Après les élections de la Constituante et l’arrivée d’un pouvoir issu des urnes, auréolé donc d’une légitimité électorale, d’aucuns s’attendaient à un retour au calme sur la scène sociale et à l’accomplissement automatique du classique postrévolutionnaire « retournez au travail ! ». Or, les événements des derniers jours, avec l’explosion des contestations un peu partout dans les régions de l’intérieur du pays, montrent qu’il n’en est rien et que la situation s’est même détériorée si on la compare à celle qui a caractérisé la période du gouvernement Sebsi. Pourquoi ?
D’abord, parce que (certains ont tendance à l’oublier facilement) la Tunisie est en plein processus révolutionnaire déclenché à la fois par une question sociale et une question régionale et que, même si la démocratisation de notre vie politique et le renouvellement des élites politiques étaient une exigence de la révolution, il n’en demeure pas moins que ses vrais ressorts sont économiques et sociaux (et nullement identitaires !). Et les troubles actuels agissent comme un rappel des revendications initiales de la révolution à ceux qui sont aujourd’hui aux commandes et qui n’ont pas donné de signaux d’une prise en charge sérieuse de ces problèmes.
Ensuite, il est clair que, par leurs pratiques – contrairement à leurs discours ! – les nouveaux gouvernants du pays suscitent un malaise réel parce qu’ils n’ont pas réellement incarné une rupture par rapport à l’ancien régime. Les premiers jours et les premières nominations ont rapidement dévoilé, en effet, la persistance des réflexes népotiques et les prémisses d’un système de copinage conformément à l’adage qui veut que « les proches soient les plus dignes de nos bienfaits » ! Pire, les nouveaux gouvernants trahissent la même attitude hautaine, voire intolérante, qu’adoptaient leurs prédécesseurs vis-à-vis de l’opposition et de la société civile.
Par ailleurs, cet empressement à placer les siens et à satisfaire les uns et les autres a montré une formidable soif de pouvoir et la perception des portefeuilles ministériels non pas tant comme des responsabilités à confier à des compétences mais comme des récompenses à distribuer à des militants. Ceci a eu pour effet non seulement de placer au gouvernement des profils caractérisés par un dilettantisme certain, peu au fait de leurs dossiers, mais aussi d’éluder complètement l’option qui voulait qu’on laissât un gouvernement de technocrates, maîtrisant les principaux dossiers, travailler sous le contrôle des élus de la Constituante.
Enfin, les responsabilités des nouveaux gouvernants dans le malaise social actuel sont grandes, parce qu’ils ont perdu beaucoup de crédibilité et suscité d’énormes frustrations auprès de la population en opérant un virage de 180 degrés dans leurs discours, passant, du jour au lendemain, du registre des promesses populistes et démagogiques de la campagne électorale à celui de la raison, de la sobriété et de la patience, une fois au pouvoir ! Et qui sème le vent…
La situation est grave et elle exige des nouveaux gouvernants humilité et ouverture, non pas cette attitude hautaine et intolérante vis-à-vis de l’opposition, de l’UGTT et de toute la société civile. Elle exige d’eux qu’ils dépassent les réflexes sectaires et qu’ils s’élèvent au niveau de l’intérêt général de la nation. Mais en sont-ils seulement capables ?
Baccar Gherib