Le récent remaniement à la tête du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique a été longuement commenté dans les milieux universitaires qui s’interrogent, à juste raison, si derrière le changement d’homme, il peut y avoir un changement d’attitude vis-à-vis des principaux acteurs de l’université et, surtout, un changement de politique.
Il n’est pas inutile de rappeler, à cet égard, que le nouveau ministre hérite de la part de son prédécesseur d’une situation pour le moins chaotique, générant inquiétudes, amertumes et frustrations chez toutes les parties prenantes de l’université. La gestion longue de cinq ans de ce dernier est, en effet, associée à la notable régression des universités publiques tunisiennes qui faisaient, il y a peu, notre fierté et qui, aujourd’hui, s’avèrent absentes à la fois des classements des cent premières universités africaines et des cent premières arabes. Cette régression- pour ne pas dire dégringolade- du niveau de nos étudiants a été fortement soulignée l’année dernière dans le rapport de la très officielle Commission nationale des ressources humaines.
Cette gestion a vu aussi la mise en œuvre - à la va-vite et sans associer ni consulter les représentants des enseignants -chercheurs et ceux des étudiants- de la réforme LMD. Celle-ci n’est, chez nous, qu’une pâle copie de l’original anglo-saxon et même européen. Elle a été, chemin faisant, délestée de ce qui faisait sa richesse et qui était porteur de qualité: «la mobilité des étudiants, qui peuvent confectionner eux-mêmes leurs diplômes; le tutorat, qui leur permet d’être individuellement suivis et encadrés par un enseignant tout au long de leur parcours universitaire, etc.». Ici, le système LMD a été compris essentiellement comme l’instrument d’une professionnalisation des cursus. D’où la lecture rigide et dogmatique du partage 2/3 et 1/3 entre licences appliquées et licences fondamentales et les dégâts «collatéraux» sur les licences d’histoire, de géographie, de sociologie, de psychologie, etc. Et la rapidité avec laquelle a été conçu le passage des maîtrises aux licences a fait qu’en gros, le contenu de quatre ans d’études est désormais dispensé en trois ans, amenant surcharge et, partout, un absentéisme inédit parmi les étudiants!
Par ailleurs, ce mandat a été caractérisé par divers blocages et tensions dans les rapports entre le ministère, d’un côté, et le syndicat des enseignants et des étudiants, de l’autre. Ces derniers sont empêchés de tenir leur congrès et, fait grave, sont confrontés à une criminalisation du syndicalisme estudiantin. Les rapports avec les enseignants ont, quant à eux, été envenimés par la question dite de la «représentativité syndicale», le ministre ayant beau jeu de recevoir différents «acteurs syndicaux» pour ne pas signer d’accord, voire de PV, avec la Fédération Générale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (FGESRS).
Cette sombre page semble, aujourd’hui, tournée. Ce qui est à l’origine d’un soulagement, certes, mais aussi d’un peu d’espoir. Plusieurs signes positifs et de détente ont été perçus. D’abord, la nomination du nouveau ministre a été concomitante avec le désaveu par la justice des plaintes formulées par des «acteurs syndicaux» contre la légalité et la représentativité de la FGESRS. Il y a là, sans doute, un nouveau contexte qui met fin au parasitage de l’action syndicale et qui est propice à un échange serein et constructif avec l’autorité de tutelle. Ensuite, on note avec satisfaction un changement au niveau de la forme, du style et du contact. La récente visite du ministre à la Faculté du 9 avril a, de ce point de vue, une portée symbolique, tant elle tranche avec celle rendue sur le même lieu par l’ancien ministre, éminemment tendue et couronnée par un accrochage avec le doyen. Enfin, promesse a été faite de considérer sérieusement plusieurs dossiers, notamment celui de la fusion de plusieurs départements au niveau des sciences humaines.
Toutefois, ces signes, aussi positifs soient-ils, ne sont pas suffisants pour rassurer les universitaires. Ceux-ci attendent que le nouveau ministre reçoive officiellement leur syndicat, qu’il réagisse à leurs revendications morales et matérielles et qu’il mette fin le plus tôt possible à des abus mettant des universitaires dans des situations proprement kafkaïennes, comme celles des assistants qui enseignent depuis sept et huit ans et qui, en violation du texte, sont privés de titularisation et celles des chercheurs qui ont déposé leurs thèses d’Etat et qui sont, à ce jour, privés de soutenance.
Les universitaires enregistrent avec une certaine satisfaction le changement de style, mais ils attendent de voir ce que donnera l’action concrète. Ils espèrent, mais ils sont prudents!
Attariq Aljadid
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