lundi 17 novembre 2008

La 22ème édition des JCC : coupes transversales


En dépit d’un palmarès plutôt frileux et consensuel, cette 22ème édition des JCC a été riche en enseignements. Nous aborderons deux aspects qui nous ont le plus interpellé : Les promesses d’une vitalité retrouvée de la fiction arabe et les prémisses de renouveau du cinéma tunisien à travers l’effervescence du court-métrage.

Que Teza soit, pour les uns un chef-d’œuvre absolu, pour d’autres (dont nous faisons partie) un film ampoulé et pesant, c’est affaire de goût et de sensibilité et un festival n’est pas réductible aux films primés.

Ce qui est rassurant, c’est que les JCC nous ont permis de découvrir des films fragiles, à très petits budgets, parfois inaboutis qui ont cette audace que l’on croyait perdue à jamais de s’émanciper de la tutelle paralysante des pères, pour faire du cinéma autrement.

Ibrahim Battout avec Ein Chams et Chadi Zineddine avec Falling from earth sont représentatifs de ce vent de renouveau qui souffle sur le cinéma arabe. Ein Chams est une méditation sur l’Egypte d’aujourd’hui à travers une galerie de personnages touchants de sincérité. Par le biais d’un scénario partiellement déconstruit et d’une esthétique proche du documentaire, Ibrahim Battout trouve la tonalité juste pour nous immerger dans l’Egypte d’en bas sans sensiblerie ni misérabilisme. Si on marche, c’est que ce film a su nous ménager un espace en tant que spectateur dans un film délibérément troué et ouvert. C’est dans ces béances du récit et de la forme qu’il puise sa force et qu’il se met en même temps en péril. Et c’est tant mieux pour son cinéma qui en sort ennobli. Ein Shams a été fait contre le système sans autorisations, ni moyens, un film de contrebande qui lui a valu l’excommunication des gens de la profession. Il est la preuve que le désir de cinéma prime les obstacles de différents ordres.

Chadi Zineddine, avec Falling from earth, entreprend une réflexion sur la mémoire de la guerre dans une ville de Beyrouth dévastée. Trois photos accrochées sur un mur parmi des dizaines d’autres au milieu d’un no man’s land occupé par un vieux monsieur, gardien de la mémoire, constitueront le point de départ au déploiement de trois histoires qui couvrent le passé proche d’un pays dont tous les malheurs sont imputables à sa géographie. La radicalité du film est à rechercher dans son minimalisme et sa manière de raconter et de mettre en scène proches de l’expérimentation. Les traumatismes du passé sont réduits à des gestes et à des expressions lisibles sur des visages, à des trajectoires hiératiques de personnages mutiques.

Si ces deux films nous interpellent c’est qu’ils osent questionner les formes de représentation établies dans le cinéma arabe et explorent de nouvelles voies pour l’écriture cinématographique en se démarquant du ronron du naturalisme dominant dans nos contrées.

Avec deux prix obtenus par deux jeunes réalisateurs issus de l’ISAMM (respectivement le deuxième prix de la compétition vidéo pour Mémoire d’une femme de Lassaad Oueslati et le Tanit d’argent du court métrage pour Lazhar de Bahri Ben Ahmed), le cinéma tunisien se doit d’être repensé en fonction de cette nouvelle donne. L’arrivée sur le marché de nouveaux talents animés d’un désir impérieux de faire des films à n’importe quel prix. La démocratisation des moyens de production rend possible aujourd’hui la réalisation de projets (aussi bien dans le court-métrage que dans le documentaire) avec des budgets très réduits. Ce cinéma libre, affranchi de toute tutelle est porteur d’un vent de renouveau. Lazhar, Mémoire d’une femme, Silence de Karim Souaki ou le projet de Mohamed Ali Nahdi sont des films à très petits budgets dont les qualités augurent de lendemains meilleurs pour le cinéma tunisien. Ils ne sont pas les seuls, du côté des courts subventionnés, les films de Malik Amara, Sami el Haj, Mohamed Ajbouni, Nadia Touijer, Nasreddine Esshili ou encore Ghanem Ghawar et Mourad Ben Cheikh sont la preuve que quelque chose est en train de bouger dans le cinéma tunisien à condition que l’on y soit attentif.

Le court-métrage et le documentaire sont aujourd’hui les lieux où est en train de se dessiner l’avenir du cinéma sous nos cieux, le long-métrage à de rares exceptions étant enferré dans une crise de créativité dont on a désespéré de voir l’issue. Espérons que ces genres fragiles et minoritaires bénéficieront de l’écoute et de l’encouragement qu’ils méritent.

Ikbel Zalila

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