vendredi 22 mai 2009

Quelle compétition électorale dans des conditions médiatiques déplorables ?

Une vingtaine de journalistes exerçant dans des agences de presse étrangères et dans quelques titres nationaux assistaient à la conférence de presse que le candidat aux présidentielles, Ahmed Brahim, avait organisé ce mercredi 20 mai au siège du Mouvement Ettajdid pour déplorer l’état du paysage médiatique et de l’information et ce, à quelques mois des prochaines échéances électorales. Bien évidemment, ni les stations de radios ni celles des télévisions (publiques et privées confondues) n’avaient daigné répondre à l’invitation, et même notre Agence «publique» TAP était subitement inscrite aux abonnés absents. Et pourtant, la raison même de cette rencontre avec les journalistes portait sur le traitement inéquitable, voire l’ignorance totale des grands médias à l’égard du candidat aux présidentielles Ahmed Brahim. En effet, plus d’un mois après l’annonce de sa candidature, toutes les chaînes nationales de télévision, qu’elles soient publiques ou privées, feignent de l’ignorer complètement. Idem pour les stations de radio plus promptes à ne parler que d’une frange de l’opposition, et l’agence TAP, si l’on excepte la dépêche publiée le jour de l’annonce de sa candidature, semble avoir décidée de le mettre «sous embargo». Même les publications indépendantes redoutent de parler abondamment de lui, de peur que les foudres ne s’abattent sur elles. Finalement, dans ce paysage médiatique aussi diversifié et libre, si l’on en croit les déclarations officielles qui célébraient la journée mondiale de la liberté de la presse, c’est toujours la voie unique qui prédomine ; celle qui s’exprime au nom de l’Etat et du parti au pouvoir, celle qui a la grâce divine de demeurer infaillible et irréprochable puis qu’elle ne peut être ni contredite, ni critiquée, celle qui doit être adulée comme du temps des éclaireurs du peuple! Drôle de situation dans ce pays qui est censé vivre depuis 28 ans sous le régime du pluralisme politique et de la pluralité des opinions ! Triste sort que celui des journalistes qui exercent dans ces médias et qui se trouvent à chaque fois frustrés de ne pouvoir exprimer au grand jour leur attachement aux principes professionnels et à la déontologie ! Pauvre citoyen tunisien qui, 53 ans après l’indépendance de son pays, se trouve encore soumis au diktat de la voix et de la pensée uniques ! Mais avec cette différence, qu’aujourd’hui, il peut toujours assouvir sa soif d’élections libres, par procuration, en se projetant dans d’autres univers, encore bien éloignés du nôtre, par le truchement des chaînes satellitaires !

Comment peut-on parler de médias autonomes et de journalistes libres et indépendants quand les principaux canaux d’émissions et de diffusion sont tous accaparés par l’appareil Etat/parti ? Comment peut-on garantir au citoyen tunisien le droit de pouvoir accéder sans discrimination aux médias et de s’exprimer en toute liberté, en l’absence de toute instance - publique - réellement autonome et crédible aux yeux de nous tous ? Quel sens peut-on encore donner à des «élections libres, équitables, honnêtes, loyales…» alors que les règles de la compétition, les mécanismes de supervision, le pouvoir d’interprétation des lois, la couverture et le traitement médiatiques… se trouvent tous entre les mains d’une même partie, qui accapare déjà tous les rouages de l’Etat et qui exerce sa mainmise sur les médias ? Amère réalité que nous soyons encore acculés à débattre des conditions minimales exigées pour que les élections se déroulent librement et dans la transparence, et qui nous ramènent au triste souvenir de celles de novembre 1981, au lieu de nous attaquer aux questions de fond en opposant les différents projets de société des candidats en lice !

Les partisans de la non participation sont plus que réconfortés par cette douloureuse réalité qui se perpétue, et Ahmed Brahim lui-même se demande à chaque fois ; comment faire pour que sa participation ne serve pas de décor à un simulacre de compétition! Il est vrai que des voix de plus en plus nombreuses et résolues s’élèvent dans la population pour dire de la manière la plus ferme : Ça suffit! La lueur d’espoir et les premiers signes de ces changements émanent des journalistes eux-mêmes qui affirment, haut et fort, à travers leur syndicat, le refus de toute instrumentalisation et surtout, leur ferme volonté à dénoncer toutes les dérives et les atteintes à l’honneur de la profession. Nous prenons acte et réaffirmons encore toute notre solidarité à ce mouvement qui peut être le précurseur de changements démocratiques profonds auxquels nous aspirons tous pour notre pays.

Larbi Chouikha

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