De toutes les crises financières qui ont jalonné l’histoire du capitalisme, depuis sa naissance à la fin du 18e siècle jusqu’à ce jour, la crise actuelle se présente comme une crise exceptionnellement brutale et généralisée. Commencée dans le secteur immobilier américain, elle s’est propagée dans le secteur bancaire du même pays, puis dans celui des pays européens et d’un grand nombre d’autres pays. Après quelques mois, le secteur bancaire de tous ces pays s’est trouvé criblé de « produits toxiques » ; sa solvabilité si gravement affectée que les banques n’ont plus eu confiance les unes dans les autres, refusant de se prêter des liquidités. Elles sont devenues, ce faisant, incapables d’accorder du crédit aux ménages et aux entreprises. La crise de solvabilité s’est transformée en crise de liquidité. Le cœur du système bancaire mondial s’est trouvé à l’arrêt : les plus grandes banques mondiales sont entrées en état de faillite avérée ou imminente. Comme un château de cartes, elles étaient sur le point de s’écrouler, l’une après l’autre avec une vitesse inédite et les bourses du monde entier, dans le sillage des banques, ont été saisies d’un pessimisme profond, voire de panique. Suivant une baisse régulière depuis le début de 2008, un krach a frappé les bourses mondiales durant la semaine du 6 au 10 octobre : l’indice Dow Jones a perdu plus de 22 pour cent et les autres bourses européennes parfois davantage. Il a fallu une intervention massive et concertée sans précédent dans l’histoire économique du monde de la part des autorités américaines et européennes pour fournir des liquidités, garantir les dépôts des épargnants et racheter les banques en déshérence pour stopper la descente aux enfers. Sur ce fond de crise financière profonde et brutale, les perspectives économiques n’ont cessé d’être révisées à la baisse : on perçoit de plus en plus comment le monde s’enfonce dans la récession qui a tout lieu de se transformer en dépression ; aucun observateur averti ne prévoit le début d’une reprise en 2010 ni même en 2011.
La crise financière actuelle, la crise probablement la plus importante de l’histoire
L’histoire nous dira si elle est la plus grande des crises financières depuis la naissance du capitalisme ou si elle n’est que la seconde après celle de 1929 qui, il est vrai, aura vu la bourse de Wall Street perdre 39 % entre le 22 octobre et le 13 novembre 1929. Krach boursier plus violent à Wall Street en 1929, certes, mais le système bancaire résista jusqu’en 1932 avant de s’effondrer à son tour. Ici, crise immobilière, effondrement sans précédent du système bancaire, krach boursier et montée rapide du chômage, propagation de l’ensemble de ces crises à l’ensemble des Etats-Unis et de l’Europe et même au-delà, toute cette combinaison de crises rapidement articulées est unique dans les annales de l’histoire.
La différence fondamentale d’avec 1929, c’est que des enseignements en ont été tirés et que les Etats devenus plus puissants sont aussi aujourd’hui fortement déterminés à mettre tous les moyens qu’ils détiennent pour empêcher sa reproduction, y compris par la nationalisation des banques.
Les faillites en chaîne des banques ont été évitées grâce aux interventions massives des Etats et aux sacrifices qui seront exigés des contribuables, mais la crise bancaire mettra bien du temps à cicatriser parce qu’elle a ébranlé, pour ne pas dire détruit, ce qui est constitutif des systèmes financiers : la confiance. La confiance en les autres banques, la confiance en les entreprises et, surtout, la confiance en soi. Le secteur bancaire voudra, d’abord, se reconstituer, ensuite établir ses plans et ses nouvelles stratégies, enfin reprendre ses engagements avec une extrême prudence. D’autant qu’une récession/dépression mondiale est aujourd’hui installée. La reprise mettra du temps.
Les perspectives économiques mondiales : sombres pour 2009, aveugles pour l’après 2009
Dans ce contexte, les prévisions économiques mondiales, qui sont sans cesse révisées à la baisse, s’arrêtent en 2009. Au-delà, il n’y a pas encore de visibilité : en vérité, on ne voit pas la sortie de crise et on n’ose le dire. Dans ses dernières « Perspectives de l’économie mondiale » datées d’octobre 2008, le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une croissance mondiale en 2009 de l’ordre de 3 % (contre 5 % en 2007 et une moyenne du même ordre durant les années précédentes, soit une baisse de 2 points par rapport aux tendances précédemment enregistrées). Pour la zone euro, la croissance devrait passer de 2,8 % et 2,6 % en 2006 et 2007 à 0,2 % en 2009. Des pays tels que l’Italie et l’Espagne auront une croissance négative, tandis que l’Allemagne et la France connaîtront une croissance nulle ou quasi-nulle. Et le FMI entend souligner, d’une part, que « des risques considérables pèsent sur cette prévision de référence » et, d’autre part, que « le redressement attendu plus tard en 2009, sera exceptionnellement graduel par rapport au passé ».
Sur la base de ces prévisions, le Bureau International du Travail (BIT) vient d’établir ses estimations préliminaires en matière d’emploi. Son Directeur Général, M. Juan Somavia vient de déclarer que « le nombre des chômeurs pourrait passer de 190 millions en 2007 à 210 millions fin 2009. Le nombre de travailleurs pauvres vivant avec moins d’un dollar par jour pourrait augmenter de 40 millions – et celui des personnes disposant de deux dollars par jour de 100 millions ». Il a également noté que les nouvelles projections pourraient « se révéler sous-estimées si l’on n’affronte pas rapidement les effets du ralentissement économique actuel et la récession qui menace ».
Interrogé devant le Club économique de New York le 16 octobre, le Président de la Réserve fédérale (Fed ou banque centrale) américaine, devait également souligner qu’ « une menace sérieuse pèse sur le marché du crédit » et que même si «la stabilisation des marchés financiers (qui) est une première étape critique » devait se réaliser, « le rétablissement économique ne surviendra pas aussitôt ».
La Tunisie : pas d’effet direct de la crise financière internationale sur le secteur financier tunisien ?
Le Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie a déclaré à plusieurs reprises que « la crise financière internationale n’aura pas d’impact direct sur notre secteur financier ». Ces propos sont exacts si tant est qu’on les prenne à la lettre et qu’on ne les déforme comme certains ont tendance à le faire. Il est vrai, en effet, que les placements de nos avoirs en devises sont effectués de manière très prudente, privilégiant la sécurité par rapport aux rendements et que les investissements étrangers sur la bourse de Tunis sont limités à 25 % de la capitalisation boursière, laquelle est d’ailleurs trop faible pour avoir des effets significatifs sur l’économie réelle. Mais la perspective de la récession économique est certaine et, si celle-ci dure, celle de la détérioration de la santé du secteur financier tunisien hautement probable, pour ne pas dire inévitable.
Les effets de la crise mondiale sur l’économie réelle tunisienne : des risques importants
Ce ne sont pas les canaux financiers à travers lesquels la crise mondiale va exercer des effets directs sur l’économie tunisienne. Les canaux de transmission de la crise mondiale à l’économie tunisienne sont autres : il s’agit, essentiellement, de la limitation de la demande de nos pays partenaires (l’Europe en particulier) qui va affecter nos exportations de biens et de services, de la montée du chômage dans ces mêmes pays, qui affectera les Tunisien(ne)s résidant à l’étranger et, par conséquent, leurs transferts financiers vers leur pays d’origine, de la crise immobilière et du « climat financier mondial » qui vont sérieusement réduire les investissements étrangers dans notre pays et de l’assèchement des liquidités internationales qui va limiter notre capacité d’emprunt si une solution mondiale n’est pas rapidement mise en œuvre à ce propos.
L’économie tunisienne est une économie ouverte ; elle est, de ce fait, sensible aux chocs externes. A titre d’illustration, le choc du 11 septembre 2001, qui n’aura eu d’effet sur les économies réelles que durant une année à l’échelle du monde et à l’échelle de l’Europe, aura coûté deux à trois points, voire davantage, de croissance à l’économie tunisienne. Car, en effet, c’est à 1,7 pour cent que s’est établi notre taux de croissance de l’année 2002 contre une moyenne tendancielle de 5 pour cent. Il y a eu, certes, la sécheresse et la régression de la production agricole, mais il y a eu aussi et surtout, le ralentissement des exportations industrielles et le recul des exportations des services de transport et de tourisme.
Outre la perte d’environ 3 points de croissance, l’année 2002 a été une année d’immenses impayés auprès des banques de la part d’un grand nombre d’entreprises entrées en difficulté. Il en est résulté une sérieuse dégradation de la santé du système bancaire tunisien.
Au plan de nos équilibres externes, la situation ne s’est pas particulièrement dégradée parce que nous avons pu obtenir un volume de financements extérieurs important et parce que les investissements directs étrangers ont sensiblement progressé en raison, surtout, de grandes opérations de privatisation (Orascom et UIB).
Le problème aujourd’hui est que, d’une part, la crise mondiale et européenne actuelle sera beaucoup plus forte (en 2002, la zone euro a eu une croissance de près de 1 pour cent, contre une croissance pratiquement nulle en 2009), d’autre part, plus longue (nul n’en voit encore la sortie) et, enfin, que les marchés financiers sont asséchés, alors qu’ils étaient liquides et peu coûteux en 2002 (nous avons pu lever 1,1 milliard de dinars sur ces marchés alors que, selon les dernières déclarations du Gouverneur de la BCT, ni en 2008, ni en 2009, nous n’y recourrons en raison des coûts prohibitifs d’emprunt).
La situation peut devenir particulièrement grave si la crise actuelle dure plus de deux ans et si des liquidités suffisantes ne sont pas mises à la disposition des pays du Tiers monde par les institutions financières internationales. Le risque est alors, qu’à la récession/dépression, s’ajoute une crise macro-financière. Et qu’à celle-ci, s’ajoute une crise des banques, sous l’effet des impayés d’entreprises confrontées à des difficultés.
La politique économique à engager : les écueils à éviter
Deux dangers guettent l’économie tunisienne : le danger de la dépression et celui de la fragilisation financière externe.
Le risque est que les autorités, par crainte de difficultés financières, en viennent à aggraver la crise de l’économie réelle par une réduction de la demande intérieure. Et telle semble l’orientation qui semble être prise si l’on suit l’état des négociations salariales et le raidissement du gouvernement. Par période de réduction de la demande externe, il faut, au contraire, soutenir la demande interne, en favorisant la consommation des ménages, les dépenses publiques et l’investissement. C’est le seul moyen d’amortir le choc. Autrement, la politique économique aurait pour effet d’aggraver la crise. Aux Etats-Unis, le gouverneur de la Fed, habituellement exclusivement préoccupé par la lutte contre l’inflation, est en train de lancer des appels à une relance de la demande, malgré l’immensité de la dette publique américaine. Et c’est ce à quoi se préparent les autorités américaines, pourtant farouchement anti-keynésiennes. Les pouvoirs publics tunisiens feraient une grave erreur de s’engager dans une politique contraire, une politique d’austérité.
Mais cette politique de relance a, bien évidemment, ses limites. En accroissant les importations, elle risque de fragiliser la situation financière du pays à un moment où le spectre de la diminution sensible de nos recettes hante notre économie. Le risque est alors, si la situation perdure, de se retrouver en état de dépendance et de ne plus pouvoir importer les biens nécessaires à notre appareil productif, comme cela a été le cas durant la seconde moitié des années 1980 ; ce qui nous plongerait dans une crise double : une crise financière et une crise de l’économie réelle.
Une situation de turbulences et l’exigence d’une gestion concertée et collective
Il est désormais clair que la Tunisie est entrée dans une période d’incertitudes, une période de turbulences. La marge de manœuvre n’est ni large, ni simple. La situation financière et économique dans laquelle nous sommes insérés requiert à la fois une vision stratégique de moyen terme (3 ans) et une gestion très flexible et active. Elle exigera des arbitrages incessants : entre les intérêts de court terme et les intérêts de long terme, entre les exigences de la sécurité économique et celles des besoins sociaux, entre les catégories sociales et entre les régions, entre la sécurité financière du pays et son besoin de croissance. Ces décisions ne se prennent pas en vase clos, mais en tenant compte des évolutions de l’environnement, des coûts et des avantages attachés à chaque décision, à chaque scénario.
Ces exigences ne sont pas seulement techniques. Elles sont politiques dans la mesure où elles vont engager l’avenir de la Nation, qu’elles auront un coût qui devra être supporté et des bénéficiaires à court ou moyen terme. C’est pourquoi elles doivent être prises, non seulement en parfaite connaissance de cause, mais aussi dans la transparence. La politique économique et financière qui est aujourd’hui exigée ne peut plus être l’apanage d’une seule partie. Obligée à la réactivité, elle a besoin d’être éclairée par les acteurs concernés et, pour être acceptée, d’être assumée par le plus grand nombre. Le risque, autrement, serait d’accroître la défiance et le rejet, lesquels sont le plus grand frein à la gestion flexible et stratégique dont notre pays a un besoin impérieux. Plus que jamais, la gestion concertée et collective de la situation nouvelle est une nécessité vitale.
Mahmoud Ben Romdhane
La crise financière actuelle, la crise probablement la plus importante de l’histoire
L’histoire nous dira si elle est la plus grande des crises financières depuis la naissance du capitalisme ou si elle n’est que la seconde après celle de 1929 qui, il est vrai, aura vu la bourse de Wall Street perdre 39 % entre le 22 octobre et le 13 novembre 1929. Krach boursier plus violent à Wall Street en 1929, certes, mais le système bancaire résista jusqu’en 1932 avant de s’effondrer à son tour. Ici, crise immobilière, effondrement sans précédent du système bancaire, krach boursier et montée rapide du chômage, propagation de l’ensemble de ces crises à l’ensemble des Etats-Unis et de l’Europe et même au-delà, toute cette combinaison de crises rapidement articulées est unique dans les annales de l’histoire.
La différence fondamentale d’avec 1929, c’est que des enseignements en ont été tirés et que les Etats devenus plus puissants sont aussi aujourd’hui fortement déterminés à mettre tous les moyens qu’ils détiennent pour empêcher sa reproduction, y compris par la nationalisation des banques.
Les faillites en chaîne des banques ont été évitées grâce aux interventions massives des Etats et aux sacrifices qui seront exigés des contribuables, mais la crise bancaire mettra bien du temps à cicatriser parce qu’elle a ébranlé, pour ne pas dire détruit, ce qui est constitutif des systèmes financiers : la confiance. La confiance en les autres banques, la confiance en les entreprises et, surtout, la confiance en soi. Le secteur bancaire voudra, d’abord, se reconstituer, ensuite établir ses plans et ses nouvelles stratégies, enfin reprendre ses engagements avec une extrême prudence. D’autant qu’une récession/dépression mondiale est aujourd’hui installée. La reprise mettra du temps.
Les perspectives économiques mondiales : sombres pour 2009, aveugles pour l’après 2009
Dans ce contexte, les prévisions économiques mondiales, qui sont sans cesse révisées à la baisse, s’arrêtent en 2009. Au-delà, il n’y a pas encore de visibilité : en vérité, on ne voit pas la sortie de crise et on n’ose le dire. Dans ses dernières « Perspectives de l’économie mondiale » datées d’octobre 2008, le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une croissance mondiale en 2009 de l’ordre de 3 % (contre 5 % en 2007 et une moyenne du même ordre durant les années précédentes, soit une baisse de 2 points par rapport aux tendances précédemment enregistrées). Pour la zone euro, la croissance devrait passer de 2,8 % et 2,6 % en 2006 et 2007 à 0,2 % en 2009. Des pays tels que l’Italie et l’Espagne auront une croissance négative, tandis que l’Allemagne et la France connaîtront une croissance nulle ou quasi-nulle. Et le FMI entend souligner, d’une part, que « des risques considérables pèsent sur cette prévision de référence » et, d’autre part, que « le redressement attendu plus tard en 2009, sera exceptionnellement graduel par rapport au passé ».
Sur la base de ces prévisions, le Bureau International du Travail (BIT) vient d’établir ses estimations préliminaires en matière d’emploi. Son Directeur Général, M. Juan Somavia vient de déclarer que « le nombre des chômeurs pourrait passer de 190 millions en 2007 à 210 millions fin 2009. Le nombre de travailleurs pauvres vivant avec moins d’un dollar par jour pourrait augmenter de 40 millions – et celui des personnes disposant de deux dollars par jour de 100 millions ». Il a également noté que les nouvelles projections pourraient « se révéler sous-estimées si l’on n’affronte pas rapidement les effets du ralentissement économique actuel et la récession qui menace ».
Interrogé devant le Club économique de New York le 16 octobre, le Président de la Réserve fédérale (Fed ou banque centrale) américaine, devait également souligner qu’ « une menace sérieuse pèse sur le marché du crédit » et que même si «la stabilisation des marchés financiers (qui) est une première étape critique » devait se réaliser, « le rétablissement économique ne surviendra pas aussitôt ».
La Tunisie : pas d’effet direct de la crise financière internationale sur le secteur financier tunisien ?
Le Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie a déclaré à plusieurs reprises que « la crise financière internationale n’aura pas d’impact direct sur notre secteur financier ». Ces propos sont exacts si tant est qu’on les prenne à la lettre et qu’on ne les déforme comme certains ont tendance à le faire. Il est vrai, en effet, que les placements de nos avoirs en devises sont effectués de manière très prudente, privilégiant la sécurité par rapport aux rendements et que les investissements étrangers sur la bourse de Tunis sont limités à 25 % de la capitalisation boursière, laquelle est d’ailleurs trop faible pour avoir des effets significatifs sur l’économie réelle. Mais la perspective de la récession économique est certaine et, si celle-ci dure, celle de la détérioration de la santé du secteur financier tunisien hautement probable, pour ne pas dire inévitable.
Les effets de la crise mondiale sur l’économie réelle tunisienne : des risques importants
Ce ne sont pas les canaux financiers à travers lesquels la crise mondiale va exercer des effets directs sur l’économie tunisienne. Les canaux de transmission de la crise mondiale à l’économie tunisienne sont autres : il s’agit, essentiellement, de la limitation de la demande de nos pays partenaires (l’Europe en particulier) qui va affecter nos exportations de biens et de services, de la montée du chômage dans ces mêmes pays, qui affectera les Tunisien(ne)s résidant à l’étranger et, par conséquent, leurs transferts financiers vers leur pays d’origine, de la crise immobilière et du « climat financier mondial » qui vont sérieusement réduire les investissements étrangers dans notre pays et de l’assèchement des liquidités internationales qui va limiter notre capacité d’emprunt si une solution mondiale n’est pas rapidement mise en œuvre à ce propos.
L’économie tunisienne est une économie ouverte ; elle est, de ce fait, sensible aux chocs externes. A titre d’illustration, le choc du 11 septembre 2001, qui n’aura eu d’effet sur les économies réelles que durant une année à l’échelle du monde et à l’échelle de l’Europe, aura coûté deux à trois points, voire davantage, de croissance à l’économie tunisienne. Car, en effet, c’est à 1,7 pour cent que s’est établi notre taux de croissance de l’année 2002 contre une moyenne tendancielle de 5 pour cent. Il y a eu, certes, la sécheresse et la régression de la production agricole, mais il y a eu aussi et surtout, le ralentissement des exportations industrielles et le recul des exportations des services de transport et de tourisme.
Outre la perte d’environ 3 points de croissance, l’année 2002 a été une année d’immenses impayés auprès des banques de la part d’un grand nombre d’entreprises entrées en difficulté. Il en est résulté une sérieuse dégradation de la santé du système bancaire tunisien.
Au plan de nos équilibres externes, la situation ne s’est pas particulièrement dégradée parce que nous avons pu obtenir un volume de financements extérieurs important et parce que les investissements directs étrangers ont sensiblement progressé en raison, surtout, de grandes opérations de privatisation (Orascom et UIB).
Le problème aujourd’hui est que, d’une part, la crise mondiale et européenne actuelle sera beaucoup plus forte (en 2002, la zone euro a eu une croissance de près de 1 pour cent, contre une croissance pratiquement nulle en 2009), d’autre part, plus longue (nul n’en voit encore la sortie) et, enfin, que les marchés financiers sont asséchés, alors qu’ils étaient liquides et peu coûteux en 2002 (nous avons pu lever 1,1 milliard de dinars sur ces marchés alors que, selon les dernières déclarations du Gouverneur de la BCT, ni en 2008, ni en 2009, nous n’y recourrons en raison des coûts prohibitifs d’emprunt).
La situation peut devenir particulièrement grave si la crise actuelle dure plus de deux ans et si des liquidités suffisantes ne sont pas mises à la disposition des pays du Tiers monde par les institutions financières internationales. Le risque est alors, qu’à la récession/dépression, s’ajoute une crise macro-financière. Et qu’à celle-ci, s’ajoute une crise des banques, sous l’effet des impayés d’entreprises confrontées à des difficultés.
La politique économique à engager : les écueils à éviter
Deux dangers guettent l’économie tunisienne : le danger de la dépression et celui de la fragilisation financière externe.
Le risque est que les autorités, par crainte de difficultés financières, en viennent à aggraver la crise de l’économie réelle par une réduction de la demande intérieure. Et telle semble l’orientation qui semble être prise si l’on suit l’état des négociations salariales et le raidissement du gouvernement. Par période de réduction de la demande externe, il faut, au contraire, soutenir la demande interne, en favorisant la consommation des ménages, les dépenses publiques et l’investissement. C’est le seul moyen d’amortir le choc. Autrement, la politique économique aurait pour effet d’aggraver la crise. Aux Etats-Unis, le gouverneur de la Fed, habituellement exclusivement préoccupé par la lutte contre l’inflation, est en train de lancer des appels à une relance de la demande, malgré l’immensité de la dette publique américaine. Et c’est ce à quoi se préparent les autorités américaines, pourtant farouchement anti-keynésiennes. Les pouvoirs publics tunisiens feraient une grave erreur de s’engager dans une politique contraire, une politique d’austérité.
Mais cette politique de relance a, bien évidemment, ses limites. En accroissant les importations, elle risque de fragiliser la situation financière du pays à un moment où le spectre de la diminution sensible de nos recettes hante notre économie. Le risque est alors, si la situation perdure, de se retrouver en état de dépendance et de ne plus pouvoir importer les biens nécessaires à notre appareil productif, comme cela a été le cas durant la seconde moitié des années 1980 ; ce qui nous plongerait dans une crise double : une crise financière et une crise de l’économie réelle.
Une situation de turbulences et l’exigence d’une gestion concertée et collective
Il est désormais clair que la Tunisie est entrée dans une période d’incertitudes, une période de turbulences. La marge de manœuvre n’est ni large, ni simple. La situation financière et économique dans laquelle nous sommes insérés requiert à la fois une vision stratégique de moyen terme (3 ans) et une gestion très flexible et active. Elle exigera des arbitrages incessants : entre les intérêts de court terme et les intérêts de long terme, entre les exigences de la sécurité économique et celles des besoins sociaux, entre les catégories sociales et entre les régions, entre la sécurité financière du pays et son besoin de croissance. Ces décisions ne se prennent pas en vase clos, mais en tenant compte des évolutions de l’environnement, des coûts et des avantages attachés à chaque décision, à chaque scénario.
Ces exigences ne sont pas seulement techniques. Elles sont politiques dans la mesure où elles vont engager l’avenir de la Nation, qu’elles auront un coût qui devra être supporté et des bénéficiaires à court ou moyen terme. C’est pourquoi elles doivent être prises, non seulement en parfaite connaissance de cause, mais aussi dans la transparence. La politique économique et financière qui est aujourd’hui exigée ne peut plus être l’apanage d’une seule partie. Obligée à la réactivité, elle a besoin d’être éclairée par les acteurs concernés et, pour être acceptée, d’être assumée par le plus grand nombre. Le risque, autrement, serait d’accroître la défiance et le rejet, lesquels sont le plus grand frein à la gestion flexible et stratégique dont notre pays a un besoin impérieux. Plus que jamais, la gestion concertée et collective de la situation nouvelle est une nécessité vitale.
Mahmoud Ben Romdhane