vendredi 18 janvier 2013

Une analyse des manifestations du 14 janvier : Un pas, malgré tout, vers l’unification des forces démocratiques




Les manifestations du 14 janvier dernier sur l’avenue Habib Bourguiba ont suscité, dans les médias et sur les réseaux sociaux de la toile, essentiellement deux réactions, énoncées le plus souvent sous le mode du regret voire de l’amertume. La première a remarqué la disparition de l’unité dont le peuple tunisien avait fait preuve sur le même lieu il y a exactement deux ans (les logos et drapeaux des partis ayant supplanté le drapeau national en ce jour de célébration). La deuxième a souligné la division des forces démocratiques, qui ont défilé dans deux marches différentes : celle de Joumhouri-Massar-Jabha sur l’avenue Bourguiba, et celle de Nida, un peu plus loin, sur l’avenue parallèle de Mokhtar Attia.
Or, si la première réaction relève de la naïveté ou d’un angélisme déplacé, car elle ne voit pas la différence fondamentale qui oppose ces deux moments de l’histoire politique de la nation – celui de son unité dans la revendication commune du départ du dictateur et celui de sa division autour du projet sociétal à édifier, notamment – , la deuxième, elle, mérite d’être discutée et surtout, croyons-nous, relativisée. D’autant plus, que ce sont les deux marches de l’opposition qui ont créé l’événement, les différentes expressions de l’islamisme radical – salafistes, LPR, frange extrémiste d’Ennahdha – s’étant contentées de meetings sur l’avenue dont l’objectif était clairement de ne pas abandonner totalement le terrain aux forces démocratiques.
Car, s’il y a bien un enseignement à tirer des manifestations du 14 janvier, c’est bien le dynamisme de l’opposition démocratique qui détient aujourd’hui l’initiative politique et qui réussit une mobilisation populaire honorable autour de différents dossiers sensibles comme la lutte contre la violence politique, la bataille menée pour la neutralité partisane des ministères de souveraineté et le combat hautement symbolique pour la réhabilitation des martyrs et blessés du Bassin minier. Tandis qu’en face, la Troïka au pouvoir est non seulement apparue amorphe, sans grande capacité de mobilisation, étant donné le mécontentement populaire diffus sanctionnant ses mauvaises copies sur les dossiers sécuritaire, économique et social, mais aussi complètement engluée dans cet interminable feuilleton du remaniement ministériel qui dévoile au passage une grande faiblesse politique. Une faiblesse qui s’est traduite notamment par le retentissant flop du sit-in organisé par le CPR, le jour même, devant l’ambassade de l’Arabie Saoudite…
Néanmoins, ce dynamisme des forces démocratiques et leur occupation réussie du terrain demeurent entachés, aux yeux de l’opinion publique démocratique, par le triste constat de leur division matérialisée, il est vrai, par les marches séparées de leurs troupes. Mais, bien que légitime, ce regret gagne à être relativisé par la mise en perspective historique de ces deux marches. Car, l’approche dynamique a, par rapport à l’approche statique, l’avantage d’offrir une meilleure saisie des évolutions en cours et, en l’occurrence, de mieux montrer la moitié pleine du verre, quand une simple photographie du moment ne peut que nous mener à nous lamenter face à sa moitié vide.
En effet, si l’on compare l’instantané du 14 janvier 2013 à celui du 23 octobre 2011, on ne peut que constater les dynamiques de regroupement et d’unification qui sont à l’œuvre depuis et qui sont en train de mettre fin, lentement mais sûrement, à l’extrême émiettement des forces démocratiques lors de ce premier rendez-vous électoral. Faut-il rappeler ici que la Jabha est elle-même un regroupement d’une dizaine de partis ayant une certaine cohérence idéologique, que Joumhouri et Massar sont issus de la fusion de différents partis, enrichie par l’adhésion de militants indépendants et que le nouveau venu Nida est appelé à regrouper des militants, des sympathisants et des électeurs qui étaient objectivement éparpillés, il y a plus d’un an ?
Toutefois, pour mieux appréhender les dynamiques en cours, il est sans doute plus intéressant et plus pertinent de comparer les marches du 14 janvier à celles organisées trois mois plus tôt contre la violence politique, peu après l’assassinat de Lotfi Nagdh à Tataouine. Ce jour-là aussi, rappelons-le, il y eut deux marches : celle de la Jabha, d’un côté, et celle de Nida-Joumhouri-Massar, de l’autre. Ainsi, de la comparaison des deux manifestations, il ressort que le duo Massar et Joumhouri a organisé, dans un premier temps, une action commune avec Nida, puis, dans une deuxième temps, avec la Jabha et que, de ce point de vue, ce duo apparaît comme disposant d’atomes crochus aussi bien avec le premier acteur politique qu’avec le second. Massar et Joumhouri représentent donc potentiellement le point de jonction entre ces deux entités du camp démocratique, notamment le Massar qui a clairement déclaré, par la voix de son porte-parole Samir Taieb, que le Front démocratique devait se construire autour d’une alliance large allant de Nida à la Jabha !
Certes, cette jonction n’est pas pour demain. Car il n’est pas facile pour ceux qui se sont positionnés autour du rejet de la bipolarisation de la scène politique de finir par rejoindre l’un des deux pôles en présence. Comme il n’est pas facile d’échapper au feu de barrage de la propagande de diabolisation de Nida par la Troïka, visant à rendre impossible un tel rapprochement. Mais la jonction demeure un objectif possible. Elle exigera un peu de temps et beaucoup de doigté et d’intelligence politique de la part du Joumhouri et du Massar. Ce dernier, notamment, étant donné les affinités qu’il a aussi bien avec la Jabha qu’avec Nida, des relations dont il dispose chez le premier comme chez le second, aura la lourde responsabilité historique de travailler inlassablement à opérer cette jonction nécessaire à la constitution d’un Front démocratique et progressiste large, seul à même de restaurer l’équilibre dans le paysage politique et de porter la promesse d’une alternance pacifique au pouvoir.
L’exercice est difficile. Sa réussite exigera des arbitrages délicats, des compromis, voire des renoncements. Elle devra nécessairement se fonder sur une plateforme politique qui saura prendre en charge la question démocratique, certes, mais aussi la question sociale. Elle nécessitera, surtout, la mise en sourdine des ambitions personnelles et des intérêts partisans. Elle n’est certes pas acquise, mais la responsabilité de tous les démocrates est de tout mettre en œuvre pour que le Front démocratique large ne reste pas de l’ordre de l’utopie.

Baccar Gherib

mercredi 9 janvier 2013

الحوض المنجمي و الثورة و الترويكا



إن رفض المجلس الوطني التأسيسي إدراج شهداء و جرحى الحوض المنجمي ضمن شهداء و جرحى الثورة ليس بالأمر الهين . فهو لا يقتصر على مجرد ظلم لبضعة مواطنين و عائلاتهم سيتم اقصاؤهم بهذه الطريقة من حقهم في تعويضات مادية و معنوية مشروعة . و هو لا يطرح مجرد مسألة فنية يجب تركها إلى السجالات الأكاديمية بين مؤرخي الثورة في المستقبل . بل إن لهذا الرفض دلالات سياسية عميقة لأنه يوحي بأن السلطة الحالية ليست مدركة - عن وعي أو عن غير وعي - لروح الثورة و معناها الحقيقي ، و هو ما يساعد كذلك على فهم تعثراتها الحالية سنتان بعد سقوط نظام بن علي و سنة بعد صعودها إلى سدة الحكم و يفسر بالخصوص حالة الإحتقان التي تعيشها البلاد في جهاتها الداخلية . لكن قبل أن نتساءل  عن مدى مشروعية إعتبار إنتفاضة الحوض المنجمي كمنبع من منابع الثورة بل قل بدايتها الحقيقية يجب علينا العودة إلى تلك الملحمة البطولية و التذكير بأهم مجرياتها و محطاتها لكل من كان آنذاك غائباً إن جسدياً أم سياسياً .
فقد شاهد شتاء 2008 في مدن الرديف و المظيلة و المتلوي و أم لعرايس إندلاع حركة احتجاجية هائلة ضد منظومة التشغيل الفاسدة القائمة على المحسوبية و الزبونية بشركة الفسفاط  الذي تعد المشغل الأساسي بالجهة . هذه الحركة ستتواصل لمدة اسابيع رافعة مطالب التشغيل و التنمية و الكرامة متحولة و بسرعة إلى إحتجاج إجتماعي و سياسي ضد منظومة الإستبداد . كما ستواجه حصاراً أمنياً طيلة ستة أشهر و ستعطي لقضيتها سجناء و جرحى و شهداء من بينهم الشهيد الحفناوي المغزاوي الذي أعطى إسمه إلى إحدى أغاني الفنانة الملتزمة بديعة بوحريزي . و بالرغم من نجاح الإستبداد في تطويق هذا الحراك عن طريق قمع وحشي أولاً و توظيف القضاء ثانياً إلا أن هذا النجاح كان ظاهرياً و مؤقتاً . لأن إنتفاضة الحوض المنجمي حققت الأهم و هو كسر حاجز الخوف عند التونسيين . كما نجحت في إنتاج الكلمات و الشعارات التي أثثت المطالب حول حق الشغل و الكرامة إلى جانب توجيه إصبع الإتهام إلى منظومة الفساد التي كانت تحكم البلاد . و هذا الحراك الإجتماعي نجح بالأساس في زرع روح الإنتفاضة مخلفاً احتجاجات مماثلة تتالت بعده إنطلاقاً من فريانة ثم الصخيرة ثم بن قردان وصولاً إلى سيدي بوزيد التي نجحت على خلاف سابقاتها في الإمتداد و الإنتشار مطيحة بنظام بن علي .
لكن تزامن إمتداد الحركة الاحتجاجية  و وصولها إلى صفاقس و تونس مع تحول ملحوظ لأهم شعاراتها فغاب "التشغيل إستحقاق يا عصابة السراق" الذي رفع في انهج الرقاب و منزل بوزيان و ظهر "ديقاج" الذي رفع في شارع الحبيب بورقيبة يوم 14 جانفي . و بالرغم من أن 17 ديسمبر و 14 جانفي يمثلان مرحلتين متكاملتين للثورة و ضروريتين لنجاحها و بالرغم من أن شعار "ديقاج" قد وحد التونسيين وراء مطلب رحيل بن علي و عائلته فإنه بات من الواضح أن الحركة الاحتجاجية قد فقدت بوصولها إلى العاصمة محتواها الإجتماعي و الترابي . لكن لا يمكن لهذا التحول في الشعارات أن ينسينا أن قضايا الكرامة و العادلة الإجتماعية و الجهوية هي التي مثلت مصدر الثورة و روحها و أن الجهات الداخلية هي التي دفعت أغلى ضريبة للتحرر و الاطاحة بالإستبداد ! و من هنا يبدو واضحاً أن فهمنا للثورة و اهدافها سوف يختلف بإختلاف المرحلة التي نختارها للتعريف بها . فإذا عرفنا بها عن طريق لحظة 14 جانفي و مطلب رحيل بن علي ، سوف يقتصر فهمنا لها على مجرد اطاحة بمنظومة الإستبداد الفاسدة التي كانت تحكم البلاد و تعويض النخب الحاكمة القديمة بنخب جديدة عن طريق إنتخابات ديمقراطية و شفافة . و هذه القراءة للثورة هي بالذات في نظرنا قراءة الترويكا التي تبدو قاصرة على إدراك محتواها الإجتماعي و الجهوي .
فعلاً إن هذه القراءة الضيقة للثورة (المستبعدة لطابعها الإجتماعي و الجهوي) من طرف الترويكا قد تجلت بوضوح على الصعيد السياسي أولاً ، لما اختارت مكوناتها أن تلعب الإنتخابات حول قضية الهوية على حساب القضية الإقتصادية و الإجتماعية . كما ظهرت كذلك بصفة موضوعية ، أي على الميدان ، بتواصل و تعمق حالة الإحتقان و الغضب بالجهات الداخلية حيث تنامى الحراك الإجتماعي المذكر بمطالب التشغيل و التنمية و الذي يجابه أحياناً بالقمع كما كان الحال في أحداث سليانة مؤخراً . و هي تظهر اليوم على الصعيد الرمزي عن طريق إقصاء شهداء و جرحى الحوض المنجمي من القانون المنظم للتعويضات لشهداء و جرحى الثورة .
إذن يرى المتأمل في هذه القضية أن هذا الإقصاء ليس محض الصدفة بل أن له على العكس سبب عميق يكمن في هذه القراءة الضيقة للثورة المقتصرة على إقصاء النظام السابق و رموزه من حلبة السياسة و المواطنة . و إن لأكبر دليل على ذلك هو أن رئيس الحزب الحاكم اليوم يلقب ب"ضمير الثورة"  رابطات "حماية الثورة" التي اختصت على حد تعبيرها في ملاحقة و محاربة "ازلام و فلول النظام السابق"  بينما يعتبر في الوقت نفسه كجزء من الثورة المضادة أولئك الذين يتحركون في الجهات الداخلية مطالبين بالتشغيل و التنمية لأنهم يذكرونه باحتجاجاتهم المتواصلة أن الشرعية الإنتخابية لا تكفي لبلوغ المشروعية و أن هذه الأخيرة سوف تتحقق عندما نبدأ في انجازات ملموسة لصالح الجهات المهمشة و المقصية أو على الأقل عندما نظهر إرادة سياسية صادقة و قوية في هذا الإتجاه !
إن إقصاء ملحمة الحوض المنجمي لسنة 2008 من ديناميكية الثورة التونسية يعتبر خطأً مضاعفاً . أولاً لأنه يتجاهل المساهمة الأساسية لمناضلي و أهالي الحوض المنجمي في إسقاط منظومة الإستبداد . و ثانياً و بالخصوص لأنه يحمل في طياته تجاهلاً و تناسياً لروح الثورة و لمطالبها المتأكدة و المتعلقة بالتشغيل و التنمية الجهوية و هو ما يساهم في تعميق حالة الإحتقان في الجهات الداخلية . و من هذا المنطلق يعتبر رد الإعتبار لإنتفاضة الحوض المنجمي باقحامها  في سيرورة الثورة ضرورةً ليس من باب العدل في الذاكرة فقط و انما كذلك لدعم حظوظ النجاح لمسار الإنتقال الديمقراطي في بلادنا .


بكار غريب 

Le Bassin minier, la Révolution et la Troïka



Le refus exprimé par l’Assemblée Nationale Constituante de considérer les martyrs et les blessés du soulèvement du Bassin Minier de Gafsa durant les six premiers mois de l’année 2008 comme faisant partie des martyrs et des blessés de la Révolution tunisienne n’est pas une petite question de détail. Il est loin de comporter juste une injustice faite à quelques individus et à leurs familles, ainsi exclus de leur droit à un dédommagement et à une reconnaissance légitimes, et il ne se limite pas à une simple question « technique » qu’il faudrait abandonner aux débats académiques des futurs historiens de la Révolution. Ce refus trahit fondamentalement l’incompréhension – consciente ou inconsciente, voulue ou non voulue –  par le « gouvernement légal » du sens réel de la Révolution et explique non seulement ses errements actuels, deux ans après la chute de l’ancien régime et un an après qu’il se soit installé aux commandes, mais aussi le malaise profond qui étreint le pays, notamment dans ses régions de l’intérieur. Mais, pour être à même de statuer sur la question et d’établir si la révolte du Bassin minier peut être considérée comme aux sources de notre Révolution, il est nécessaire de revenir à cet épisode héroïque de notre histoire récente et d’en rappeler les principaux faits à ceux qui n’étaient pas alors physiquement et/ou politiquement présents.
En effet, l’hiver 2008 voit le déclenchement dans les villes de Redeyef, Mdhilla, Metlaoui et Omm Laarayess, d’un formidable mouvement social contestant le système clientéliste et népotique régissant l’attribution des emplois dans la compagnie des phosphates, principal employeur de la région. Il se poursuivra plusieurs semaines durant sur fond de revendications d’emploi, de développement, bref de dignité, tout en se muant en une véritable contestation sociale, certes, mais aussi politique, de la dictature. Ce mouvement qui tiendra un siège de six mois, donnera, à la suite d’un procès inique, ses prisonniers politiques à la contestation de la dictature, mais aussi ses premiers martyrs, dont Hafnaoui Maghzaoui, célébré par une émouvante chanson de Badiâa Bouhrizi. Certes, grâce à la répression et à l’instrumentalisation de la justice, la révolte semblait avoir été matée par la dictature et endiguée. Mais ce n’était là que l’apparence des choses. Car cette révolte inédite a réussi le plus dur : casser le mur de la peur chez les Tunisiens ! Mieux, elle a élaboré les mots et les slogans qui ont formulé les revendications en termes de droit au travail et à la dignité, tout en contestant le système mafieux mis en œuvre par le régime déchu. Elle a surtout insufflé son esprit suscitant des révoltes similaires, de proche en proche, à quelques mois d’intervalle les unes des autres, d’abord à Feriana, puis à Skhira et, l’été 2010, à Ben Guerdane, et, enfin, l’hiver de la même année, à … Sidi Bouzid où, cette fois, elle réussira à s’étendre et, ce faisant, aura été à l’origine de la chute du régime de Ben Ali !
Toutefois, en s’étendant pour atteindre Sfax puis Tunis, la révolte a vu la mutation de ses principaux slogans, passant du célèbre « Le travail est un droit, bande de voleurs ! » scandé dans les rues de Rgueb et Menzel Bouzaiene au très parlant mais plus limité politiquement « Dégage ! » de l’avenue Bourguiba. Certes, il n’est pas opportun d’opposer le 17 décembre au 14 janvier, comme s’ingénient à le faire certains « purs et durs », car ce furent là deux moments nécessaires et complémentaires sans lesquels la Révolution n’aurait pas abouti, le « dégage ! » symbolisant finalement l’unité des Tunisiens dans la revendication du départ de Ben Ali et de sa famille. Mais il n’en demeure pas moins que dans sa migration des régions de l’intérieur vers Sfax et Tunis, la contestation du régime déchu s’est délestée de son contenu social voire territorial ! Sauf que ce qui est à l’origine de notre Révolution, ce qui lui donne son sens profond, demeurent les questions de justice sociale et territoriale et, à travers elles, de dignité, soulevées par les régions défavorisées, qui ont au demeurant payé le plus lourd tribut à la libération du peuple tunisien du joug de la dictature.
Dès lors, la compréhension de la portée de la Révolution et l’identification de ses principales revendications différent selon qu’on l’appréhende à travers le moment de son déclenchement ou celui de son couronnement. Ce dernier limitant clairement la Révolution à la fin de la dictature mafieuse du système de Ben Ali et, donc, à un simple remplacement des anciennes élites gouvernantes par de nouvelles à la faveur, il est vrai, des premières élections libres et transparentes du pays. Or, cette lecture semble être précisément celle du pouvoir actuel, qui paraît incapable de saisir et d’assimiler le contenu social et territorial de la Révolution.
En effet, cette lecture réductrice de la Révolution par la Troïka est apparue d’abord politiquement, quand ses composantes ont préféré jouer les élections sur le terrain de la question identitaire aux dépens de la question économique et sociale. Elle est apparue ensuite objectivement, sur le terrain, avec la permanence du malaise voire de la colère dans les régions de l’intérieur, où les mouvements sociaux réclamant emploi et développement se succèdent avec parfois, comme à Siliana, des dénouements dramatiques, et sonnent à chaque fois comme autant de piqûres de rappel. Elle apparaît, aujourd’hui enfin, symboliquement, avec l’exclusion des blessés et martyrs du Bassin minier du statut de « blessés et martyrs de la Révolution », comme pour mieux évacuer les revendications légitimes des régions défavorisées de l’intérieur.
Ainsi, cette exclusion n’est en fin de compte pas due au hasard. Elle a, au contraire, une cause profonde qui gît dans cette lecture étriquée de la Révolution, limitée à l’exclusion de l’ancien pouvoir et de ses hommes de la sphère politique et citoyenne. Il est en effet pour le moins symptomatique que le président du principal parti au pouvoir consacre comme « Conscience de la Révolution », ses propres « Ligues de Protection de la Révolution » dont la vocation serait de traquer, de « purifier » et soi-disant d’interdire le retour aux commandes des hommes du passé. Tandis que ceux-là même qui ont été à l’origine de la Révolution, qui lui ont donné ses mots d’ordre, ses militants et ses martyrs, apparaissent à ses yeux comme des contre-révolutionnaires, parce que, en le contestant, ils lui rappellent chaque jour qu’il ne suffit pas d’être légal, mais qu’il faut aussi accéder à la légitimité. Or, celle-ci ne se gagne pas seulement dans les urnes, mais surtout par des réalisations concrètes en faveur des régions sinistrées de l’intérieur ou, au moins, en montrant un minimum de volonté politique dans ce sens !
Retrancher l’épisode de la révolte de 2008 de la dynamique de notre Révolution serait, pour cela, doublement fautif. D’abord, parce que ceci signifie ignorer la contribution fondatrice des militants et de la population du Bassin minier à la chute de l’ancien régime. Ensuite, et surtout, parce que ceci équivaut à passer à côté du sens de la Révolution et de ses principales revendications et donc à éterniser le malaise et la colère des populations de l’intérieur. De ce point de vue, la réhabilitation de la révolte du Bassin minier s’avère impérative non seulement pour l’équité de la mémoire, mais aussi pour la bonne marche de notre transition démocratique.
Baccar Gherib
La Presse, le 4 janvier 201