Le verdict du procès des syndicalistes du bassin minier de Gafsa est tombé ; il reproduit, pour ainsi dire, celui décidé en première instance. Les peines prononcées à l’encontre des figures de proue du mouvement social sont extrêmement lourdes, simplement réduites de dix ans à huit ans d’emprisonnement ferme. Quel gâchis !
A la différence de leurs précédentes comparutions devant les tribunaux, les accusés ont pu, cette fois, parler. Et ce qu’ils ont tous dit, chacun à sa manière, est édifiant à plusieurs titres sur l’état de notre pays et a convaincu tous les observateurs qu’ils sont des hommes de raison, porteurs des préoccupations de leur population et de leur jeunesse, attachés à l’expression pacifique de leur mécontentement, rejetant et combattant la violence, les déprédations et les atteintes aux biens publics et recherchant le dialogue.
Les accusés que les observateurs ont entendus sont surprenants de dignité et de responsabilité. Chacun a son style, sa personnalité, mais tous ont parlé d’une seule voix : leur solidarité est communicative.
Ce qu’ils ont dit doit être connu de tous. Parce qu’il est d’une gravité extrême, interpellant solennellement la justice, le Parquet et les autorités politiques de notre pays. Qu’ont-ils dit aux juges et aux observateurs ?
Le comité de négociation : un comité de syndicalistes, constitué à la demande des autoritésIls nous ont dit que ce sont les autorités régionales qui ont pris l’initiative, face au mécontentement et aux manifestations générées par le népotisme qui a caractérisé l’opération de recrutement de la Compagnie des Phosphates de Gafsa (et que le Chef de l’Etat a lui-même dénoncée), de demander à Adnene Hajji de constituer un comité pour négocier avec elles les termes d’une solution au problème. Un comité de cinq syndicalistes a donc été constitué à cet effet et a tenu de nombreuses séances de travail avec les autorités régionales, avec les responsables de la CPG, avec un représentant du Ministre de l’Intérieur, au siège du ministère et avec même le Ministre de la Santé! Des procès-verbaux de nombre de ces réunions existent et des progrès significatifs ont été réalisés dans la résolution des problèmes grâce à ce dialogue, ont déclaré aux jurés, les accusés.
"L comme Liberté"
Contre les fruits du dialogue, à chaque fois des tentatives de sabotageIls ont dit qu’à chaque fois qu’ils avaient trouvé un accord avec les autorités régionales et les autres parties prenantes, des tentatives de sabotage ont eu lieu. Des tentatives portant atteinte aux biens publics, telles que l’installation de tentes sur la voie ferrée pour empêcher les trains de marchandises de circuler au moment où la CPG avait besoin d’acheminer son phosphate vers les centres de transformation pour son exportation, à un moment où les cours internationaux étaient extrêmement favorables, le blocage de la circulation dans des endroits névralgiques et même des formes violentes, comme cela a été le cas avec l’attaque et la destruction du commissariat de Redeyef par des jets de pierres par une bande de jeunes masqués.
Les commanditaires des actes de violence : une bande connue, ayant des ramifications dans des lieux de pouvoir locauxLes coordinateurs et les commanditaires de ces actions relèvent d’une seule et même bande (‘isaba’) ont répété de nombreux accusés. C’est cette bande, qui est connue de tous et dont certains dirigeants ont même été nommément désignés par des accusés, qu’il faut juger, ont-ils répété. Les accusés accusent des personnes du Comité de Coordination du RCD, du conseil municipal, des syndicalistes corrompus d’être les instigateurs de ces violences et de ces atteints aux biens et à l’ordre publics. Ils accusent les responsables des forces de l’ordre d’avoir été, en quelque sorte, leurs complices.
Ils demandent que ces gens soient tous jugés. Adnene et ses camarades disent qu’ils ont, à chaque fois, pris l’initiative, en compagnie de responsables régionaux, d’aller dénoncer ces actions et demander à leurs auteurs d’y mettre un terme. Ils demandent que ces responsables soient appelés pour témoigner.
Traitements dégradants, violence, harcèlements sexuels et tortures systématiquesPratiquement tous les accusés se plaignent des brutalités, des mauvais traitements et des séances de torture qu’ils ont subis. Pluie de coups de la part de dizaines de membres de la police à l’occasion de leur première arrestation devant les locaux de l’Union locale de l’UGTT en présence de toute la population, durant leur transport et torture organisée durant les quatre jours de détention qu’a duré leur première arrestation.
Durant cette arrestation et durant les suivantes, pratiquement tous les accusés ont dénoncé les diverses formes de torture : la privation de sommeil pendant de nombreuses journées, le tabassage répété dans la position du «poulet rôti», la mise à genoux, complètement nu, et menaces de lui enfoncer un bâton si le détenu refuse de signer le procès-verbal de reconnaissance de sa culpabilité. Un des accusés a déclaré qu’il a dû signer, parce qu’on l’a menacé de lui amener sa mère et de la violer devant lui s’il n’obtempérait pas. Un autre accusé a dit qu’il couvrait une partie de son corps meurtrie par des coups et que son tortionnaire, s’en étant rendu compte, a pris un malin plaisir à lui retirer la main qui la couvrait pour y taper de plus belle avec ses collègues. Et des injures et des insanités qui ont fait dire à un accusé qu’il n’a jamais imaginé la richesse d’un tel lexique et une telle concentration en un même lieu et un en temps aussi court. Des noms de tortionnaires ont même été prononcés.
Pillage de biens privés, entrées par effraction dans des domiciles privés et vol de biens et d’argent de la part des forces de sécuritéAu-delà de ces pratiques inhumaines, ce que les accusés ont mis en exergue, c’est le pillage organisé de dizaines de magasins, l’entrée par effraction et le vol d’argent dans des domiciles, y compris de la part des forces de sécurité.
Quand on a entendu cela, rester silencieux est un crime.
A plusieurs titres, les pouvoirs publics sont interpellés. Il est de leur devoir d’engager sans plus tarder les enquêtes et de faire toute la lumière sur ces accusations qui flétrissent notre pays et ses institutions. Et si ces accusations étaient avérées, il est impératif que ces autorités signifient à toutes les Tunisiennes et à tous les Tunisiens qu’elles ne laisseront «Plus jamais çà !»
Mahmoud Ben Romdhane