samedi 27 mars 2010

Interdiction du lancement de Taraji-TV: Qu’y a-t-il derrière ce cafouillage?

Annoncée à grand renfort d’affiches et de spots publicitaires, depuis quelque temps déjà, pour le mercredi 17 mars à 19h 19 mn (en allusion à l’année de la fondation du club), la première retransmission de l’émission de Taraji-TV sur la chaîne privée Hannibal n’a pas eu lieu… au grand dam des téléspectateurs et autres supporters qui s’étaient préparés à la visionner. Mais que s’est-il donc passé? Qu’est-ce qui explique ce revirement de dernière minute de la part des autorités?

Les éléments dont nous disposons font état de l’envoi, par le Ministère des technologies de la communication, d’un fax qui aurait atterri, le matin du 17 mars, à la fois, chez le président de l’Espérance de Tunis et à Hannibal TV, informant les deux parties concernées par la susdite émission de l’interdiction de la diffuser. Bizarrement, cette interdiction aurait été justifiée par la découverte – pour le moins tardive! – de la part des autorités que ce genre d’émission a un contenu commercial et que, en tant que tel, il devrait, d’abord, avoir l’aval du Conseil de la concurrence et celui du Conseil supérieur de la communication… L’interdiction de diffusion est, bien évidemment, étendue au Club Africain qui avait programmé, lui, le lancement de CA-TV pour le 26 mars prochain sur Nessma-TV.

Le lendemain, et bien qu’elle ait fait l’objet des interrogations et des commentaires de nombre de citoyens, l’interdiction n’a pas vraisemblablement intéressé la presse écrite. C’est surtout les sites d’information économique sur la toile qui se chargent de rendre compte des faits et de s’empresser de justifier la position des autorités. Ainsi, Business News estime qu’il ne serait pas normal que seuls certains clubs puissent avoir leur émission télévisée et que «tous les clubs doivent être traités à égalité par les chaînes de télé». Leaders.com, quant à lui, va plus loin. Sous un titre exprimant son soulagement, «La guerre des virages par chaînes de TV interposées n’aura pas lieu», il estime qu’il ne faut pas «dévoyer les chaînes TV de leur vocation généraliste, sans discrimination d’appartenance d’un club par rapport à un autre » et « courir le risque d’exacerber les passions» et s’inquiète pour le sort des «petits clubs». L’article ne s’arrête pas là : pour lui ce genre d’émission « clé en main » poserait un véritable problème d’éthique journalistique, car il réduirait les chaînes de télé à «de simples agrégateurs de programmes reçus en boîte, prêts à être diffusés, non conçus par des journalistes professionnels et indépendants»!

Tout ça est bien beau! On aurait aimé, cependant, que ces réserves et ces critiques par rapport au concept de ces émissions s’exprimassent librement et courageusement avant la décision de surseoir à leur diffusion. De même, nos journalistes online semblent ignorer que notre télé nationale diffuse depuis longtemps des programmes (feuilletons et émissions de jeu, notamment) «en boîte et prêtes à diffuser»… En tout cas, à ce qu’on sache, personne n’avait crié au scandale concernant la relation entre TV7 et Cactus production, par exemple. Enfin, il est curieux que les autorités n’aient pris conscience du caractère commercial de l’activité de nos associations sportives qu’à cette occasion… Ne sont-elles pas au courant qu’une grande partie de leurs recettes est générée par les rentrées de la publicité, que certaines ont leurs propres boutiques destinées à vendre des produits estampillés par la marque du club, qu’elles possèdent des établissements hôteliers, etc…? Qu’on ne s’étonne pas, dès lors, que les citoyens ne croient pas à ce type de justifications et qu’ils penchent plutôt pour des explications beaucoup plus «terre-à-terre» et que prolifèrent des rumeurs, comme celles se fondant sur les rivalités entre clubs, relayées dans les coulisses par des personnalités proches des centres de décision…

Pour notre part, nous pensons que le véritable enjeu de cette affaire, ce qui a sans doute motivé la bataille loin des projecteurs de l’actualité, c’est celui des rentrées publicitaires, de l’argent. C’est triste à dire, mais tout le monde sait – en particulier les annonceurs – que l’audience de notre télé nationale TV7 repose essentiellement sur deux piliers : la grille ramadanesque et, le reste de l’année, le championnat de football. Ceci fait que l’émigration des clubs les plus populaires vers des chaînes privées représente une manne pour celles-ci et un terrible manque à gagner pour TV7! De ce point de vue, la décision du Conseil Supérieur de la Concurrence ne participe pas tellement d’une régulation de la concurrence, mais, plutôt, d’une abolition de celle-ci: elle vise à faire en sorte que le potentiel publicitaire des grands clubs reste un patrimoine commun entre les télévisions publiques et privées. Elle s’oppose à sa privatisation. Tout simplement! Bref, il s’agit là d’une décision d’essence … communiste, diraient certains! Ce qui est loin d’être un mal en soi… Cependant, tout ça suscite de grandes interrogations non seulement sur le statut de nos associations sportives, mais, surtout, sur le type de capitalisme qui prospère sous nos cieux.

Kacem Erraïes

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