samedi 19 mars 2011

Tunisien, Tajdidi et fier de l'être!



Que les lecteurs veuillent bien me pardonner de parler de moi, mais face à l’incompréhension - parfois au dénigrement -, il est peut-être bon de dire certaines choses. Et ce que je veux dire aujourd’hui, c’est, tout simplement, que j’éprouve de la fierté, une  grande fierté !
Oui, depuis le 14 janvier, je me sens particulièrement fier d’être tunisien. Auparavant, je n’éprouvais ni fierté ni honte de l’être : j’étais tunisien, de sexe masculin, marié, père de deux garçons et d’une fille etc. bref, c’était ma nationalité, mon identité, un point c’est tout.
Mais depuis le succès - et quel magnifique succès – de la révolution, un sentiment étrange est né en moi, la fierté ! Mais cette fierté est d’autant plus agréable à vivre qu’elle est venue subitement, sans crier gare, peut-être un peu comme celle d’un sportif qui avait jusque-là des performances moyennes, voire faibles, et qui, un jour sans crier gare, bat un record mondial, et avec brio ! Sauf que dans mon cas, il ne s’agit pas d’une performance personnelle : c’est de nous, Tunisiens, que je suis fier, extrêmement fier. Je vais faire un aveu : j’ai, depuis ce beau jour, l’impression - comme dans une sorte de rêve éveillé - que si je partais en voyage, les gens, dans ce pays, se retourneraient sur mon passage, et la mère chuchoterait (pour ne pas heurter ma modestie, mais je l’entends quand même) à son enfant :
- Tu sais,  le monsieur qui vient de passer, mine de rien ? Eh bien, c’est un Tunisien ! Tu sais, la Tunisie qui… 
Et l’enfant, l’interrompant : Mais bien sûr, maman, pour qui tu me prends ? Qui ne connaît pas la Tunisie et les Tunisiens ?!
Mais pour une fois que je parle de moi, je vais faire un autre aveu, très important aussi pour moi : depuis le 17 janvier, je me sens particulièrement fier d’appartenir au Mouvement Ettajdid !
Je sais, c’est plus surprenant, d’autant plus que je milite dans ce parti, sous les différentes formes qu’il a prises, depuis bientôt 50 ans, et que j’assume cela publiquement et fièrement, quand le parti était interdit comme quand l’interdiction a été levée, quand le parti était le parti communiste tunisien comme depuis qu’a été créé le Mouvement Ettajdid ! Alors ? Cela demande, bien sûr,  explication.
L’explication, la voici :
J’éprouve un sentiment de fierté particulière d’appartenir à un parti qui, ce17 janvier2011, après que sa direction ait passé une partie de la nuit dans ses locaux (couvre-feu oblige !) à discuter de la situation dans notre pays, a eu le courage de décider rien de moins que d’accepter de participer (-en coordination avec les deux autres partis d’opposition réelle et avec l’UGTT)- avec les quelques éléments du gouvernement de Ghannouchi qui n’avaient pas quitté le navire en train de couler - à un gouvernement de coalition.
En quoi une telle décision a de quoi se sentir fier ?
Ce geste historique doit d’abord être apprécié à la lumière d’une donnée importante : il a été le fait d’un parti qui n’a vécu, depuis sa création il y a de cela plus de 80 ans, que dans une culture d’opposition, une opposition sérieuse, ferme, résolue, ayant mené chacune des générations qui s’y sont succédé à payer leur tribut d’emprisonnements, de répression, d’exactions… 
D’autre part, on a peut-être un peu oublié, avec le temps, dans quelle situation dramatique était à ce moment -là notre pays : rappelons-en, pêle-mêle, quelques données.
Ben Ali venait de fuir, mais comment allait se comporter l’armée, « la grande muette » ? Et la « famille », qui aurait miné, au sens propre, le terrain ? Et le RCD, si  tentaculaire? Et Guaddafi, qui regrette publiquement ce départ ? Et l’Algérie, dont les dirigeants se voient aussi contestés et qui peuvent être tentés d’éviter  la contagion ? Et des médias étrangers qui, profitant de la confusion générale, alimentée par les commentaires irresponsables de certains juristes, sèment le trouble et le doute ? Et cette grave insécurité, qui terrorise les citoyens et qui peut les pousser à des actes inconsidérés? etc.etc.
Des questions lancinantes, des dangers, loin d’être théoriques, qui menacent la révolution, qui risquent de l’empêcher d’atteindre ses buts, voire même de la faire avorter !
Dans ces conditions si dramatiques, où la révolution se trouve à une étape cruciale, et même dans une impasse réelle, que répondre à l’offre de participer à une opération de sauvetage, non seulement de la révolution, mais même de notre pays, qui se confond, désormais, avec elle ?
Les débats au sein de la direction d’Ettajdid sont graves, tendus :
- une réponse positive ne risque-t-elle pas de nous faire contribuer à une tentative de sauvetage de l’ancien régime, même sous une forme retouchée, plus présentable ? Comment notre parti, qui jouit dans l’opinion démocratique, d’une solide réputation de lucidité et de combativité, peut-il prendre le risque d’être complice, objectivement, d’une telle manœuvre hypothétique ? Les contrecoups seraient terribles pour le pays, mais aussi pour le parti.
- mais si l’offre de sauvetage  du pays et de la révolution était sincère ? Si c’était là une occasion exceptionnelle de sortir de l’impasse aux moindres coûts ? Mais, dans ce cas aussi, notre parti risque de faire l’objet d’incompréhensions, voire d’attaques violentes, nous accusant de « chercher un fauteuil », de  « sacrifier nos principes »… ! Le coup serait aussi terrible ! L’image de notre parti comme un parti sérieux, honnête, résistant à toutes les tentations qui lui ont été faites : bref un parti propre, « clean » comme on dit, une telle image serait irrémédiablement ternie.
En cette terrible nuit du 16 au 17, sous le bruit de tirs nous parvenant de loin, devant les appels au secours déchirants que faisaient parvenir, à travers les chaînes de télévision, de citoyennes et de citoyens affolés par des attaques contre leurs familles, des incendies de leurs biens, le parti a pris cette décision historique, en pleine conscience de tous les risques encourus par le pays et par le parti ; La décision - unanime !- a été formulée par plus d’un de la manière suivante :
Entre le risque de laisser échapper une chance de sauver le pays, par crainte d’une éventuelle tentative de « restauration », et celui de voir l’image du parti  ternie, par incompréhension ou mauvaise foi, le choix est évident : l’intérêt du pays et de la nation avant tout. Tous les risques  doivent être pris, sans hésitation, sans états d’âme, y compris en mettant à la disposition de la révolution le premier responsable de notre parti ! Par patriotisme. Par sens moral.
Si cela vaut au parti quelques difficultés, sa direction, ses militants sauront y faire face avec courage et abnégation (d’ailleurs, ces risques peuvent ne pas se réaliser, être mineurs ou passagers). Si l’opération de sauvetage réussit, nous aurons eu l’honneur d’y avoir contribué ; dans le cas contraire, nous aurons fait ce que notre devoir, notre éthique nous dictaient, et en cela nous aurions été, encore une fois, fidèles à notre tradition, à nous-mêmes.
Cette attitude de lucidité et de responsabilité s’est, encore une fois, concrétisée lorsque le Mouvement s’est retiré du gouvernement dès qu’il a estimé que sa contribution de l’intérieur ne s’imposait plus.
Telles sont les principales raisons qui font que je me sens aujourd’hui beaucoup plus fier que jamais d’appartenir à un parti capable de mettre ainsi, concrètement et non en théorie, l’intérêt du pays au-dessus de celui du parti et d’être guidé, dans les moments difficiles, lorsque le doute s’installe sur le chemin à suivre, par un impératif clair : le patriotisme, la morale.
 Hichem Skik
(Attariq Aljadid, n°221)

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