Cet article est né d’une conviction forte qui anime ses auteurs que le combat en faveur de la démocratie dans notre pays passe nécessairement par une rupture inévitable avec des conservatismes et avec une certaine forme de rigidité de l’esprit présente chez beaucoup d’entre nous. Une rupture avec cette attitude qui consiste à s’inquiéter, à s’offusquer, à être désarçonné quand il s’agit de toucher à « l’héritage » des générations qui nous ont précédées. Cette posture qui glorifie les anciens, le passé, ses icônes et ses représentants. Cette façon de faire de la politique ou de s’impliquer dans la chose publique qui a fait qu’un relais entre les générations ne soit pas passé. Cette manière de procéder qui a vidé nos syndicats de travailleurs et d’étudiants, qui a empêché nos partis de se développer et qui frappe la Ligue des droits de l’homme de sclérose.
Que des militants, ici et là, de toutes générations, se soient impliqués, corps et âmes, dans le combat pour la démocratie et la liberté, que des gens se soient dévoués pour la cause malgré l’encerclement et le harcèlement qu’ils ont subis, que des sacrifices immenses aient été consentis: on ne peut en douter. Que le pouvoir en place s’arrange pour empêcher et pour affaiblir toute velléité d’opposition, qu’il ne soit pas particulièrement préoccupé par les considérations de gestion démocratiques et de promotion des libertés: ceci relève de l’évidence. Il ne s’agit pas, dans ce qui suit, de tout dénoncer ou de tout balayer d’un revers de main. Il ne s’agit pas, non plus, de poser la question en des termes de générations. C’est un regard humble, détaché, lucide et incomplet que nous proposons sur les acteurs de la démocratie et du militantisme dans notre pays.
Premier constat. Il existe du côté de chez nous, une spécificité locale: une inter- pénétration et une proximité entre les sphères politique, syndicale et associative. On peut être aussi bien adhérent à un parti politique reconnu ou non, affilié à un syndicat de travailleurs, d’étudiants ou à un ordre professionnel et membre d’une association. Ce don d’ubiquité est légitime: «c’est de bonne guerre», nous dira-t-on. Le personnel disponible est limité, et les adversaires d’en face font de même. Ce cumul des casaques a travesti un paysage démocratique qui avait déjà beaucoup de peine à se former et à se régénérer. Pour gagner des positions sur l’échiquier, des groupes politiques ont investi les associations et les syndicats pour essayer d’en tirer profit et d’en faire une tribune. L’UGTT, par exemple, regroupe pêle-mêle, aux côtés des simples travailleurs, toutes les tendances politiques qui existent dans le pays. Pareil pour la Ligue des droits de l’homme. Idem pour la section tunisienne d’Amnesty International. Les considérations partisanes, parfois contradictoires, déforment l’action syndicale et associative. Les partis politiques, censés être porteurs de changement, perdent leur faculté de réfléchir, de juger, de décider, de critiquer et d’agir sur certaines questions. La couverture du dossier des négociations salariales dans le secteur de l’enseignement supérieur et la polémique qu’il a suscitée en sont les parfaites illustrations. Il est inutile, par ailleurs, de s’étendre sur des structures et des cadres qui vieillissent, qui ont du mal à se renouveler et sur un témoin qui ne passe pas entre les générations. Il ne faut pas se leurrer quand on voit des jeunes ! Ces jeunes qui assistent à des réunions de partis ou d’association, qui s’intéressent ou qui s’impliquent timidement dans la chose publique sont en nombre limité. Soit ils appartiennent à des groupes politiques, fermés par définition, sous l’emprise d’un chef charismatique, soit ils assistent silencieux, laissant la parole et l’écrit à ces visages et à ces noms qu’ils retrouvent partout.
L’évocation des jeunes nous amène à exposer le cas des étudiants et de leur organisation. La « glorieuse » UGET. Une organisation à laquelle sont attachées, comme nous, beaucoup de Tunisiens. En son sein, des générations d’étudiants ont été initiées au militantisme, à la culture, aux livres, à l’idéal de liberté, etc. Grâce à elle, aux assemblées générales et aux grèves, des couples d’amoureux se sont formés, des camarades ont forgé leurs liens et des amis ont initié un chemin commun qui durera une vie. Mais, désormais, l’UGET n’est plus qu’un fantôme de ce qu’elle était. Les couples existent encore. On parle toujours de camaraderie dans les multiples communiqués des différents groupes, et on fait encore des AG et des grèves un peu à la manière des aïeuls des années 70. Il est vrai que, dans sa déconfiture, l’UGET paie le prix des pressions et des manœuvres du pouvoir. Elle est surtout la victime de ses enfants, de leurs calculs politiciens, de leurs défaillances en matière de gestion démocratique et de gestion tout court. Notre jugement est certainement sévère et triste. Il est le fruit d’un constat.
L’UGET est devenue une coquille vide. Une organisation limitée à quelques structures actives. Une organisation complètement divisée de l’intérieur sur fond de querelles stériles entre des groupes rivaux. Sur ce point, nous n’épargnons la responsabilité de personne. L’organisation des étudiants a le triste mérite de produire des maîtres stratèges et des maîtres tacticiens, experts pour déjouer les combines des autres clans et extrêmement habiles pour éviter la récupération. C’est une autre paire de manches quand il s’agit de leur demander de proposer un projet rénovateur ou de répliquer aux réformes de l’enseignement supérieur. Six années sont passées sans que l’organisation ne puisse arriver à renouveler ses structures. L’UGET est aujourd’hui morcelée, déchirée et complètement affaiblie. Cette situation est inacceptable pour le pays et pour ses étudiants, si on mesure les effets de l’opération de «démantèlement» de l’université publique. Pour être défendue, «l’université populaire et l’enseignement démocratique» ont besoin d’une, ou de plusieurs, représentations syndicales fortes, ayant présence et influence chez la masse estudiantine. Dans ce domaine force est de constater que par son discours inadapté, ses moyens d’action militante désuets et par son incapacité à évoluer, l’UGET n’attire pas foule d’étudiants. L’organisation estudiantine n’a jamais pu forger une ligne directrice capable de capter le soutien des étudiants pour les justes causes qu’elle doit défendre. Nous souhaitons, comme beaucoup d’autres, une relève. Nous aimerions voir notre constat démenti par l’engagement de beaucoup de militants présents sur le terrain. Ceci n’empêche pas que l’UGET, dans sa forme actuelle, est un écran opaque entre les étudiants, la défense de leurs intérêts et l’engagement citoyen. Que faire pour dépasser cette situation ? Que faire pour garantir son indépendance ? Il est de notre responsabilité d’aider à trouver une issue. Pourrait t-on retrouver un jour une étudiante de 22 ans à la tête de l’organisation, maniant avec dextérité le dialecte tunisien, les langues arabe et française pour déconstruire, arguments de poids à l’appui, les réformes du ministère? Le rêve est t-il permis?
L‘avènement de la démocratie dans nos contrées ne sera pas pour demain. Il n’en demeure pas moins que le combat pour la démocratie ne doit jamais s’arrêter. Le flambeau doit être repris. La relève doit être assurée. Nos rangs doivent se renforcer et se resserrer encore plus fort. Dans cette quête, il est impératif de repenser notre façon de lutter et de combattre pour nos idéaux. Il est absolument requis que nos partis démocratiques fassent évoluer leur mode de gouvernance. Un souffle novateur doit inspirer notre démarche à nous, peuple des progressistes et des démocrates. C’est ensemble, par notre unité, par notre sens de l’écoute, par notre cohérence, par la critique réciproque et par notre présence sur le terrain que nous saurons montrer, un jour ou l’autre, notre exemplarité, la force de nos idées et la justesse du projet que nous présenterons un jour à notre Peuple.
Nous avons écrit cette modeste contribution et pris le risque de fâcher certains de nos lecteurs pour ne pas reporter à plus tard l’autocritique, même douloureuse, qui devrait être faite aujourd’hui. Nous l’avons fait aussi pour ne pas brider notre volonté de faire évoluer le combat et, surtout, pour ne pas laisser de côté cette part de rêve qui nous anime d’une Tunisie meilleure, d’une Tunisie ouverte, d’une Tunisie démocratique et d’une Tunisie qui prenne pleinement pied dans le 21ème siècle. Cette Tunisie là, nous la voulons. Avec d’autres, nous apporterons notre pierre à l’édifice commencé par ceux qui nous ont précédés. Au risque de faire sourire certains, c’est cette part de rêve qui sera, peut être, le commencement d’une renaissance. Nous vous invitons, chers lecteurs, à vous joindre à nous.
Mehdi Ben Jemaa et Anouar Ben Naoua
Je souhaite répliquer sur un point avec mon regard trés externe et à la limite simpliste de l'UGET. J'étais étudiant au campus de Manar (FSEGT) durant la deuxieme moitié des années 90. Je peux vous donner mes impressions.
RépondreSupprimerJe n'avais aucun contact avec les formations politiques ou associations estudiantines de l'époque par contre j'étais membre d'un des clubs à la FAC.
Les membres de l'UGET n'était pas crédible aux yeux d'une partie des étudiants. Ils discutaient des problèmes qui ne concernaient pas forcement les étudiants IRAK, Saddam, Palestine, ... avec trop de démagogie en plus.
Ils s'entre-tuaient avec les mecs des RCD, et avaient un discours et des réactions violentes : Tous ceux qui n'étaient pas avec eux étaient des traîtres.
A nos yeux, ils avaient l'étiquette de "sabbabas" déguisés. L'un de leurs leaders Naoufel n'est jamais présent lors des manifestations que la plus part du temps d'autres personnes sont arrêtées et qui voient leurs avenirs brisés par excès de volontarisme (exp: imen derouiche a passé des années en tôle).
C'est vrai c'est une organisation qui a plus que 60 ans mais je pense qu'elle a trop vieillies en s'enfermant dans des clichés. Les notes de abunadhem sot édifiantes dans ce domaine.
Je me suis fait dire, lors d'une conférence donnée à Québec par la même Imène Derouiche, que j'étais un 9nannou bourgeois, d'el Manar, étudiant en économie et ne pensant qu'à passer mon temps à la buvette à draguer. La raison est que j'ai osé dire, après avoir soutenu son combat, que la majorité des étudiants tunisiens se foutent de l'UGET. Je précise qu'elle ne me connait pas et que je ne suis rien de ce qu'elle dit. J'ai trouvé sa réaction déplaisante, voire arrogante et je pense que ce genre d'attitude nuit sérieusement à l'image des militants pour les droits et libertés.
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