Vendredi 23 avril, les lecteurs d'Attariq Al Jadid sur Internet n'arrivaient plus à accéder au site du journal (1). Dans la foulée, le blog des Amis d'Attariq, qui reprend des articles de ce journal, est lui aussi verrouillé. Une campagne de mobilisation s'en est immédiatement suivie sur Facebook pour demander le retour de ces deux sites.
Mais le massacre cybernétique ne s'est pas arrêté là. Le mardi 27 avril était une journée noire pour la blogosphère tunisienne. Les blogs tunisiens les plus populaires passaient, un à un, à la trappe. Au total, 11 blogs sont massivement expulsés de la toile dont celui de la star de la blogosphère, Big Trap Boy, qui a habitué les internautes à ces notes caustiques en dialecte tunisien, raillant nos travers sociaux et ironisant sur la régression intellectuelle et sociale que connaît notre pays depuis quelques années. La liste des victimes du "mardi noir" comprend également des blogueurs actifs et prolifiques tels que Carpe Diem, auteur d'analyses socio-politiques fouillées sur la Tunisie mais aussi Ounormal, Bent Ayla, Antikor, Articuler et Stupeur... (2). Le blog de Tarek Kahlaoui, l'un des leaders de la blogosphère, un universitaire tunisien installé aux Etats-Unis, avait déjà connu le même sort quelques jours auparavant. La censure ne s'est pas contentée de viser les blogs, elle a aussi touché les deux autres principaux agrégateurs de blogs tunisiens, Tuniblogs et Tunisr, bloqués entre le 21 et le 23 avril derniers.
Au moment où l'on pensait que ce massacre à la tronçonneuse numérique touchait à sa fin, le lendemain en début de soirée les amateurs de photo découvraient avec étonnement qu'il ne leur était plus possible d'accéder à Flickr, le plus grand site au monde de partage de photos en ligne.
Avec cette campagne de censure systématique, beaucoup craignent que Facebook, le dernier espace de liberté virtuel qui reste aux tunisiens, soit prochainement enterré par les censeurs de la toile.
A défaut de connaître les véritables auteurs du verrouillage d'Internet en Tunisie, internautes, blogueurs et plus récemment facebookers pointent du doigt Ammar 404, la "mascotte" de la censure Made in Tunisia, le chiffre 404 faisant référence au code d'erreur qui apparaît sur les pages verrouillées lorsque l'internaute tunisien tente d'y accéder. Ammar étant un prénom générique censé désigner le censeur anonyme caché derrière une obscure machine administrative sourde, sans foi ni loi. Ammar 404 est moqué, raillé, vilipendé à longueur de journée dans la blogosphère tunisienne et sur Facebook. On ne compte plus les caricatures qui le mettent en scène, les notes sarcastiques qui sont lui sont dédiées sur les blogs ou les quolibets qui lui sont lancés par les internautes tunisiens.
Face à la censure, les internautes tunisiens se sont pas restés les bras croisés. Sur la blogosphère la machine de la dénonciation a carburé à travers les innombrables notes de solidarité dédiés aux blogs verrouillés. Sur Facebook, un groupe a même été créé, "Le "404 Not Found" nuit gravement à l'image de mon pays" pour dénoncer les effets de la censure sur l'image de marque, déjà passablement écornée, de la Tunisie dans le monde. Un appel à pétition (dont le site a lui aussi été bloqué !) circule aussi sur le réseau social visant à rassembler 10 000 signature contre la censure d'Internet en Tunisie et les facebookers se mobilisent pour une campagne en ligne contre le fameux Ammar 404 où l'internaute est invité a exprimer avec une photo son opposition à la censure.
Le quotidien virtuel de l'internaute tunisien s'assombrit dans un espace cybernétique qui, jour après jour, se réduit comme une peau de chagrin. Mais les internautes ne s'avouent pas vaincus et se mobilisant tant bien que mal dans tous les espaces possibles qui leurs sont offerts pour défendre chèrement une liberté garantie par l'article 8 de la constitution du pays mais paradoxalement menacée par un appareil occulte aux desseins obscurs.
(1) Le site d'Attariq Al Jadid connait, depuis, des coupures intermittentes inexplicables.
(2) Ces blogs sont désormais consultables grâce au site Sbo33 for 3Ammar qui leur permet de réapparaître sur le toile.
Crédit image Le Blog de Nicolas Bordas