait pas sensible à cet
appel à l’unité nationale, en ces temps de turbulences où les différents
acteurs politiques semblent loin d’atteindre le consensus et/ou le compromis
nécessaires à cette deuxième phase de la transition démocratique ?
Mais pourquoi cet appel est-il lancé en ce moment précis et à
l’occasion de la marche des travailleurs ? Pourquoi Ennahdha, qui n’a
cessé d’attaquer l’UGTT depuis l’épisode de la grève des agents de la
municipalité, se convertit-elle soudain aux vertus de la solidarité nationale
et cherche-t-elle à voir dans la fête du travail la « fête de tous les
Tunisiens » ? Ces interrogations sont légitimes d’autant plus que de
l’autre côté de la méditerranée, quelqu’un s’est proposé de fêter, ce même
jour, le « vrai travail » ! Car il y a sans doute un point
commun entre la démarche du parti au pouvoir, ici, et du candidat sortant pour
la présidentielle, là-bas, cherchant à donner au 1er mai un autre
sens que celui qu’on lui donne dans la plupart des pays du monde depuis plus
d’un siècle.
Ce point commun consiste à chercher à brouiller le sens profond du 1er
mai, à essayer de le dévoyer et, pourquoi pas, de se le réapproprier. Car ici
et là-bas, cette fête gène. Ici et là-bas, ce sont les syndicats qui la célèbrent
et l’organisent. Ici et là-bas, elle rassemble les ouvriers et, plus largement,
les salariés, ceux qui vivent du fruit de leur travail. Ici et là-bas, elle
cultive la mémoire des luttes de générations de travailleurs pour plus de droits,
de dignité et de justice sociale. Bref, ici et là-bas, elle rassemble le peuple
de gauche !
C’est justement là que réside apparemment son grand défaut. Aussi bien
pour Sarkozy, qui voit le calendrier offrir à ses adversaires l’occasion idéale
de défiler pour leurs valeurs et, accessoirement, contre lui, que pour
Ennahdha, qui ne voit pas d’un bon œil la réapparition au premier plan de la
question sociale alors qu’elle pensait avoir réussi à imposer la grille de
lecture et le clivage identitaires.
La révolution a été portée par des revendications économiques et
sociales. C’est l’occasion où jamais de nous en rappeler, et de le rappeler à
nos gouvernants et à toute notre classe politique. Et, à tous ceux qui
cherchent à noyer le poisson en éclipsant la question sociale, nous disons que,
ne leur en déplaise, le 1er mai est bien la fête du travail et des
travailleurs, de leurs luttes passées et présentes, des droits conquis et à
conquérir. S’ils veulent s’y associer, ils sont bien sûr les bienvenus à condition,
toutefois, de ne pas chercher à dévoyer son sens ni à la récupérer.
Bonne fête à tous les travailleurs et que l’avenir soit meilleur !
Baccar Gherib