La réaction de la blogosphère et des journaux de l’opposition (voir en particulier le n° 132 d’Attariq), suite à la campagne de rafles visant l’enrôlement de jeunes pour le service militaire, a du bon. Elle a obligé le ministre de la défense à descendre de son piédestal et à essayer, lors d’une conférence de presse organisée le jeudi 18 juin dernier, d’expliquer et de justifier cette pratique d’un autre âge qui a instauré un climat de terreur parmi les jeunes, durant plusieurs jours, à travers tout le pays. Toutefois, l’exercice de pédagogie auquel a tenté de se livrer M. Kamel Morjane a essentiellement deux grands défauts : il vient un peu trop tard et, surtout, il est loin d’être convaincant.
En effet, dans un pays où l’on respecte les citoyens et où existe une véritable opinion publique, cet exercice de pédagogie et de communication doit normalement précéder ce type de campagne « sur le terrain ». Mieux encore, la réussite d’un tel exercice devrait susciter une adhésion des citoyens à la démarche du gouvernement et lui permettre de faire l’économie de ces pratiques musclées très dommageables en termes d’image !
Venons-en, maintenant, au contenu de cette communication tardive qui n’est pas exempte de faiblesses et d’incohérences. Car, en affirmant aux journalistes que l’objectif de cette campagne n’est pas principalement l’enrôlement de force dans l’armée, mais plutôt celui d’ « assurer la sécurité du citoyen et de l’ordre public », M. Morjane s’emmêle quelque peu les pinceaux. On découvre, ainsi, au détour d’une phrase anodine, qu’il y aurait une menace sur l’ordre public et notre sécurité et que la tâche de les défendre a été dévolue non pas au ministre de l’intérieur, mais à celui de la défense (sic) ! Encore plus inquiétant ! En quoi consiste cette menace ? La campagne de rafles visant les jeunes a-t-elle permis de la juguler ? Pourquoi s’en charge-t-il lui-même ? Le ministre n’estime pas nécessaire d’éclairer notre lanterne sur ces questions… De même, si l’objectif de cette campagne est seulement d’assurer la sécurité et l’ordre publics, pourquoi l’essentiel de la conférence de presse tourne-t-il autour de la question du service militaire, de son statut et de la nécessité de lui construire, dans la société, une image plus positive?
A ce niveau, M. Morjane conteste l’utilisation du mot « rafles » pour décrire ces opérations où les forces de l’ordre encerclent un quartier et où les policiers, armés de matraques et se faisant aider par des chiens, appréhendent des jeunes et les font monter dans de sinistres voitures cellulaires (resic) ! Même si ça y ressemble beaucoup, il ne faut pas désigner ces opérations par ce mot car il serait « à connotation colonialiste ». Toutefois, et dans l’attente que l’on puisse enrichir le lexique par un vocable plus politiquement correct, M. le ministre devrait méditer le fait que, 53 ans après l’indépendance du pays, ce mot n’est pas prêt de disparaître du vocabulaire de notre société qui, elle, sait appeler un chat « un chat » ! Il pourrait, peut-être, y voir le signe d’une coupure entre les jeunes et le pouvoir et, plus généralement, entre gouvernés et gouvernants, dans ce pays.
C’est là, en effet, que gît, principalement, le problème. Et, au lieu de le résoudre en adoptant des pratiques humiliantes et incompatibles avec l’idéal démocratique, il aurait fallu, d’abord, s’interroger pourquoi l’attitude des jeunes, et pas seulement eux, vis-à-vis du service militaire, est aussi négative ? Pourquoi ce qui devrait être appréhendé comme un devoir sacré est plutôt perçu comme une punition – et les rafles ne font que consolider ce sentiment ? Certes, le ministre esquisse un début de réponse : il estime, d’un côté, que la sensibilisation à l’importance du devoir national n’est pas assez efficace et, de l’autre, que « nos jeunes sont choyés » !! L’analyse est, avouons-le, un peu courte. Car, une meilleure stratégie de communication avec, par exemple, de plus beaux spots télévisés, n’améliorera pas la situation. On reconnaît, dans cette approche, les attitudes habituelles du pouvoir, qui a souvent tendance à identifier des problèmes techniques là où il s’agit de vrais problèmes politiques !
Les choses iront sans doute dans le bon sens le jour où les Tunisiens, dans leur ensemble, vivront pleinement leur citoyenneté et qu’ils percevront la classe politique comme issue de leurs choix, comme leur propre émanation, le jour où il y aura égalité de tous devant le service militaire, qui ne sera plus l’apanage des plus défavorisés et le jour où le pouvoir lui-même le percevra comme un devoir sacré et non comme un moyen de remplir ses caisses à travers la logique bassement mercantile des «affectations individuelles». Mais, peut-être est-ce là trop demander…
Boubaker Jridi
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