mercredi 17 juin 2009

C’est dans un lointain pays…

Ceci est une fiction. Toute ressemblance avec des faits ou personnages réels est purement fortuite.

Tout se passe dans un lointain petit pays de beauté et de lumière où les habitants vivent une étrange condition dont ils ne peuvent dire si elle les satisfait ou non car, tout en apparence, est fait pour les rendre heureux alors qu’étrangement, ils ne le sont pas. Pourtant l’air y est moins pollué que dans les pays développés, le climat clément et l’on n’y meurt pas de faim, du moins selon les statistiques officielles. Mais il y a comme un malaise qui plane en permanence sur les quelques millions d’habitants de ce pays qui leur fait surveiller ce qu’ils disent et ce qu’ils font, au travail, dans la rue et même – oui même – chez eux, dans leur maison où certains jettent parfois un regard inquiet sur les plafonds et les murs, baissent la voix dans certaines discussions…

On y dit, d’ailleurs, la rumeur vous savez ce que c’est, mais enfin, on y dit que les prisons sont pleines, et pas seulement d’opposants au régime – ceux-là, c’est normal n’est-ce pas, ils n’en veulent pas de notre stabilité ! – ou de criminels et de voleurs, non mais de citoyens ordinaires… On y dit que cela peut arriver à tout le monde… un exemple : une dame, une dame âgée, une dame bien, pas une de ces opposantes, non, une intellectuelle, une femme pleine de culture et de connaissances, une femme respectable quoi ! Et bien, on y dit qu’elle vient d’être traduite devant les tribunaux. Et pourquoi ? Je vous le donne en mille : non, elle n’a pas fait de chèque sans provisions, elle n’a pas volé son prochain, elle n’a pas tué, non : vous ne trouvez pas ? Je vais vous le dire : elle a reçu un message par Internet – ah cet Internet ! Un vrai danger ! – lui disant de ne pas acheter les barquettes de poulet d’une certaine marque – je ne vous dis pas laquelle, on ne sait jamais n’est-ce pas ? Alors, comme elle a été prévenue, elle a voulu prévenir elle aussi et elle a transmis ce message à sa meilleure amie pour la mettre en garde elle aussi. Eh bien, voilà pourquoi elle est jugée aujourd’hui : on l’accuse d’avoir transmis une fausse nouvelle et de l’avoir diffusé ! J’ai oublié de vous dire qu’à la période où elle a reçu et envoyé ce message, tout le monde, oui, tout le monde, même des journaux, même la radio et même une chaîne de télévision avait parlé de cette histoire de barquettes de poulets. Quel drôle de pays quand même !

Heureusement que cette vilaine histoire ne risque pas d’arriver chez nous. Non, chez nous, non seulement nous avons un aussi beau climat que là-bas, mais tout est si transparent qu’on y voit à travers. Et croyez-moi, je vous le dis, tout est bon et rien n’est mauvais, on nous dit absolument tout, on respecte notre intégrité physique et morale, on nous donne du travail et même, on nous laisse critiquer : mais tout est si parfait, n’est-ce pas, qu’il faudrait vraiment avoir l’esprit mal tourné pour trouver quelque chose à redire. Et là, vraiment, on aurait le droit de faire taire ces méchantes langues… Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ? Vous n’êtes pas d’accord ? Mais c’est grave çà !!! Quoi ? Mais bien sur que je vous menace !!! Ah bon, je ne vous intimide pas : eh bien, on verra bien… la voilà, la mauvaise graine ! Bien heureusement, tout le monde le sait, vous n’êtes que l’exception et comme le dit le proverbe, elle confirme la règle : donc, tout va bien pour nous. Je n’en dirais pas autant pour vous…

Bien sur, ce n’est qu’une fiction.

Gargoulette

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