L’émission culturelle Rawafed de la chaîne Al Arabiyya a consacré ses deux émissions des 7 et 8 janvier derniers à la présentation de l’œuvre et du parcours intellectuel de l’historien et penseur tunisien Hichem Djaït. Et après avoir consacré le premier jour à discuter de son apport à la science historique, notamment les deux premiers livres de sa trilogie centrée sur l’instant de la révélation puis sur la prédication de Muhammad à La Mecque et Médine, le présentateur a profité du second épisode pour avoir l’avis de notre historien sur les principales questions de l’heure sur les scènes arabe et islamique. Comme d’habitude, Djaït n’a pas déçu les téléspectateurs : ses réponses se sont distinguées par de la profondeur, du recul et beaucoup de franchise. C’est ainsi qu’on a pu écouter ses analyses non seulement sur la dictature dans le monde arabe, sur le fondamentalisme et le jihadisme, mais aussi sur la place de la culture et de l’intellectuel dans nos sociétés.
Interrogé sur l’absence de démocratie chez les Arabes, Djaït impute cette particularité non pas à l’histoire profonde, mais à l’histoire récente, celle des mouvements nationaux du vingtième siècle qui se sont tous plus ou moins inspirés des schémas communiste (sans en adopter le contenu) ou fasciste de l’organisation et de l’action politique pour quadriller les sociétés et les soumettre à leur volonté. Il s’agit donc de dictature et non de despotisme. De ce point de vue, cette infirmité est bien un phénomène moderne et elle s’explique assez facilement. La démocratie est, en effet, plus difficile à adopter : elle exige la prise en compte de plusieurs équilibres, un développement des institutions et des organismes politiques et de la profondeur historique.
D’un autre côté, Djaït opère un distinguo, dans les pays d’Islam, entre les mouvements fondamentalistes et les organisations jihadistes. Les premiers sont clairement de nature politique et visent à l’affirmation de soi – l’identité islamique – dans l’ici-bas, tandis que les secondes n’ont pas de but, en dehors de leur positionnement anti-occidental.
Par ailleurs, Djaït estime que, contrairement aux dirigeants politiques du passé, les contemporains – à la seule exception d’Obama – n’ont pas de stature intellectuelle. Il n’y a plus, aujourd’hui, pour lui, l’équivalent d’un De Gaulle ni d’un Mitterrand – qui fut formé dans la première moitié du vingtième siècle ! Mais ce qui caractérise, hélas ! le monde arabe – pouvoirs publics et sociétés – c’est l’absence d’intérêt pour la culture et la pensée. D’où l’isolement et la marginalisation dans lesquels vivent nos intellectuels et, en particulier, Djaït lui-même qui remarque avec amertume que sa récente contribution à la compréhension du phénomène du prophétat de Muhammad et à la mise au jour d’éléments importants de l’histoire de sa prédication n’a pas soulevé le débat qu’elle mérite. Il se console, toutefois, en se disant que peut-être les générations futures se pencheront sur son œuvre et lui accorderont de l’intérêt. Ce qui est le lot de plusieurs penseurs tels que Spinoza – esprit profond et libre s’il en est – qui ne fut découvert, pour ainsi dire, qu’au dix-neuvième siècle !
Bien d’autres choses furent dites encore sur son parcours intellectuel, sur le collège de Sadiki, sur le choix de l’histoire comme spécialité et sur le rapport entre l’intellectuel authentique et l’Etat de l’indépendance… Toutes d’un intérêt certain ! Ce qui nous fait regretter encore plus le bannissement auquel sont sujets nos meilleurs penseurs dans nos médias et, en particulier, notre télévision. Mais, sans doute, celle-ci n’a-t-elle pas les pré-requis – en termes de culture et de liberté d’expression – pour pouvoir les accueillir !
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