Nous sommes des dizaines de milliers, sans doute plus, à avoir visionné sur le réseau social de Facebook, la vidéo montrant, le jour même où elle a eu lieu, la profanation du drapeau national à la Faculté de la Manouba. On y voit un jeune homme qui monte sur le toit de la guérite, décroche le drapeau national et le jette, pour hisser le drapeau des salafistes. De la masse des spectateurs passifs de la scène, se détache une jeune femme, qui se hisse sur le toit à la force des bras et tente de s’interposer entre le drapeau et le salafiste essayant de l’empêcher d’accomplir son forfait, mais en vain, car elle est violemment repoussée.
Cette scène, captée et immortalisée par la grâce de la technologie d’un téléphone cellulaire, nous a émus parce qu’elle a une profonde portée symbolique. Elle condense en effet les enjeux politiques de ce moment historique par lequel passe notre pays et ses risques majeurs. Ses espoirs aussi. Il est vrai qu’avec le drapeau national, nous nous trouvons d’emblée dans le registre du symbolique. Cette portée symbolique s’accroît quand le drapeau lui-même devient l’objet d’un affrontement.
Mais que nous dit cette scène au juste ? A mon avis, tout en trahissant les véritables intentions et ressorts des mouvements religieux qui sont apparus après le 14 janvier, elle indique les dangers qu’ils font planer sur notre république. Mais, dans le même temps, elle nous donne aussi des moyens d’espérer.
Par l’acte symbolique d’arracher le drapeau tunisien et de hisser à sa place le drapeau salafiste, ces fanatiques montrent clairement qu’ils sont dans une démarche de conquêtes ou de futuhât. Car il est évident qu’on ne plante son drapeau que sur la terre qu’on vient de conquérir. Et, ce faisant, ils éclairent à leur insu les véritables objectifs de « la bataille du Niqâb » qu’ils mènent depuis des semaines au sein de la faculté de la Manouba en empoisonnant à la fois la vie des étudiants et des enseignants. Seuls les plus naïfs pourront désormais soutenir que la bataille du Niqâb vise à défendre le droit individuel à pouvoir se vêtir selon ses propres choix. De même, le choix de mener cette bataille au sein de l’université n’est pas le fruit du hasard. Celle-ci est considérée, à juste titre, par ces fanatiques, comme l’un des derniers refuges de la rationalité et de la modernité.
De plus, cet acte éclaire une autre dimension, encore plus inquiétante, de la motivation de ces mouvements religieux : leur rejet viscéral de la notion d’identité ou de nation tunisienne. A la vérité, on s’en doutait un peu : cette nation tunisienne les gêne aux entournures et représente, à leurs yeux, un obstacle face à l’édification d’un Califat sur une utopique Umma islamique. Leur contentieux est grand avec ce demi-siècle d’une Tunisie indépendante, voire plus … et pour d’autres raisons que son déficit démocratique ! De ce point de vue, ils clarifient un clivage des forces politiques entre héritiers du mouvement réformiste tunisien et ses adversaires.
D’un autre côté, cependant, cet affrontement autour du drapeau délivre un message de résistance et d’optimisme. Car, face à cette vague de Reconquista drapée des oripeaux de la religion, une jeune femme a symbolisé, par son courage et son abnégation dans la défense du drapeau de la patrie, l’idée que l’héritage de ce mouvement réformiste, proprement tunisien, est vivant dans le cœur et l’esprit de notre jeunesse. Dès lors, on ne peut que s’incliner devant cette étudiante qui, en cette veille du 8 mars, a représenté l’honneur de la Tunisie que certains s’apprêtaient à bafouer et qui nous a donné des moyens d’y croire encore plus fort. Merci, chère concitoyenne, d’avoir été là et d’avoir si bien défendu le symbole de la patrie. Cette scène, on ne l’oubliera pas de sitôt. Elle restera gravée dans nos mémoires comme un acte de résistance symbolique au projet fasciste dans notre pays.
Baccar Gherib
La Presse, le 12 mars 2012
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