jeudi 26 novembre 2009

« La prospérité du vice » de Daniel Cohen: Une belle mise en perspective historique des problèmes de notre monde !


Par ce bel ouvrage, intelligent et souvent lumineux, qui parcourt avec aisance dix mille ans d’histoire humaine, du néolithique à nos jours, Daniel Cohen administre la preuve qu’il n’y a rien de mieux, pour comprendre l’actualité, que de la mettre en perspective historique. Mieux encore, ce livre montre que c’est l'histoire qui pose les questions de théorie économique les plus passionnantes et que, si elle est intelligemment parcourue et interrogée, elle peut s’avérer porteuse d’une irremplaçable initiation à la pensée économique. Un petit détour par l’histoire est, en ce sens, d’une redoutable efficacité pédagogique. Et, de fait, le voyage auquel nous convie l’auteur, confortablement « installés sur le épaules de quelques géants de la pensée économique », est une occasion pour nous présenter, à la fois, les principales « énigmes » de l’histoire universelle, et les principales « lois » et problématiques économiques des sociétés agricoles, d’abord, industrielles, ensuite, et de nos sociétés postindustrielles, enfin.

Ainsi, c’est armé des plus récentes avancées de l’investigation historique que Daniel Cohen nous donne le « fin mot de l’histoire » sur les « énigmes » telles que la révolution néolithique, le blocage de l’empire romain, la fin de la féodalité et la croissance européenne qui l’a suivie. Et nous sommes agréablement surpris de voir, à travers les chapitres, s’égrener des explications qui transcendent les thèses strictement « économicistes », voire matérialistes, habituelles. Ainsi, le passage au néolithique n’est plus la conséquence d’une contrainte économique et démographique qui aurait acculé les hommes à « découvrir » l’agriculture et à domestiquer des animaux. Car, la sédentarité ayant précédé la découverte de l’agriculture, il est plus probable que cette nouvelle organisation de la société et cette nouvelle attitude vis-à-vis de la nature – visant à la maîtriser – soient dues à un changement de cadres de référence, à une révolution intellectuelle ! Depuis qu’ils se sont considérés comme créés par des dieux, les hommes se seraient, à leur tour, perçus comme « créateurs », transformateurs du monde qui les abrite ! Idem pour la modernité et la révolution industrielle. La révolution dans le monde de la production a été longuement préparée par les philosophes et les scientifiques européens. Cette révolution inaugure l’ère de la « croissance indéfinie » et libère les sociétés humaines de la contrainte de la loi de Malthus qui les condamnaient à alterner les phases de croissance avec celles de crises, de malnutrition, de pandémies et de guerres !

Nous voilà ainsi portés dans le monde de la société industrielle, celui des machines, des travailleurs et des rendements croissants ; celui de Smith et de l’autorégulation du marché, mais aussi, celui de Marx et de l’exploitation ! La division du travail est à l’origine de la croissance, certes, mais de la concentration et du monopole aussi.

Toutefois, c’est quand il se penche sur la phase des trente glorieuses, que Daniel Cohen nos livre l’appréciation la plus pessimiste de son ouvrage : cette phase est une « anomalie », les trente glorieuses, avec le système de solidarités auxquelles elles ont donné naissance, ne reviendront jamais ! Elles ont été possibles comme rattrapage de l’Amérique, et rien d’autre. De plus, le capitalisme actionnarial d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec le capitalisme managérial de l’époque, ainsi que l’a montré la crise des subprimes.

Habitués à consommer toujours plus, nous sommes aujourd’hui confrontés à des défis autrement plus sérieux, comme le risque écologique énorme que nous faisons courir à notre planète. Daniel Cohen nous invite à maîtriser les enjeux de l’économie et à ne pas découvrir, tardivement, ses lois inéluctables. Il y va de notre avenir à tous !

Baccar Gherib

Aucun commentaire: