dimanche 28 décembre 2008

من ضربة المِنَشّة إلى ضربة الحذاء، غبن عربي مستمرّ

يقال وأن التاريخ لا يعيد نفسه ولكن تفنّد الأحداث الأخيرة هذه المقولة إذ يعقد العرب مجدّدا مع حوادث الضرب "الدبلوماسي" التي تِؤكد أن تاريخهم معاودة أبديّة وحلقة مفرغة يدورون فيها كالأرواح التائهة. ضرب الداي التركي- الجزائري قنصل فرنسا دوال يوم 30 أفريل سنة 1827، وكلّف ذلك الجزائريّين 130 سنة من الاحتلال ومئات الآلاف من الضحايا والمشرّدين، وها أن صحفيا عراقيا يحاول في الآونة الأخيرة ضرب الرئيس الأمريكي جورج بوش بحذائه.

وبمعزل عن بعدها السياسي وعن تنزّلها الطائفي الملفت للانتباه وعن رمزيتها أو إثارتها التي سعدت بها الفضائيات، وبخاصة منها العربيّة، لأنها تخرج الأخبار من رتابة الفضائح المالية المطّردة والأزمة الإقتصاديّة المتناميّة التي عصفت بعائدات البترول، تستوقفنا هذه الحادثة لأن العرب بلغوا من خلالها هُوى المحيطات الغوريّة كما يقول الجغرافيون لأن الأمر لم يعد حكرا على "العامّة" بل شمل "الصفوة". وتكشف لنا مدى انطباعيّة الشارع العربي وردود فعله الطفوليّة وعمق غبن أفراده وخيبتهم من خلال تعبيرهم عن "فرهدتهم" وعن الغُمّة التي أزيلت من قلوبهم وليجعلوا من الصحفي المذكور بطلا قوميا نهضوا يطالبون بإطلاق سراحه وتقديسه. شعوب تعيش على قيم النخوة الوهميّة والرجولة المغلوطة أو بالأحرى الفتوّة. شعوب استبطنت عقمها وعجزها لتجد سُلوتها في استذكار أمجادها الغابرة أو في التهليل "لبطولات" تخرجها ولو لحين من غياهب سجنها المظلم وتنسيها واقعها المقيت. شعوب تخاف اليُتم ولذلك تحتاج دوما إلى خلف فالح لسلف صالح أو إلى "زعيم" ينير لها السبيل ويقيها غوائل الدهر، ترفض أن ترى في اليُتم خلاصا لأنه يخلّصها من "أولي الأمر" ويضعها في مواجهة مصيرها. شعوب تسعى في كلّ مناسبة إلى تصدير مظاهر غبنها للتشهير بخارجانيّة أنظمتها وبالشيطان الأكبر المتسبّب في همومها ومآسيها وتأبى أن ترى في ذاتها عللها ودواءها وأن تؤمن بالفعل الجماعي الخلاّق.

وفي الحاصل، طار الحذاء وتفاداه بوش وأصبح موضوع تندّر ولكن لم يحرّر العراق ولم تقم الدّولة الفلسطينيّة ولم تنجل الغمّة بل اكتست هنا ثوبا لغويا آخر يقصد به الشيء الذي يحجب الرؤيا وهذا ما نخشاه وهو أن تتحوّل هذه "البطولات" إلى حجاب يزيد واقعنا كُمدة ويمهّد لحجاب آخر قد يجعل من نهارنا ليلا مدلهما أبديا.

بئسا لشعوب تبحث لنفسها عن رموز وحماة حتى قدوم المهدي المنتظر ولمؤرخين روّجوا لتاريخ معتصم ومعتضد ومنصور وزعيم خالد وقائد شهيد وتنكروا للقرامطة والزنج وانتفاضة 1864 العارمة... وتبّا لجدّاتنا اللواتي ربيننا على العنتريّة وعلى بطولات علي ولد السلطان وأبي زيد الهلالي.

كارم داسي

vendredi 26 décembre 2008

Béchir Laabidi attrape la tuberculose en prison !

Au bout de plusieurs mois de démarches vaines auprès des services pénitentiaires, le prisonnier d’opinion Béchir Laabidi, condamné le 11 décembre à dix ans de prison avec d’autres militants pour le droit au travail, a pu être enfin examiné par un phtisiologue, qui a diagnostiqué une … tuberculose contractée depuis trois mois au moins, ce qui en dit long sur les conditions de promiscuité dans nos prisons et sur l’incurie des autorités de tutelle !

Laabidi a été transféré à l’hôpital régional de Kasserine. On apprend cependant qu’il est littéralement «cloué au lit», puisqu’il a une jambe menottée !

Cette situation est inadmissible. Non seulement c’est par la faute des autorités que Béchir Laabidi se trouve dans l’état où il est, mais encore il est soumis à de mauvais traitements attentatoires à sa dignité d’homme et d’enseignant.

Il est temps de libérer cet homme ainsi que toutes les victimes de la répression qui s’est abattue sur Redeyef et les autres villes de la région. En attendant, qu’il soit au moins transféré d’urgence à l’hôpital de l’Ariana !

Attariq Aljadid

jeudi 25 décembre 2008

vendredi 19 décembre 2008

La magie des «60 ans» en Tunisie

«Soixante ans» en Tunisie, c’est l’âge de la retraite d’office pour des universitaires, fussent-ils de grande valeur, connus pour leur indépendance d’esprit et leur liberté de penser, ou encore pour leurs activités syndicales ou politiques qui ne plaisent pas à certains ministres connus pour leur tendance à confondre université et parti au pouvoir.

«Soixante ans» serait-il aussi, dans notre pays, l’âge de la retraite pour la Déclaration universelle des droits de l’homme qui subit, à l’occasion de son soixantième anniversaire, le même sort, ou pire, malmenée qu’elle fut par des procès iniques, précédés de tortures et suivis de mauvais traitements, ou encore par l’interdiction de manifestations aussi pacifiques que la réception organisée par la Ligue tunisienne des droits de l’homme le 10 décembre 2008, ou la commémoration organisée par «Amnesty International» le 13 décembre dernier à Tunis.

Pourtant, comble de l’ironie et de la duplicité, une circulaire, émanant du Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de la technologie, appelle les enseignants à consacrer le 10 décembre 2008 une partie de leur séance de cours pour expliquer le sens de cette Déclaration universelle! Comment les collègues se sont-ils tirés d’affaire et quels débats cela aurait-il suscités? Il serait intéressant de s’en enquérir auprès des enseignants concernés!

Dans cette même circulaire, adressée aux doyens et directeurs, il est recommandé d’organiser des «caravanes» d’étudiants ayant pour objet de les sensibiliser sur l’importance des principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Certains responsables de facultés et écoles auraient été bien inspirés de concrétiser cette recommandation en dirigeant leurs caravanes vers la région de Gafsa et plus précisément vers le Palais de justice rattaché au «Ministère de la justice et des droits de l’homme» ou encore vers les familles victimes du non respect de ladite Déclaration, à Redeyef en particulier!

Après l’éclatant succès du film «Thalathoun» de Fadhel Jaziri, et de l’œuvre théâtrale «Khamsoun» de Fadhel Jaïbi, n’y a-t-il pas là matière à une nouvelle production artistique, aussi engagée, qui serait intitulée «Settoun» et signée F.J.?

Jounaïdi Abdeljaoued

Procès de Gafsa. La volonté de mater : une mise en danger de la Tunisie

Le Tribunal de première instance de Gafsa a prononcé un verdict d’une extrême sévérité.

Une présence policière étouffante
Le cadre dans lequel ces condamnations sont intervenues est marqué par l’exhibition d’un important appareil policier. Dès les premières heures de la matinée, un dispositif procédait au maillage des principaux axes routiers du pays, y compris ceux de la ville de Tunis, autorisant des personnes à assister au procès et à continuer leur route et empêchant d’autres et les obligeant à rebrousser chemin. Un dispositif encore plus dense barrait l’entrée même du tribunal.

A la reprise du procès, durant la nuit, lors de l’annonce des condamnations, trois cordons imposants de policiers ont été mis en place dans la salle d’audience : un premier entre les jurés et les accusés, un second entre les accusés et leurs avocats, un troisième entre les avocats et le public.

De la police, il fut grand cas au procès : tous les avocats ont dénoncé la torture systématique subie par leurs clients durant leur détention. Tout ce quadrillage, toute cette mise en scène pour juger qui ? Coupables de quoi ?

Les accusés sont des jeunes en majorité, mais bien encadrés par d’autres, plus âgés. Ces derniers sont des pères de famille, des responsables syndicaux, n’ayant jamais cessé d’user de moyens pacifiques pour exprimer la colère légitime, le désespoir de leurs populations, recherchant le dialogue avec les autorités.

Ce qu’ils semblent avoir tous en commun, c’est du courage et de la dignité. Dans un Etat de droit, leurs dirigeants sont les négociateurs les plus prisés, car ils ont les qualités d’être à la fois représentatifs, ouverts au dialogue et y appelant même, capables de contracter de vrais compromis et de les défendre auprès des intéressés.

Le cycle infernal répression-résistance
Au lieu de cela, les voilà condamnés à dix ans pour «participation à une entente criminelle en vue de commettre des attentats contre les personnes et les biens, rébellion armée commise par plus de dix personnes et troubles à l’ordre public» !

Comme on pouvait s’y attendre, le lendemain même, de nouvelles manifestations de colère en réaction au verdict. Et de nouvelles arrestations. Et le cycle de la répression-résistance-répression de se poursuivre ; ce cycle dans lequel la région est plongée depuis maintenant presque un an. Et dont on voit, non pas la fin, mais l’amplification et l’extension.

Par-delà les dures souffrances endurées par les condamnés et leurs familles, la compassion que chacun d’entre nous peut ressentir à leur égard et l’expression réitérée de notre solidarité, on ne peut qu’être préoccupé par la manière dont ce conflit est géré par le pouvoir.

En effet, depuis que la Tunisie a accédé à son indépendance, les autorités de ce pays savent qu’on ne traite les problèmes sociaux ni par le mépris, ni par le bâton. Lorsqu’elles ont ignoré cette règle, elles ont ouvert la boîte de Pandore, livré le pays aux plus grandes (més)aventures et fini par en payer le prix.

Le pouvoir actuel est fort de ces leçons: même durant les années de plomb du milieu des années quatre-vingt-dix, au cours desquelles les libertés fondamentales étaient durement réprimées et la torture dénoncée par les organisations nationales et internationales comme un instrument de pouvoir ayant conduit à des dizaines de morts en détention, les mouvements sociaux de mécontentement, ont bénéficié de son écoute. Les Gouverneurs se rendaient sur les lieux, dialoguaient avec les acteurs et recherchaient, avec eux, les solutions. Les crises sociales locales étaient assez vite circonscrites et de réels compromis trouvés.

Une politique répressive incompréhensible
La crise du bassin minier fait, de ce point de vue, exception. Elle n’a fait qu’enfler, prendre une dimension nationale, puis maintenant internationale. Elle a eu ses morts et ses blessés, ses prisonniers et ses victimes par dizaines; elle a donné lieu à l’intervention de l’armée. Et onze mois après son déclenchement, elle n’est pas close, loin s’en faut. Elle interpelle tous les observateurs et tous les Tunisiens, parce qu’elle est symptomatique d’une incapacité inédite du pouvoir à la juguler et même à créer les voies et les moyens d’un véritable dialogue. Et elle nous interpelle d’autant plus que le détonateur de cette crise (l’irrégularité des opérations de recrutement à la CPG) a fini par être dénoncé au sommet de l’Etat de manière publique et que les problèmes de fond (le chômage massif des jeunes et l’enclavement de la région) ont commencé à recevoir un traitement, certes encore partiel et incomplet, mais qu’il serait injuste de balayer d’un revers de main.

Alors pourquoi cet acharnement ? Pourquoi cette volonté de mater ?

Il urge que nos pouvoirs publics se réapproprient la leçon tirée de l’histoire passée : les mouvements sociaux de ce pays ne peuvent pas être traités à la trique. A l’exhibition et à l’usage de la force pure, il est de leur intérêt de substituer la force du dialogue. La sauvegarde de notre pays en dépend. La leur aussi.

Mahmoud Ben Romdhane

mardi 16 décembre 2008

Y a qu’à… faudrait que… Réflexions d’un démocrate pantouflard ordinaire

Vous y allez en 2009? Mais vous êtes fada ou quoi ?

Seriez-vous devenus aveugles au point de ne plus distinguer cet horizon rouge - mauve qui n’en finit pas de remplir toute l’atmosphère ???

Bande de benêts et de naïfs !!!

Comment allez-vous aborder cette compétition déjà jouée d’avance ???

Cocus multirécidivistes, vous êtes, cocus à vie, vous resterez !!!

Tiens! Je vous trouve même un brin maso, incapables que vous êtes de retenir les leçons du passé. Le temps de deux semaines de campagne, vous allez distribuer des tracts, organiser des meetings dans des salles petites comme une cabine téléphonique, avoir même droit à des passages télé à 10h du matin, heure d’écoute optimale s’il en est.

Une fois cette embellie retombée, les résultats vont tomber des p’tits 1 pour cent, voire 2 ou trois, quelques strapontins ici et là et bis repetita, le rapport des forces restant toujours le même.

A votre place j’aurais boycotté cette mascarade, dénoncé ce déni démocratique. Il n’y a qu’à mener un combat frontal avec le régime, descendre dans la rue pour protester. Il faudrait porter la cause démocratique jusqu’aux villages les plus reculés de la Tunisie et convaincre le maximum de citoyens de se révolter contre la manipulation honteuse du choix populaire. Si j’étais le leader d’un parti politique, voilà ce que j’aurais fait.

En attendant, je me tiendrai bien peinard et le jour du vote, j’irai à la chasse, je ferai du jardinage ou bien je me mijoterai un bon petit plat en l’accompagnant d’une bonne bouteille, tranquillement casé dans mon duplex 5 pièces. C’est bien plus reposant que de d’aller se faire voir dans une compétition pipée dont ne sortira qu’un vainqueur, les sortants !!!

MBJ

dimanche 14 décembre 2008

Interview exclusive à Attariq Al Jadid de -Z-, auteur du blog «DébaTunisie»

Attariq Aljadid : Quel est votre sentiment après cette censure?

-Z- : J’éprouve de la tristesse de voir mon blog amputé de 80% de ses lecteurs (car il reste accessible de l’étranger). J’éprouve aussi de la désillusion. Car je pensais avoir trouvé jusqu’ici le ton juste qui me permettait d’échapper aux ciseaux de Ammar. J’éprouve enfin de la peur de voir que je suis un éventuel «élément perturbateur» susceptible d’être la cible des autorités, si jamais elles décident de me retrouver.

Je me remets donc à l’évidence : nous avons l’impression de ne pas avoir affaire à des humains capables de modération, mais plutôt à une machine dont le seul objectif est d’obéir aux consignes sans flexibilité aucune.

A.A : Votre blog s’est, d’une certaine manière, spécialisé dans l’analyse et le commentaire des infos économiques scrutant tout ce qui est grand projet, déclassement, etc. Pensez-vous que cette information est gênante ?

-Z- : Je pense que la censure ne porte pas tant sur ce type de critique. Pourtant je reste persuadé que ce type d’information (les mégaprojets et le bradage du bien public) dans l’absolu est aussi gênant (voire plus) que de traiter de la politique politicienne. Il me semble que dans leur système de filtrage, les mots que j’employais et les caricatures n’étaient pas assez explicites pour les gêner, même si, en filigrane, c’était le politique que je visais.

Je crois que devant la masse de sites qu’ils passent au crible tous les jours, ils ne peuvent pas non plus s’attarder sur ce genre d’analyse. Je regrette d’ailleurs de n’avoir pas su garder ce ton, cela m’aurait épargné cet incident.

A.A : A quoi imputez-vous les foudres de Ammar 404 ?

-Z- : J’ai pu identifier l’IP de l’ATI et il semblerait qu’ils aient focalisé sur les articles traitant des «marabouts» et des «saints patrons». Mais je crois qu’ils m’avaient déjà à l’œil le jour où j’avais commencé à étendre ma critique au terrain sensible de la politique.

A.A : Pensez-vous que cette politique de la censure exercée par l’ATI peut être efficace pour contrôler la libre expression parmi les bloggeurs tunisiens ?

-Z- : Sur le court terme, cette méthode est efficace. Sur le long terme, je crois qu’elle sera très préjudiciable au système tout entier. Une génération tout entière de bloggeurs se politise et s’intéresse au débat public rien qu’à cause de la censure. Ce qui leur semblait abstrait devient pour eux sensible et concret. Toutes les mobilisations qu’a connues la blogosphère tunisienne, fussent-elles symboliques, témoignent de l’émergence d’une conscience politique nouvelle. Je ne dis pas que la blogosphère représente aujourd’hui un contre-pouvoir, mais je pense qu’elle est un laboratoire et un champ d’exercice pour la lutte qui devrait un jour ou l’autre commencer…

Le blog «DébaTunisie» nouvelle victime de la censure de l’ATI

La nouvelle est tombée tel un couperet, il y a deux jours. Les ciseaux de Ammar 404 se sont attaqués au blog «DébaTunisie» suite à son dernier post analysant le «Syndrome Intello Déficience Acquise» qui, à l’en croire, ronge le pays depuis deux décennies et qui fut accompagné, comme à son habitude, d’une caricature très parlante.

Certes, «DébaTunisie» n’est pas le premier blog tunisien qui subit les foudres de l’ATI – et il ne sera probablement pas le dernier. Mais sa censure fait événement car il s’agit indubitablement de l’un des blogs les plus lus et les plus suivis de la blogosphère tunisienne et ce, grâce à la crédibilité de ses informations, à la pertinence de ses analyses et, surtout, à son extraordinaire talent de caricaturiste.

Ainsi, «DébaTunisie» s’est en quelque sorte spécialisé dans la révélation d’importantes affaires économiques qui sont en général tues par nos médias. Il suit avec une attention particulière les grands projets immobiliers qui ont eu des visées sur des zones naturelles ou archéologiques protégées – Zembra, le lac de Tunis, Sidi Bou Saïd, Carthage et, tout récemment, Korbous. Il fait, ce faisant, preuve d’un sens civique très poussé et mène un combat d’information et de dénonciation tout à fait honorable.

On peut aimer ou ne pas aimer, être d’accord ou pas, il reste que ce qui plaît le plus dans les posts de «DébaTunisie», c’est leur formidable capacité de dérision, notamment la capacité de se moquer de l’information qui se moque de nous – ce que ses caricatures réussissent à la perfection ! Ils agissent, à cet égard, comme un antidote efficace contre un paysage médiatique qui ne fait qu’insulter notre intelligence et humilier notre citoyenneté.

Comme l’a très bien résumé une jeune bloggeuse, ceux qui ont censuré «DébaTunisie» montrent tout simplement qu’ils ne veulent pas de débat…

AA

Note des administrateurs du blog : l'illustration de la note est une caricature d'après «DébaTunisie»

samedi 13 décembre 2008

Un «opposant» à la télé : les enseignements d’une performance

Malgré les risques de vertige ou de nausée qui vous saisissent quand vous vous hasardez à regarder notre chère TV7, il faudrait, de temps à autre, s’armer de courage et appuyer sur la touche fatale de la commande pour s’offrir, à défaut d’un voyage dans l’espace, un véritable voyage dans le temps... et, parfois, tomber sur quelque chose d’intéressant.

Ce fut le cas de la soirée du jeudi 4 décembre dernier où notre télé nationale transmettait une émission politique pour «débattre» ou, mieux, disséquer le récent discours du président de la république à l’occasion du congrès sur la jeunesse islamique.

Parmi les invités, il y avait des journalistes, une militante RCD, un ministre et ... le secrétaire général d’un parti de «l’opposition». Ce qui a attiré l’attention, voire provoqué la surprise – quoique dans ce pays, rien ne devrait plus surprendre – c’est que cet «opposant» a surpassé tous les présents dans le dévoilement de la richesse et de la pertinence de la vision présidentielle en matière de jeunesse islamique. Il a tellement brillé dans cet exercice qu’il en a laissé le reste des participants bouche bée, au propre comme au figuré – comme n’a pas manqué de le montrer le metteur en scène de l’émission.

Au delà de l’aspect anecdotique et somme toute assez rigolo de cet épisode, je pense qu’on peut en tirer sur le plan politique au moins trois leçons.

D’abord, la performance de «l’opposant» montre, contrairement à ce qu’on pourrait croire, que la fonction de thuriféraire du régime n’a pas encore atteint ses limites et qu’elle a des capacités, jusque-là insoupçonnées, de renouvellement. Il y faudra certes beaucoup de travail et surtout beaucoup d’imagination, mais l’entreprise s’avère possible...

Ensuite, avec l’apparition de tels rénovateurs du discours de glorification et d’encensement, il devient évident que les éminents tenants de la langue de bois et de la phraséologie ancienne manière (à la Mouldi M’barek) doivent sérieusement s’inquiéter. Car ils risquent d’être doublés sur leur droite par ces thuriféraires «nouveau style» et que leurs jours sont désormais comptés…

Enfin, si le pouvoir sait faire preuve de la même souplesse, de la même imagination et, surtout, de la même «audace» que notre «opposant», il pourrait lui-même innover et récompenser comme il se doit ce type de rénovateur du discours, pourquoi pas, par un portefeuille ministériel… Ce qui ne serait pas pour déplaire à notre «opposant»! Dans ce pays, tout est possible et … le ridicule ne tue pas !

Boubaker Jridi

dimanche 7 décembre 2008

كل شيء بالسيف كان التضامن بالكيف

كل ما يطل عيد السابع من نوفمبر إلا و الحزب الحاكم يتجنّد باش البلاد الكل تفغّم بالتصاور و الزينة. الكرنفال الاحتفالي بيدا جمعة قبل و يقعد جمعة مبعّد. عيد السابع يخرج من هنا و يجينا عيد التضامن و ما ادراك ما التضامن ! مع اقتراب هذه الذكرى السعيدة المباركة تبدى التليفونات تخبط و تلقى مسؤولي الشعب في حالة "استنفار تضامني قصوى". هذا يدور بكرني .. و لاخر يحفز في الهمم التضامنية متاع المواطنين في الادارات.. في المعاهد.. في الكليات.. في المدارس.. و حتى في الاسبيطارات: هات دنوس هات الفين هات عشرة، أيا وني الميتين دينار متاع العادة.. ما يفلت حد لا كبير و لا صغير.. اللي فوقو و اللي ما فوقوش، اللي عندو و اللي ما عندوش، اللي فوق الروج و اللي غاطس فيه للعنكوش.. المواطنين الكل، و على قاعدة "اخطى راسي و اضرب"، "اش لز العاقل"، "فك عليّ من المشاكل"، "اللي دفع دينار نجا"، تمد ما تيسر من اموال و حتى تكردي التضامن إذا اقتضى الأمر و لسان حالها يبكي على التضامن بقوة و باللزز بالمرج و بالتخويف و بالترغيب... هانا سمعنا جملة انو فمّه "أولمياد" متاع التضامن و ولاية تطاوين كيما 100% متاع رئاسية 94، هاي عندها روكور جديد يتمثل بانها اكبر ولاية متبرعة بحسب مساهمة اهاليها !

يا جماعة (26-26) فكرة مزيانة في تصورها و تنطلق من دون شك من نوايا نبيلة لكن موش بالضرورة الناس الكل مقتنعين بها ، و لاّ ما خممتوش فيها يا سادة، قادرة على التضامن من اصلو (جيوبها تقلّي بالعربي بح ما فما شي) زيد على هذا فمّا ناس من المبدا تفضل انو فلوس صندوق 26-26، كيما فلوس المجموعة الوطنية الكل، تتعدى على رقابة النواب بالإجراءات متاع العادة و الدستور.

الحاصل خلي الامور تمشي بطبيعتها، كل قدير و قدرو، كل واحد حسب قناعتو، علاش لغة هات و لا ماكش معانا؟ ياخي التضامن باشكالو الكل مش عمل تلقائي مبني على قناعة و ايمان القيم؟ علاش الاكراه في التضامن؟ سيبو العباد و ضمائرهم .. اللي حب حب و اللي ما ظهرلوش هو و همتو .. و اللغز محل شاهدنا "كل شيء بالسيف إلا التضامن بالكيف" !

dimanche 30 novembre 2008

Budget 2009 : une «machine arrière»… judicieuse!

Nous soulignions dans notre précédente livraison d’Attariq (voir l’article de M. Mahmoud Ben Romdhane) qu’élaborer le budget pour l’année 2009 sur la base d’une prévision de la croissance du PIB de 6% pour cette même année était, par une pareille conjoncture mondiale, peu réaliste et, surtout, imprudent! Le président du FMI lui-même aurait prévu une baisse de un point et demi par rapport aux prévisions.

Et quelle ne fut pas la surprise des parlementaires, lors de la présentation du budget, de voir le premier ministre tabler sur une croissance du PIB de moins d’un point par rapport au projet initial (seulement 5,1%). Certes, ce chiffre demeure un peu trop élevé par les temps qui courent. Mais cette révision à la baisse mérite d’être soulignée.

Car cette remise en question montre que – une fois n’est pas coutume – le gouvernement est sorti de cette sorte d’autisme qui habituellement caractérise son action et que, en prenant compte des critiques formulées par l’opposition concernant une question aussi importante que celle du budget de l’Etat, il consent à descendre de son piédestal et avoue implicitement qu’il a affaire à une opposition beaucoup plus sérieuse et crédible qu’il ne veut bien le dire…

B. Gh

dimanche 23 novembre 2008

Youssef Seddik interdit de «signature de livre»

Grande a été la déception du public – pour la plupart des enfants – venu rencontrer l’écrivain Youssef Seddik, qui devait signer un livre pour enfants sur l’Islam. Arrivés à la librairie Mille Feuilles, à la Marsa, ils se sont vu expliquer que la séance n’aurait pas lieu, l’auteur étant grippé. En fait, la séance avait été tout simplement interdite, l’interdiction ayant été signifiée au libraire par le Délégué de la Marsa.

Ce qui est encore plus curieux, c’est que M. Youssef Seddik a participé, le 10 et le 19 novembre, à deux séances de signature à la librairie Clairefontaine, la première pour le livre pour enfants, la seconde pour un livre sur l’économie : toutes les deux se sont déroulées le plus normalement du monde !

Alors ? Comprenne qui pourra ! Ce qui est clair, toutefois, c’est que la littérature est, chez nous, bien… gardée (au moins à la Marsa).

vendredi 21 novembre 2008

Le projet de budget économique pour l’année 2009 : imprudent !

Le projet de budget économique pour l’année 2009 a été récemment adressé aux membres du Conseil Economique et Social et sera examiné bientôt par la Chambre des Députés. Il contient les estimations des résultats économiques et financiers de l’année 2008 et les prévisions macro-financières pour l’année 2009. Sur ces bases, sera élaboré le Budget de l’Etat de l’année à venir.

Les estimations pour 2008 font ressortir un taux de croissance du PIB de 5,1 pour cent et les prévisions pour 2009 tablent sur un taux de 6,0 pour cent.

Il est de bon ton pour tout gouvernement d’afficher des prévisions ambitieuses pour maintenir un « état d’optimisme ». Car, en économie comme dans de nombreuses autres sciences, la psychologie des acteurs joue un rôle parfois déterminant. John Maynard Keynes a fait du thème des anticipations des agents un thème central et, depuis les années soixante-dix, des écoles de pensée se sont constituées autour de cette question.

La question qui est posée dans le cas du projet de budget 2009 est celle de son degré de réalisme. En effet, sur les 22 dernières années, ce taux de 6 pour cent n’a été atteint qu’une fois sur quatre et la moyenne annuelle n’a été que de 4,7 pour cent. Si ce taux de 6 pour cent venait à se réaliser, la moyenne annuelle des quatre années 2006-2009 serait de 5,7 pour cent, un taux moyen atteint une seule fois lors d’une quadriennie (entre 1996 et 1999).

C’est donc dire qu’il y a, toutes choses égales par ailleurs -comme à se plaisent à le dire les économistes- une probabilité assez faible qu’un tel taux se réalise. Or, on n’est pas dans une situation où « toutes les choses sont égales par ailleurs », mais où l’environnement mondial est caractérisé par un ralentissement généralisé et sans précédent depuis la crise des années trente du 20e siècle. Un environnement exerçant une forte influence car l’économie tunisienne est une économie très ouverte.

Ce n’est pas seulement le taux de croissance projeté qui semble pêcher par excès d’optimisme, mais le taux d’investissement (un record de 26,2 pour cent, qui n’a plus été réalisé depuis quinze ans, à l’exception de 2001 où il a à peine frôlé ce niveau) et, surtout les comptes extérieurs. Des investissements directs étrangers (IDE) atteignant un montant de 3,0 milliards de dinars (dont 1,8 milliard dans l’énergie expliqué par « l’accroissement continu des cours internationaux » alors qu’on assiste à leur effondrement depuis deux mois) ; des prêts publics et privés atteignant 2 milliards de dinars alors qu’on assiste à une tension sur les ressources financières internationales. Sans compter, bien sûr, une augmentation projetée des recettes d’exportations de biens et de services de 12,9 pour cent à prix courants et de 5,7 pour cent à prix constants (contre 3,6 pour cent en 2008). Les exportations de phosphates et dérivés atteindraient ainsi 4,5 milliards de dinars contre 3,8 milliards en 2008 et 1,9 en 2007, celles des industries mécaniques et électriques 7,2 milliards contre 6,3 milliards en 2008 et 5,3 milliards en 2007, les recettes touristiques atteindraient 3,6 milliards contre 3,3 milliards de dinars en 2008 et 3,1 milliards en 2007 et, enfin les transferts effectués par les Tunisiens résidant à l’étranger atteindraient 2,7 milliards contre 2,4 milliards en 2008 et 2,2 milliards en 2007.

Le seul énoncé de ces chiffres montre combien les projections sont fragiles, pour ne pas dire irréalistes par rapport à la conjoncture mondiale. Le problème n’est pas celui d’une simple mauvaise appréciation ou d’un simple mauvais jugement ; le problème est que le pays risque d’être confronté à une fragilisation financière aux graves conséquences économiques et sociales.

Ces commentaires peuvent paraître alarmistes. Et ils le sont peut-être. Ce qu’ils mettent en exergue, c’est la nécessité, par les temps incertains d’aujourd’hui, de déployer d’autres scénarios et d’en tirer les conséquences, toutes les conséquences. Parmi ces derniers, il ne serait nullement saugrenu d’en tester un fondé sur : un taux de croissance du PIB de 3-4 pour cent, une stabilisation des exportations de biens et de services, des IDE et des prêts extérieurs moins importants.

Mahmoud Ben Romdhane

lundi 17 novembre 2008

La 22ème édition des JCC : coupes transversales


En dépit d’un palmarès plutôt frileux et consensuel, cette 22ème édition des JCC a été riche en enseignements. Nous aborderons deux aspects qui nous ont le plus interpellé : Les promesses d’une vitalité retrouvée de la fiction arabe et les prémisses de renouveau du cinéma tunisien à travers l’effervescence du court-métrage.

Que Teza soit, pour les uns un chef-d’œuvre absolu, pour d’autres (dont nous faisons partie) un film ampoulé et pesant, c’est affaire de goût et de sensibilité et un festival n’est pas réductible aux films primés.

Ce qui est rassurant, c’est que les JCC nous ont permis de découvrir des films fragiles, à très petits budgets, parfois inaboutis qui ont cette audace que l’on croyait perdue à jamais de s’émanciper de la tutelle paralysante des pères, pour faire du cinéma autrement.

Ibrahim Battout avec Ein Chams et Chadi Zineddine avec Falling from earth sont représentatifs de ce vent de renouveau qui souffle sur le cinéma arabe. Ein Chams est une méditation sur l’Egypte d’aujourd’hui à travers une galerie de personnages touchants de sincérité. Par le biais d’un scénario partiellement déconstruit et d’une esthétique proche du documentaire, Ibrahim Battout trouve la tonalité juste pour nous immerger dans l’Egypte d’en bas sans sensiblerie ni misérabilisme. Si on marche, c’est que ce film a su nous ménager un espace en tant que spectateur dans un film délibérément troué et ouvert. C’est dans ces béances du récit et de la forme qu’il puise sa force et qu’il se met en même temps en péril. Et c’est tant mieux pour son cinéma qui en sort ennobli. Ein Shams a été fait contre le système sans autorisations, ni moyens, un film de contrebande qui lui a valu l’excommunication des gens de la profession. Il est la preuve que le désir de cinéma prime les obstacles de différents ordres.

Chadi Zineddine, avec Falling from earth, entreprend une réflexion sur la mémoire de la guerre dans une ville de Beyrouth dévastée. Trois photos accrochées sur un mur parmi des dizaines d’autres au milieu d’un no man’s land occupé par un vieux monsieur, gardien de la mémoire, constitueront le point de départ au déploiement de trois histoires qui couvrent le passé proche d’un pays dont tous les malheurs sont imputables à sa géographie. La radicalité du film est à rechercher dans son minimalisme et sa manière de raconter et de mettre en scène proches de l’expérimentation. Les traumatismes du passé sont réduits à des gestes et à des expressions lisibles sur des visages, à des trajectoires hiératiques de personnages mutiques.

Si ces deux films nous interpellent c’est qu’ils osent questionner les formes de représentation établies dans le cinéma arabe et explorent de nouvelles voies pour l’écriture cinématographique en se démarquant du ronron du naturalisme dominant dans nos contrées.

Avec deux prix obtenus par deux jeunes réalisateurs issus de l’ISAMM (respectivement le deuxième prix de la compétition vidéo pour Mémoire d’une femme de Lassaad Oueslati et le Tanit d’argent du court métrage pour Lazhar de Bahri Ben Ahmed), le cinéma tunisien se doit d’être repensé en fonction de cette nouvelle donne. L’arrivée sur le marché de nouveaux talents animés d’un désir impérieux de faire des films à n’importe quel prix. La démocratisation des moyens de production rend possible aujourd’hui la réalisation de projets (aussi bien dans le court-métrage que dans le documentaire) avec des budgets très réduits. Ce cinéma libre, affranchi de toute tutelle est porteur d’un vent de renouveau. Lazhar, Mémoire d’une femme, Silence de Karim Souaki ou le projet de Mohamed Ali Nahdi sont des films à très petits budgets dont les qualités augurent de lendemains meilleurs pour le cinéma tunisien. Ils ne sont pas les seuls, du côté des courts subventionnés, les films de Malik Amara, Sami el Haj, Mohamed Ajbouni, Nadia Touijer, Nasreddine Esshili ou encore Ghanem Ghawar et Mourad Ben Cheikh sont la preuve que quelque chose est en train de bouger dans le cinéma tunisien à condition que l’on y soit attentif.

Le court-métrage et le documentaire sont aujourd’hui les lieux où est en train de se dessiner l’avenir du cinéma sous nos cieux, le long-métrage à de rares exceptions étant enferré dans une crise de créativité dont on a désespéré de voir l’issue. Espérons que ces genres fragiles et minoritaires bénéficieront de l’écoute et de l’encouragement qu’ils méritent.

Ikbel Zalila

samedi 15 novembre 2008

Thalathoun : aux origines de notre modernité

Le film Thalathoun, de Fadhel Jaziri, est l’occasion, pour beaucoup d’entre nous, de découvrir une période clé de notre histoire récente. En effet, les années trente du siècle dernier ont été, en Tunisie, une période d’effervescence qui a vu se développer, aux côtés d’un incontestable dynamisme intellectuel, l’éveil des Tunisiens à la conscience syndicale et politique et, d’une façon plus générale, à la modernité.

Le film nous présente, ainsi, une galerie de personnalités d’exception dont l’œuvre et l’action ont participé à façonner les principaux traits de la Tunisie indépendante et, donc, d’une certaine manière, de notre présent. Parmi les principaux protagonistes de l’époque, il choisit de s’intéresser à un trio d’amis inséparables : Aboulkacem Chebbi, le poète, Ali Douagi, l’écrivain et nouvelliste, et Tahar Haddad, le penseur de l’émancipation des travailleurs et des femmes. C’est ce dernier qui est la figure centrale du film en tant qu’acteur et/ou témoin privilégié des principaux épisodes intellectuels, syndicaux et politiques de cette période – de la fondation de la Confédération Générale Tunisienne du Travail avec Mohamed Ali Hammi à l’accueil fait à imra’atouna fi ech-charîaa wal mojtamaa en passant par le congrès eucharistique de Tunis et les événements du Jellaz.

Et c’est avec un œil bienveillant et complice que le réalisateur filme les aventures du poète, de l’écrivain et, surtout, du penseur, montrant par ce choix qu’il accorde plus d’importance, dans son approche de cette «période matrice», au rôle joué par les artistes et les intellectuels qu’à celui – pourtant important – joué par les politiques, aussi habiles fussent-ils. Et les politiques ne sont pas, il est vrai, présentés sous leur plus beau jour. C’est surtout le cas de Mouhieddine Klibi qui est, dans le film, de tous les combats d’arrière-garde et qui apparaît, ainsi, comme le chantre du conservatisme. Son image en sort fortement écornée. C’est le cas aussi, mais à un degré moindre, du jeune Habib Bourguiba présenté sous les traits du politicien opportuniste – «prêt à se salir les mains, s’il le faut» pour atteindre ses objectifs – et pragmatique – il ménage les sentiments religieux du peuple, pour mieux les utiliser.

Au contraire, A. Chebbi, poète génial fortement épris d’une jeune beauté russe, et A. Douagi, écrivain talentueux et ami fidèle, ressortent, eux, comme des personnalités sympathiques et attachantes. Hammi et Haddad, quant à eux, sont les plus admirables, eu égard au lourd tribut qu’ils ont payé pour défendre leurs convictions progressistes, l’un, face au colon, l’autre, face à une société réfractaire et hostile. Ces derniers apparaissent alors comme les vrais héros de cette époque fondatrice, les vrais héros de notre modernité.

C’est là que réside, à notre avis, un des grands mérites de ce film qui a d’incontestables vertus pédagogiques sur le lien entre notre pays (et donc notre identité) et la modernité. A l’heure où le repli identitaire fait percevoir les acquis de cette modernité comme des corps étrangers, à l’heure où ses conquêtes semblent menacées par certains courants conservateurs qui rêvent de prendre une revanche historique, ressusciter cette mémoire équivaut à ressusciter l’espoir.

Car cette terre qui, à un moment de son histoire, a enfanté une telle avant-garde capable de mener à bien des luttes et des combats bien improbables, devrait pouvoir abriter les héritiers à même d’apprécier ce legs et de le défendre. Le public, où les jeunes étaient nombreux, ne s’y est pas trompé, qui a fortement applaudi à la fin de la représentation. Le film a réussi à les toucher. De ce point de vue, Thalathoun est, aujourd’hui, une œuvre essentielle et salutaire !

Baccar Gherib

samedi 8 novembre 2008

Quand la pluralité fait irruption sur un plateau de télévision

Ceux et celles qui ont choisi de regarder l’émission fi dairat adhaw du 30 octobre dernier sur Hannibal TV ne l’ont sûrement pas regretté et ce, grâce à la présence sur le plateau d’une femme de principes décidée à ne pas s’en laisser compter ni à faire de la figuration.

Pourtant, le «débat» a été lancé sur un thème se prêtant bien a priori à l’unanimisme habituel et aux discours sentant bon l’autosatisfaction, puisqu’il s’agissait de commenter la dernière loi relative à la disposition du domicile conjugal par la mère divorcée. Et c’est dans ce registre que les invités de l’émission, surtout les deux représentantes de l’UNFT, entendaient mener la discussion.

C’était compter sans Mme Mongia Zbidi, militante syndicaliste et féministe connue, qui, dès sa première intervention, détona clairement. Car, contrairement à celles qui l’ont précédée, elle n’a pas affiché «satisfaction et fierté par rapport à cette loi avant-gardiste, résultat d’une politique sage et clairvoyante». Elle s’en tint plutôt à une approche critique.

Mais ce n’était là qu’un début! Car Mme Zbidi allait mettre les pieds dans le plat en évoquant les associations féministes qui font un travail formidable sur le terrain et qui montrent un dévouement exemplaire pour la cause des femmes tunisiennes. Puis, prenant son courage à deux mains – car elle s’apprêtait à enfreindre une loi non écrite de nos médias audiovisuels – elle nomma clairement l’ATFD et l’AFTURD et regretta leur absence sur le plateau.

Complètement désemparée, la représentante de l’UNFT lance timidement: «Mais elles ne sont pas exclues, nous les associons souvent… nous utilisons leurs rapports!». Drôle de conception de l’association et de la pluralité! Et, dans ce pays, elle ne semble pas être l’apanage de l’UNFT…

En tout cas, Bravo Mme Zbidi pour avoir ouvert cette brèche dans le mur de l’unanimisme, l’autosatisfaction et l’exclusion télévisuels et merci Hannibal TV d’avoir invité Mme Zbidi et de continuer à transmettre cette émission… en direct !! Pourvu que ça dure…

I. K.

vendredi 31 octobre 2008

La crise mondiale et ses impacts potentiels sur l’économie et la société tunisiennes : quelles perspectives ? Comment se protéger contre le choc ?

De toutes les crises financières qui ont jalonné l’histoire du capitalisme, depuis sa naissance à la fin du 18e siècle jusqu’à ce jour, la crise actuelle se présente comme une crise exceptionnellement brutale et généralisée. Commencée dans le secteur immobilier américain, elle s’est propagée dans le secteur bancaire du même pays, puis dans celui des pays européens et d’un grand nombre d’autres pays. Après quelques mois, le secteur bancaire de tous ces pays s’est trouvé criblé de « produits toxiques » ; sa solvabilité si gravement affectée que les banques n’ont plus eu confiance les unes dans les autres, refusant de se prêter des liquidités. Elles sont devenues, ce faisant, incapables d’accorder du crédit aux ménages et aux entreprises. La crise de solvabilité s’est transformée en crise de liquidité. Le cœur du système bancaire mondial s’est trouvé à l’arrêt : les plus grandes banques mondiales sont entrées en état de faillite avérée ou imminente. Comme un château de cartes, elles étaient sur le point de s’écrouler, l’une après l’autre avec une vitesse inédite et les bourses du monde entier, dans le sillage des banques, ont été saisies d’un pessimisme profond, voire de panique. Suivant une baisse régulière depuis le début de 2008, un krach a frappé les bourses mondiales durant la semaine du 6 au 10 octobre : l’indice Dow Jones a perdu plus de 22 pour cent et les autres bourses européennes parfois davantage. Il a fallu une intervention massive et concertée sans précédent dans l’histoire économique du monde de la part des autorités américaines et européennes pour fournir des liquidités, garantir les dépôts des épargnants et racheter les banques en déshérence pour stopper la descente aux enfers. Sur ce fond de crise financière profonde et brutale, les perspectives économiques n’ont cessé d’être révisées à la baisse : on perçoit de plus en plus comment le monde s’enfonce dans la récession qui a tout lieu de se transformer en dépression ; aucun observateur averti ne prévoit le début d’une reprise en 2010 ni même en 2011.

La crise financière actuelle, la crise probablement la plus importante de l’histoire

L’histoire nous dira si elle est la plus grande des crises financières depuis la naissance du capitalisme ou si elle n’est que la seconde après celle de 1929 qui, il est vrai, aura vu la bourse de Wall Street perdre 39 % entre le 22 octobre et le 13 novembre 1929. Krach boursier plus violent à Wall Street en 1929, certes, mais le système bancaire résista jusqu’en 1932 avant de s’effondrer à son tour. Ici, crise immobilière, effondrement sans précédent du système bancaire, krach boursier et montée rapide du chômage, propagation de l’ensemble de ces crises à l’ensemble des Etats-Unis et de l’Europe et même au-delà, toute cette combinaison de crises rapidement articulées est unique dans les annales de l’histoire.

La différence fondamentale d’avec 1929, c’est que des enseignements en ont été tirés et que les Etats devenus plus puissants sont aussi aujourd’hui fortement déterminés à mettre tous les moyens qu’ils détiennent pour empêcher sa reproduction, y compris par la nationalisation des banques.

Les faillites en chaîne des banques ont été évitées grâce aux interventions massives des Etats et aux sacrifices qui seront exigés des contribuables, mais la crise bancaire mettra bien du temps à cicatriser parce qu’elle a ébranlé, pour ne pas dire détruit, ce qui est constitutif des systèmes financiers : la confiance. La confiance en les autres banques, la confiance en les entreprises et, surtout, la confiance en soi. Le secteur bancaire voudra, d’abord, se reconstituer, ensuite établir ses plans et ses nouvelles stratégies, enfin reprendre ses engagements avec une extrême prudence. D’autant qu’une récession/dépression mondiale est aujourd’hui installée. La reprise mettra du temps.

Les perspectives économiques mondiales : sombres pour 2009, aveugles pour l’après 2009

Dans ce contexte, les prévisions économiques mondiales, qui sont sans cesse révisées à la baisse, s’arrêtent en 2009. Au-delà, il n’y a pas encore de visibilité : en vérité, on ne voit pas la sortie de crise et on n’ose le dire. Dans ses dernières « Perspectives de l’économie mondiale » datées d’octobre 2008, le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une croissance mondiale en 2009 de l’ordre de 3 % (contre 5 % en 2007 et une moyenne du même ordre durant les années précédentes, soit une baisse de 2 points par rapport aux tendances précédemment enregistrées). Pour la zone euro, la croissance devrait passer de 2,8 % et 2,6 % en 2006 et 2007 à 0,2 % en 2009. Des pays tels que l’Italie et l’Espagne auront une croissance négative, tandis que l’Allemagne et la France connaîtront une croissance nulle ou quasi-nulle. Et le FMI entend souligner, d’une part, que « des risques considérables pèsent sur cette prévision de référence » et, d’autre part, que « le redressement attendu plus tard en 2009, sera exceptionnellement graduel par rapport au passé ».

Sur la base de ces prévisions, le Bureau International du Travail (BIT) vient d’établir ses estimations préliminaires en matière d’emploi. Son Directeur Général, M. Juan Somavia vient de déclarer que « le nombre des chômeurs pourrait passer de 190 millions en 2007 à 210 millions fin 2009. Le nombre de travailleurs pauvres vivant avec moins d’un dollar par jour pourrait augmenter de 40 millions – et celui des personnes disposant de deux dollars par jour de 100 millions ». Il a également noté que les nouvelles projections pourraient « se révéler sous-estimées si l’on n’affronte pas rapidement les effets du ralentissement économique actuel et la récession qui menace ».

Interrogé devant le Club économique de New York le 16 octobre, le Président de la Réserve fédérale (Fed ou banque centrale) américaine, devait également souligner qu’ « une menace sérieuse pèse sur le marché du crédit » et que même si «la stabilisation des marchés financiers (qui) est une première étape critique » devait se réaliser, « le rétablissement économique ne surviendra pas aussitôt ».

La Tunisie : pas d’effet direct de la crise financière internationale sur le secteur financier tunisien ?

Le Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie a déclaré à plusieurs reprises que « la crise financière internationale n’aura pas d’impact direct sur notre secteur financier ». Ces propos sont exacts si tant est qu’on les prenne à la lettre et qu’on ne les déforme comme certains ont tendance à le faire. Il est vrai, en effet, que les placements de nos avoirs en devises sont effectués de manière très prudente, privilégiant la sécurité par rapport aux rendements et que les investissements étrangers sur la bourse de Tunis sont limités à 25 % de la capitalisation boursière, laquelle est d’ailleurs trop faible pour avoir des effets significatifs sur l’économie réelle. Mais la perspective de la récession économique est certaine et, si celle-ci dure, celle de la détérioration de la santé du secteur financier tunisien hautement probable, pour ne pas dire inévitable.

Les effets de la crise mondiale sur l’économie réelle tunisienne : des risques importants

Ce ne sont pas les canaux financiers à travers lesquels la crise mondiale va exercer des effets directs sur l’économie tunisienne. Les canaux de transmission de la crise mondiale à l’économie tunisienne sont autres : il s’agit, essentiellement, de la limitation de la demande de nos pays partenaires (l’Europe en particulier) qui va affecter nos exportations de biens et de services, de la montée du chômage dans ces mêmes pays, qui affectera les Tunisien(ne)s résidant à l’étranger et, par conséquent, leurs transferts financiers vers leur pays d’origine, de la crise immobilière et du « climat financier mondial » qui vont sérieusement réduire les investissements étrangers dans notre pays et de l’assèchement des liquidités internationales qui va limiter notre capacité d’emprunt si une solution mondiale n’est pas rapidement mise en œuvre à ce propos.

L’économie tunisienne est une économie ouverte ; elle est, de ce fait, sensible aux chocs externes. A titre d’illustration, le choc du 11 septembre 2001, qui n’aura eu d’effet sur les économies réelles que durant une année à l’échelle du monde et à l’échelle de l’Europe, aura coûté deux à trois points, voire davantage, de croissance à l’économie tunisienne. Car, en effet, c’est à 1,7 pour cent que s’est établi notre taux de croissance de l’année 2002 contre une moyenne tendancielle de 5 pour cent. Il y a eu, certes, la sécheresse et la régression de la production agricole, mais il y a eu aussi et surtout, le ralentissement des exportations industrielles et le recul des exportations des services de transport et de tourisme.

Outre la perte d’environ 3 points de croissance, l’année 2002 a été une année d’immenses impayés auprès des banques de la part d’un grand nombre d’entreprises entrées en difficulté. Il en est résulté une sérieuse dégradation de la santé du système bancaire tunisien.

Au plan de nos équilibres externes, la situation ne s’est pas particulièrement dégradée parce que nous avons pu obtenir un volume de financements extérieurs important et parce que les investissements directs étrangers ont sensiblement progressé en raison, surtout, de grandes opérations de privatisation (Orascom et UIB).

Le problème aujourd’hui est que, d’une part, la crise mondiale et européenne actuelle sera beaucoup plus forte (en 2002, la zone euro a eu une croissance de près de 1 pour cent, contre une croissance pratiquement nulle en 2009), d’autre part, plus longue (nul n’en voit encore la sortie) et, enfin, que les marchés financiers sont asséchés, alors qu’ils étaient liquides et peu coûteux en 2002 (nous avons pu lever 1,1 milliard de dinars sur ces marchés alors que, selon les dernières déclarations du Gouverneur de la BCT, ni en 2008, ni en 2009, nous n’y recourrons en raison des coûts prohibitifs d’emprunt).

La situation peut devenir particulièrement grave si la crise actuelle dure plus de deux ans et si des liquidités suffisantes ne sont pas mises à la disposition des pays du Tiers monde par les institutions financières internationales. Le risque est alors, qu’à la récession/dépression, s’ajoute une crise macro-financière. Et qu’à celle-ci, s’ajoute une crise des banques, sous l’effet des impayés d’entreprises confrontées à des difficultés.

La politique économique à engager : les écueils à éviter

Deux dangers guettent l’économie tunisienne : le danger de la dépression et celui de la fragilisation financière externe.

Le risque est que les autorités, par crainte de difficultés financières, en viennent à aggraver la crise de l’économie réelle par une réduction de la demande intérieure. Et telle semble l’orientation qui semble être prise si l’on suit l’état des négociations salariales et le raidissement du gouvernement. Par période de réduction de la demande externe, il faut, au contraire, soutenir la demande interne, en favorisant la consommation des ménages, les dépenses publiques et l’investissement. C’est le seul moyen d’amortir le choc. Autrement, la politique économique aurait pour effet d’aggraver la crise. Aux Etats-Unis, le gouverneur de la Fed, habituellement exclusivement préoccupé par la lutte contre l’inflation, est en train de lancer des appels à une relance de la demande, malgré l’immensité de la dette publique américaine. Et c’est ce à quoi se préparent les autorités américaines, pourtant farouchement anti-keynésiennes. Les pouvoirs publics tunisiens feraient une grave erreur de s’engager dans une politique contraire, une politique d’austérité.

Mais cette politique de relance a, bien évidemment, ses limites. En accroissant les importations, elle risque de fragiliser la situation financière du pays à un moment où le spectre de la diminution sensible de nos recettes hante notre économie. Le risque est alors, si la situation perdure, de se retrouver en état de dépendance et de ne plus pouvoir importer les biens nécessaires à notre appareil productif, comme cela a été le cas durant la seconde moitié des années 1980 ; ce qui nous plongerait dans une crise double : une crise financière et une crise de l’économie réelle.

Une situation de turbulences et l’exigence d’une gestion concertée et collective

Il est désormais clair que la Tunisie est entrée dans une période d’incertitudes, une période de turbulences. La marge de manœuvre n’est ni large, ni simple. La situation financière et économique dans laquelle nous sommes insérés requiert à la fois une vision stratégique de moyen terme (3 ans) et une gestion très flexible et active. Elle exigera des arbitrages incessants : entre les intérêts de court terme et les intérêts de long terme, entre les exigences de la sécurité économique et celles des besoins sociaux, entre les catégories sociales et entre les régions, entre la sécurité financière du pays et son besoin de croissance. Ces décisions ne se prennent pas en vase clos, mais en tenant compte des évolutions de l’environnement, des coûts et des avantages attachés à chaque décision, à chaque scénario.

Ces exigences ne sont pas seulement techniques. Elles sont politiques dans la mesure où elles vont engager l’avenir de la Nation, qu’elles auront un coût qui devra être supporté et des bénéficiaires à court ou moyen terme. C’est pourquoi elles doivent être prises, non seulement en parfaite connaissance de cause, mais aussi dans la transparence. La politique économique et financière qui est aujourd’hui exigée ne peut plus être l’apanage d’une seule partie. Obligée à la réactivité, elle a besoin d’être éclairée par les acteurs concernés et, pour être acceptée, d’être assumée par le plus grand nombre. Le risque, autrement, serait d’accroître la défiance et le rejet, lesquels sont le plus grand frein à la gestion flexible et stratégique dont notre pays a un besoin impérieux. Plus que jamais, la gestion concertée et collective de la situation nouvelle est une nécessité vitale.

Mahmoud Ben Romdhane

dimanche 26 octobre 2008

Paul Krugman : un prix Nobel «peu orthodoxe»

L’attribution du prix Nobel d’économie à Paul Krugman a été, pour beaucoup, une bonne surprise, tant ce type de profil est rarement invité à pareille fête! Il faut, en effet, revenir jusqu’à 1998 et au «couronnement» d’Amartya Sen pour retrouver un prix Nobel engagé dans les affaires de la cité et impliqué dans la lutte contre ses maux et ses dysfonctionnements.

Et, décidément, le style de Krugman contraste fortement avec celui du prix Nobel standard. D’abord, et contrairement à la plupart de ses prédécesseurs de ces dernières années, ses contributions théoriques sont peu ésotériques et donc plus accessibles au commun des mortels – elles sont servies en cela, il est vrai, par un vrai talent de vulgarisateur. Ensuite, et même s’il sait manier à la perfection les concepts et les instruments d’analyse de l’orthodoxie néoclassique, notamment les fonctions d’utilité et les optimums parétiens, il est foncièrement sceptique concernant les excès de la formalisation mathématique en économie. Enfin, et comme il l’écrit dans une petite note autobiographique «Pourquoi suis-je un économiste?», il avoue sa grande passion pour l’histoire des sociétés humaines et le désir qui l’anime de pouvoir en rendre compte de manière rationnelle.

Tous ces traits expliquent, à la fois, pourquoi il est resté éloigné des théories fortement mathématisées de l’équilibre général et son souci de rester proche des problèmes économiques concrets, en vue de les expliquer. Et ce type d’approche a été à l’origine de sa contribution novatrice à la théorie du commerce international, dès les années 1970 et qui, pour l’académie suédoise, justifie son prix Nobel.

Avant Krugman, deux théories dominaient l’explication des échanges internationaux. Celle dite des avantages comparatifs de Ricardo – qui date du début du 19ème siècle – qui met l’accent sur les différences de niveau technologique entre les pays échangistes, et celle des économistes suédois E. Heckscher et B. Ohlin (reformulée par P. A. Samuelson) qui impute cet échange aux différences en termes de dotation en facteurs de production. Ces deux théories n’expliquaient pas toutefois une grande partie du commerce international qui a lieu entre des pays similaires pour ce qui est du niveau de la technologie et de la dotation en facteurs.

L’apport de Krugman se situe justement à ce niveau. En se basant sur un article d’A. Dixit, il explique ce commerce par l’existence chez les consommateurs – dans le cadre d’une concurrence monopolistique – d’un «goût pour la différence» qui fait qu’il existe, par exemple, chez les français un attrait pour les voitures de marque allemande, et vice-versa. Cette approche a été d’une grande fécondité théorique car elle a permis à Krugman de rendre compte de la localisation de la production et, donc, d’inaugurer une Nouvelle Géographie Economique et de déboucher sur une théorie de la croissance.

Mais au-delà de son apport à la théorie économique, Krugman se distingue de ses prédécesseurs surtout par son engagement politique… à gauche! En effet, outre un blog fort populaire, il tient une chronique bihebdomadaire sur le New York Times qui dissèque – et critique – la politique de l’administration Bush, notamment au niveau économique. Cependant, c’est surtout dans son dernier livre paru en 2007 « A conscience of a liberal » et traduit en français par « L’Amérique que nous voulons », que transparaissent clairement ses convictions de social- démocratie.

Krugman y prend position nettement pour un capitalisme régulé par une forte intervention de l’Etat, pour une répartition moins inégalitaire du revenu grâce à des politiques fiscale et sociale adéquates, pour une couverture sociale universelle, pour une protection de la middle class, pour un renforcement des syndicats et contre l’exclusion! Bref, il est pour un nouveau New Deal porteur de plus de prospérité et de moins d’inégalité. Roosevelt et l’Etat Providence des Trente Glorieuses (pour lesquelles on soupçonne, chez lui, une certaine nostalgie) représentent un repère, à cet égard.

Krugman nous donne, ainsi, un message d’espoir: le renforcement des inégalités dans le capitalisme contemporain n’est pas une fatalité, il est le résultat de choix politiques bien déterminés. A nous de faire les choix opposés pour le contrecarrer. Et comme à un accroissement des inégalités sur le terrain de l’économie appelle une polarisation sur le terrain de la politique, il appelle à un positionnement du parti démocrate encore plus à gauche !

En ces temps de crise financière internationale, l’attribution du prix Nobel à quelqu’un qui a affirmé que «laisser le système financier solutionner de lui-même les problèmes a été désastreux dans les années trente et nous a une fois de plus amené près du désastre» n’est pas tout à fait innocente. Elle cache sans doute une inquiétude, mais peut-être aussi, un espoir: celui de préparer un retournement idéologique qui mène à plus d’organisation et de régulation de cet inquiétant capitalisme financier et mondialisé. Un nouveau New Deal est possible, nous dit Krugman. Espérons qu’il a raison !

Baccar Gherib

[Cet article a été publié dans Attariq Al jadid]

vendredi 24 octobre 2008

15 arguments pour l'égalité dans l'héritage

Durant l’année 2006, deux tomes intitulés le premier «Histoire, droits et sociétés» et le second «Plaidoyer pour l’égalité dans l’héritage» ont été publiés par l’Association des femmes pour la recherche sur le développement (AFTURD) avec le soutien de la fondation Ebert.
Ce travail constitue la synthèse de débats, discussions, enquêtes, séminaires organisés par l’AFTURD en complémentarité avec le travail de réflexion et de lobbying de l’ATFD sur cette question. La publication de ces deux tomes a coïncidé avec la célébration du cinquantenaire du CSP.

Cette recherche a constitué un moment important de la vie de l’AFTURD puisqu’elle a permis à un groupe permanent de chercheurs (res) de différentes disciplines de travailler dans le cadre d’une commission intitulée « Inégalité dans l’héritage ».

Le plaidoyer a été publié quelques mois après le premier tome et développe, en 15 arguments bâtis sur trois axes, socio-économique, juridique et culturel, pourquoi l’inégalité dont sont victimes les femmes dans l’héritage est aujourd’hui irrecevable. Voici, ci-après résumés, les quinze arguments en faveur de l’égalité successorale.

Axe socio-économique
1 La transmission par l’héritage tel que prévue par la loi tunisienne est bâtie sur le modèle traditionnel de la famille patriarcale en déphasage, aujourd’hui, avec les structures actuelles d’une famille moderne de type conjugal.
2 les femmes participent par leur travail à la prise en charge familiale dont elles assument une part importante (exemple : participation à l’acquisition d’un logement). Il serait donc juste qu’elles héritent au même titre que les hommes.
3 l’inégalité successorale est un handicap social et un facteur aggravant de la précarité économique et de la vulnérabilité des femmes. Lutter contre la pauvreté, c’est lutter contre les législations patrimoniales discriminatoires.
4 les femmes sont capables de développer comme les hommes leur esprit d’initiative et d’entreprise. Ce potentiel doit être confirmé par une législation non discriminante.
5 la réalité est, sur cette question de l’héritage, en avance sur les lois. Aujourd’hui, des stratégies de contournement sont souvent adoptées pour garantir un partage non discriminatoire pour tous ceux qui adhèrent aux valeurs égalitaires.

Axe Juridique
6 l’inégalité successorale est contraire aux principes fondamentaux de l’ordre juridique tunisien, principes, inscrits dans la Constitution, d’égalité des citoyens et de liberté religieuse qui invalident les inégalités successorales.
7 l’inégalité successorale est contraire aux traités ratifiés par la Tunisie. Les Conventions Internationales ratifiées par l’Etat constituent des normes qu’il reçoit dans son ordre interne.
8 l’inégalité successorale est contraire à l’esprit libéral du législateur tunisien qui a produit le CSP dans un esprit d’innovation.
9 L’inégalité successorale est contraire aux récentes évolutions jurisprudentielles : la jurisprudence des tribunaux est de plus en plus favorable à l’égalité et à la non discrimination.
10 l’inégalité successorale est perturbatrice des relations sociales alors que la règle de droit doit assurer son équilibre : être poussé à adopter des stratégies de contournement est préjudiciable à la cohérence de l’ordre juridique mais aussi à sa capacité de réguler les rapports sociaux.

Axe culturel
11 les travaux d’anthropologie historique montrent que le régime successoral trouve son principe de cohérence dans l’ancien ordre tribal de l’Arabie préislamique. Plus rien ne le justifie donc aujourd’hui.
12 l’existence de tous temps de pratiques dérogatoires à l’obligation religieuse d’attribuer une part de l’héritage aux femmes est attestée par de nombreux travaux d’historiens. Ces procédés de contournement ont pris la forme de donations, legs et habous pour exclure les femmes de l’héritage.
13 En Tunisie, les « hiyals » (subterfuges légaux ) ont existé ; le système des habous a constitué le plus grand moyen d’éviction des femmes de la propriété foncière et cela n’a pas choqué la conscience musulmane.
14 la pensée réformiste et Tahar Haddad ont critiqué l’inégalité successorale à partir d’une lecture moderne des textes religieux.
15 les pratiques inégalitaires existent encore en Tunisie. Les enquêtes sociologiques révèlent que la question successorale participe à d’autres réflexes que religieux.
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Constitution Tunisienne – 1er Juin 1959

Article 6 : « Tous les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils sont égaux devant la loi ».
Article 32 paragr. 3 version 2002 : « les traités ratifiés par le Président de la République et approuvés par la chambre des députés ont une autorité supérieure à celle des lois ».

Neila Jrad

[Cet article a été publié dans Attariq Al Jadid]

mardi 21 octobre 2008

Dis-moi sur quoi tu réfléchis, je te dirai ce que tu seras demain !

Les débats publics dans les sociétés sont toujours assez significatifs des préoccupations du moi collectif, de ses intérêts, de ses rêves et de ses utopies. Les peurs et les angoisses, comme les joies et les rêves s'expriment dans les journaux à travers les articles et les enquêtes des journalistes mais aussi dans les points de vue de ceux qu'on appelle les faiseurs de l'opinion. Ces débats peuvent aussi s'exprimer à travers les radios et les télés. Mais l'Internet et la toile sont devenus récemment des espaces de débats et d'échanges entre des milliers d'internautes qui s'adonnent à cœur joie et s'expriment en toute liberté dans leurs blogs ou dans les espaces de discussion bravant ainsi toutes les formes de censure.

Je m'intéresse depuis longtemps à ces débats car ils expriment pour moi les préoccupations des sociétés. Je passe des heures entières à naviguer sur l'Internet à essayer de visiter le plus de sites de journaux ou autres blogs afin de me tenir informé sur les principaux débats. D'ailleurs dès que je mets les pieds dans un pays, ma première destination ce sont les marchands de journaux afin que je puisse en acquérir le plus grand nombre et ensuite m'installer dans un café et commencer à les dévorer avec plaisir et délectation! Bien évidemment ce recours à la presse, à l'Internet et aux journaux télévisés s'amplifie lors des moments clefs de notre histoire comme les guerres, les élections dans des grands pays ou tout simplement lors d'évènements sportifs d'envergure comme c'était le cas tout récemment avec les Jeux Olympiques à Pékin.

Ces visites nous permettent de voir les préoccupations des uns et des autres. Alors à quoi pense le monde en ce moment? Les américains sont totalement préoccupés par deux questions majeures. La première est bien évidemment la crise financière et l'avenir de leur puissance économique et de son hégémonie sur le monde. Entre le plan Paulson de sauvetage des grandes institutions financières et la récession qui pointe à l'horizon, les américains poursuivent un débat passionnant sur les moyens de sortir de cette crise systémique. Mais au-delà de la crise actuelle, ce qui les préoccupe concerne les moyens de rétablir leur hégémonie sur l'économie mondiale. En Europe, on assiste également à des débats intéressants sur des réponses appropriées à la crise financière. Mais l'Europe poursuit son débat sur la construction de son unité entre ceux qui s'opposent au traité de Lisbonne et ceux qui y voient un moyen de renforcer la coopération et l'intégration régionale.

En Afrique, les débats ne manquent pas et beaucoup s'intéressent au rôle de l'aide dans le développement pour appeler à une plus grande mobilisation des ressources internes afin de se passer de ce fardeau et des complaintes de l'homme blanc. A ce débat sur l'aide, on se passionne en Afrique pour les questions de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption pour en faire des piliers du développement du continent et de son décollage. En Amérique latine et en Asie, on se préoccupe aussi du nouveau rôle des pays émergents de cette région dans la gestion de l'ordre global. On s'intéresse également aux questions de la répartition des richesses dans certains pays d'Amérique latine avec l'idée de favoriser une répartition plus équilibrée des richesses.

Ainsi, ce rapide tour d'horizon nous permet de voir que toutes les régions sont en pleine effervescence intellectuelle et les débats fusent de partout. Et comment il pourrait en être autrement dans un contexte marqué par une grande incertitude sur l'avenir du fait d'une globalisation qui, parallèlement aux opportunités, laisse également apparaître de grandes inquiétudes sur l'avenir de notre planète. Mais comme on l'a constaté, la plupart des débats, qu'il s'agisse de l'Amérique, de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique, portent sur les moyens de définir de nouveaux projets et de nouvelles utopies pour inscrire ces régions dans l'avenir de notre monde. Ainsi, le futur et les projets pour le construire autrement sont au centre des préoccupations du monde !

En même temps, à quoi pensent les Arabes? A des choses totalement différentes et qui pour certaines nous ramènent aux rêves d'un âge d'or d'il y a quinze siècles! Un rapide tour d'horizon dans la presse arabe nous montre que, pour nous, le futur est antérieur et nous ramène toujours à la question des origines! Que l'on en juge! Au Maroc a lieu un important débat sur l'âge légal du mariage. Et certains considèrent dans une fatwa que neuf ans leur paraît un âge raisonnable pour commencer à tripoter les petites filles. Vous conviendrez aisément avec moi que ceux qui le font sont des malades qu'on a commencé à interner ou à mettre en prison dans certains pays civilisés pour pédophilie! En Egypte, un important débat oppose les "savants" sur les conversions de sunnites au chiisme et certains d'aiguiser leurs armes pour commencer de nouvelles guerres de religion! Ailleurs, on nous explique, le plus sérieusement du monde que les principes islamiques constituent la meilleure réponse à la crise financière de Wall Street! Allons bon ! On devrait peut être envoyer nos barbus disserter de la crise avec le sieur Paulson, le Secrétaire au Trésor américain ou, mieux, demander à Bush d'arrêter la guerre contre le terrorisme pour quelques jours et inviter Ben Laden et son charmant compagnon Aymen Zawahiri à aller à Washington pour expliquer aux gourous de Wall Street les principes de l'économie islamique !

Au moment où le monde réfléchit sur son avenir, nous nous attachons à nos mythes et nos rêves d'antan! On a beau mettre la responsabilité de nos malheurs sur les autres et s'attacher à la théorie du complot et de l'impérialisme qui nous en veut de manière génétique! Mais, quelque part, être dans le temps du monde est de notre responsabilité et passe par la définition de nouveaux agendas pour nos débats et nos réflexions.

Slim Ben Taleb

[Cet article a été publié dans Attariq Al Jadid]

vendredi 17 octobre 2008

Pollution linguistique



















Il n’y a pas que la pollution de l’air, de l’eau et de la terre, notre langue aussi est polluée, et pour longtemps si on n’y prend garde.

Leaders mondiaux ! On est leaders mondiaux en matière d’impolitesse, d’incivisme, de langue dépravée, rythmée de gros mots, de mots plus gros que la bouche qui les prononce, plus lourds que le bonhomme qui ose les articuler, n’importe où, n’importe quand, devant n’importe qui. Que celui qui ne s’est jamais senti agressé, souillé par ces avalanches de grossièretés - alors qu’il est accompagné de ses enfants, ses parents, sa femme, sa fiancée, son patron, que sais-je - me jette la première pierre et m’adresse un démenti cinglant. Mon adresse mail est juste sous ma signature.

Pas besoin d’être linguiste pour voir comment fonctionne la pseudo langue qu’utilisent ces néandertaliens sortis tout droit d’un roman de Rosny Aîné. Deux grandes règles fixent le flux de leur logorrhée, deux grands principes : le gros mot ponctue ou alors le gros mot remplace, supplée. Quand il sert à marquer ce qui fait fonction de phrases chez ces attardés mentaux, il délimite le schéma prosodique de leurs borborygmes sans qu’on sache vraiment si cette ponctuation est purement gratuite ou si elle joue un rôle phonostylistique quelconque. Prenons le cas de ce monosyllabe, qui côtoie dans les dictionnaires francophones les mots zèbre et zébu, mot fameux entre tous et statistiquement prédominant dans les rues et les ruelles de Tunis ou d’ailleurs. La question est de vérifier si l’usage de ce petit mot, véritable emblème du gros mot de chez nous malgré sa taille, exprime un point de vue, un sentiment quelconque, souligne une intention, ou alors au contraire est une simple ponctuation qui signifie dans cette grammaire primitive la fin d’un énoncé. Et la réponse est évidente: pour exprimer un point de vue, quel qu’il soit, il faut un certain niveau intellectuel au moins égal ou supérieur à celui du bonobo et de l’orang-outang. Il s’agit donc, pour le cas de ces australopithèques dégénérés, d’une simple ponctuation dans une espèce de réflexe de Pavlov.

L’autre principe linguistique, c’est que le gros mot joue le rôle d’un mot vicaire, c’est-à-dire d’un mot de remplacement, comme quand, en français, on dit truc ou machin, mais voilà : en arabe dialectal tunisien on ne dit ni machin ni bidule ni chose, on dit un gros mot, choisi d’une manière aléatoire dans une liste prédéfinie, paradigme qui appauvrit inexorablement les compétences lexicales de ces bigfoots que j’ai du mal à appeler locuteurs. Si ces phacochères se contentaient de pratiquer leur sociolecte entre eux, dans un bouge infâme ou au fond d’une ruelle obscure, je n’aurais rien écrit à leur sujet, mais ces babiroussas veulent que tout le monde les entende, et goûte les rots et les miasmes qui sortent de leur cloaque.

Alors basta, cela fait au moins 40 ans que ça dure. Mais, comme pour tout le reste, on laisse faire, on baisse les bras, on se dit à quoi bon, alors que nous avons raison sur tous les plans, qu’on représente l’écrasante majorité des citoyens, des citoyens dignes, responsables, civilisés, des citoyens qui, par la simple expression de leur colère, la colère du juste, pourraient inverser la tendance. Il y a des gifles qui se perdent, je vous jure !

Zinelabidine Benaïssa

(NDLR : pour contacter l'auteur, cliquer sur son nom)

[Cet article a été publié dans Attariq Al Jadid]

samedi 11 octobre 2008

A mon ami(e) qui votera Ségolène aux présidentielles de … 2009


(article à paraître dans le dernier numéro d'Attariq Al Jadid)

Les mots qui suivent ont été inspirés par une de ces discussions furtives, improvisées et, de temps en temps, intéressantes dont Facebook me donne parfois l’occasion. Dans le confort de nos chaises et sous la protection de nos écrans d’ordinateurs, le «mur» virtuel de l’un de nos camarades était l’objet de nos graffitis. Il est clair que l’espace mural qu’offre la virtualité nous permet, comme dans des temps passés, de griffonner nos slogans, nos idées et les noms de nos héros sans trop nous inquiéter du passage des services municipaux ou de l’irruption de la voiture de police.

Se permettant, dans son espace mural, le luxe de rêver d’une élection présidentielle libre et transparente en 2009, le camarade en question s’est interrogé sur le choix de vote, libre et secret, que pourrait avoir chacun d’entre nous. Pour différentes raisons, la majorité des taggeurs, qui se sont intéressés à la question auraient voté blanc, y compris le farceur et indiscipliné auteur de ces lignes. Il y en aurait aussi ceux qui, déplorant l’absence d’une alternative politique au pouvoir et de candidats sérieux et visibles, auraient consommé leur droit de vote avec une éventuelle liste Chbaya7, étant donné que «les morts», plus que les vivants, ont toujours été des participants actifs à toutes nos élections passées.

La gravité de la question n’était pas incompatible avec un zeste d’humour. Dans une configuration bien imaginaire mais fort révélatrice, Lakhdhar, l’icône virtuelle de la publicité et son slogan ravageur vantant les valeurs du partage et de la solidarité -ta9tham-, aurait pu tout emporter sur son passage, y compris les leaders d’opinion des temps présents que sont les bouillonnants et pas très sympathiques présidents de certains clubs sportifs ou leurs attaquants vedettes et le trop souriant, au point de nous faire peur, Cheikh Machfar. Dans pareille configuration, le seul qui a pu résister à la tornade verte enrobée d’un chocolat industriel de qualité moyenne était Choko, le bandit romantique du Ramadan.

Morale de l’histoire: les élections de 2009, présidentielles et encore moins législatives, la politique et la chose publique en général ne suscitent pas beaucoup d’engouement parmi nos concitoyens. La discussion que j’ai infidèlement rapportée se serait passée autrement et aurait été plus passionnée, si notre camarade avait demandé qui, de McCain ou de Obama, de Royal ou de Delanoë, avait notre préférence. Tout aurait été débattu, aurait été exposé avec l’intérêt, la préférence qu’on porte traditionnellement aux produits importés et avec l’espérance que nourrissent certains d’entre nous de manger un authentique «Big Mac double cheese», en famille, sur l’avenue Bourguiba ou les berges du Lac. Pour ce qui est des élections françaises, beaucoup de Tunisiens de ma connaissance, sans s’être réveillés tôt ou avoir interrompu leur beau week-end du début mai 2007, ont voté Royal à partir de leur écran de télévision. L’élan Ségolenien, à l’image du PS s’est un peu fissuré. Ceci n’empêchera pas les plus convaincus à ne pas rater les rediffusions sur la chaîne parlementaire et de suivre de très près la préparation du congrès de Reims. C’est la même logique, mais pour des raisons différentes et plus intéressées, qui fait que Ouled 7oumti, expression que mon français de poche n’est pas arrivé à traduire, soutiennent depuis quelques années les gouvernements de gauche de Romano Prodi. Les choix politiques répressifs de Silvio Berlusconi, en matière de lutte contre l’immigration clandestine, y sont certainement pour quelque chose.

A l’évidence, On ne discuterait pas de Ahmed Brahim ou de Maya Jribi, les candidats possibles ou éventuels de l’opposition tunisienne démocratique et indépendante lors des prochaines élections présidentielles. On abordera, encore moins, le cas des candidats des partis inféodés au pouvoir. Mais là je peux comprendre.

On pourrait admettre que le climat de peur et d'incertitude qui règne dans le pays et la répression qu’exerce le pouvoir face à toute opinion libre et discordante, les punitions exemplairement dures et dissuasives que subissent certains militants des droits de l’Homme et des libertés font que les gens évitent de regarder du côté de la chose publique. Je n’omettrai pas de signaler aussi que la surexposition médiatique dont bénéficient les partis fantoches, alliés au Pouvoir et la faiblesse des partis d’opposition démocratique (loin d’être exemplaires sur beaucoup de questions, par ailleurs, même si certains d’entre eux essayent de le devenir), décrédibilise le système partisan au regard des citoyens les plus intéressés, rend obsolète l’idée même de l’alternance et anéantit l’intérêt que pourrait avoir une élection. En définitive, «C’est tous les mêmes ! Une fois au pouvoir, ils seront pires que ceux qui sont en place. Ils ne sont pas dignes de confiance». Tout comme moi, cette réponse là, vous l’avez certainement entendue quelque part. Une anomalie appelant l’autre, les gens -sans vouloir généraliser- se recroquevillent sur des démarches rassurantes et individualistes: personnelles, ou familiales ; et comme beaucoup de nos amis, ils préfèreront évoquer, à bon escient, le côté sensationnel, «amusant» et voyeur de la chose publique dans sa forme tunisienne - faits divers, scandales, rumeurs salées-, ou discourir avec enthousiasme, l’alcool ou le dépit aidant, sur la démocratie, la laïcité ainsi que sur la répression dans le bassin minier, dans des cercles strictement privés et totalement hermétiques. Je n’oublierai pas, par ailleurs, les déçus d’un engagement politique ou estudiantin qui remonte à une lointaine jeunesse et qu’on ressort dans les grandes discussions telle une décoration qu’un ancien combattant accroche fièrement, le jour d’un grand défilé.

Je me rends compte, à force d’avoir subi les mêmes répliques, que ce je viens d’écrire ne sont que les refrains de la même chanson. Celle qu’on nous a répétée avec des arrangements et des voix différents. Celle qui nous a demandé de bien étudier pour garantir notre avenir. Celle qui fait que beaucoup d’entre nous, tout en défendant l’école publique, envoient leurs enfants étudier dans les écoles privées, dans les écoles françaises ou à l’étranger, sans perspectives de retour. Cette même chanson qui fonde l’immobilisme et les peurs qui pourraient animer bon nombre d’entre nous. Celle qui les justifie par le changement impossible, par le «manque de crédibilité des uns ou des autres», par ce pays qui change, par l’intolérance, par la crainte que certains éprouvent, sans la clamer haut et fort, de voir leur confort individuel menacé sur le court terme et par toutes ces postures lâches et profiteuses; et j’en passe et des pires… Vous connaissez certainement cette chansonnette. Il en est de même pour moi. J’en ai marre de l’entendre. Je ne l’écouterai plus. Elle n’est plus recevable dans mon esprit. Elle ne me fournit presque plus aucun élément d’explication et ne justifie pas le désintérêt de certains quant au sort de ce pauvre pays. Certaines voies, fortement exiguës, je le reconnais, demeurent possibles. Pourquoi ne pas les emprunter pour mieux les élargir?

Il n’est nullement question de faire confiance à la nature et à «son horreur du vide», quand on envisage les tsunamis de l’intolérance et les ouragans de la réaction qu’elle est en train de nous réserver. Mais son évocation reste toujours utile pour se remonter le moral en se disant juste que pour chaque combat par l’action et les rencontres auxquelles on ne s’attend pas, il y aura toujours des femmes et des hommes qui auront la force et le courage de mener le leur et que les faux-culs, les courageux, les téméraires et les c******s ont toujours existé ; et comme il l’a toujours fait, le pays continuera à produire, à la fois, de l’intelligence et de la bêtise.

Je ne généralise pas et je ne me permets pas d’être donneur de leçons ; tant je sais ce que beaucoup de nos ami(e)s, animé(e)s d’énormément de courage et de passion, sont en train d’accomplir, du cœur à l’ouvrage, en faveur de la citoyenneté dans beaucoup de terrains et ce, même en dehors de la politique. Il n’en demeure pas moins que c’est la politique et les partis qui sont les moteurs d’un changement possible, éventuel ou hypothétique.

A mon camarade, pour y revenir, j’ai suggéré d’autres questions plus directes que la sienne sur les thèmes suivants: sur le pays qu’on voudrait laisser à nos enfants, sur l’image qu’on voudrait que nos petits gardent de nous, sur l’histoire de ce pays, sur les rêves qui nous animent, sur la notion de courage, sur celle de la postérité, sur l’utilité autre que physiologique des «couilles», etc. Par rapport à toutes ces questions, et à tant d’autres, le vieux monsieur qui nous a quittés la semaine dernière a rendu la copie parfaite. Cette modeste contribution dans sa maladroite violence et sa débordante sincérité lui est affectueusement dédiée.

Anouar Ben Naoua

vendredi 3 octobre 2008

Notre héros est mort, son combat continue

A l’âge de quatre-vingt-douze ans, après soixante-quatorze ans d’un combat exemplaire, Georges Adda nous a quittés. Par-delà son courage et sa persévérance, son itinéraire est celui d’un homme hors du commun, probablement unique dans l’histoire de notre pays : acteur de premier plan dans la lutte pour l’indépendance ; figure de proue du mouvement démocratique une fois celle-ci acquise. De manière admirable, Georges a engagé le combat sur quatre terrains à la fois : une lutte farouche pour notre indépendance, une solidarité agissante avec les travailleurs et les pauvres, un combat de cinquante ans pour l’instauration de la démocratie, une solidarité internationale avec les opprimés du monde entier, au premier rang le peuple palestinien. Sur chacun de ces terrains, il a été une figure emblématique et a marqué les esprits et l’Histoire.

Hier encore, il était l’un des derniers combattants pour la libération nationale en vie. Emprisonné ou déporté de 1935 à 1936, de 1940 à 1942 et de 1952 à 1954, Georges était respecté par tous, car dès l’âge de 18 ans, au péril de sa vie, sans relâche, il s’était battu pour que la Tunisie devienne une nation indépendante et que les Tunisiennes et les Tunisiens recouvrent leur dignité.

Son combat de prime jeunesse, il l’avait engagé sur le terrain de la libération sociale avec le Parti communiste dont il est rapidement devenu une figure de premier plan – Secrétaire général adjoint- en juin 1936, dès l’âge de dix-neuf ans et demi. Mais pour Georges, libération sociale et libération nationale étaient inséparables. Il n’acceptait pas de reporter le combat pour l’indépendance et contre le colonialisme au prétexte de faire front contre le fascisme. Et il était encore moins prêt à dénoncer « l’aventurisme néo-destourien » au lendemain des événements du 9 avril 1938.

Le rapport qui sera rédigé par un responsable du Parti communiste français, à l’issue de sa mission en Tunisie en avril-mai 1938, et qui sera adressé à l’Internationale communiste le présentera comme « élément malsain qui ne doit pas réapparaître dans les rangs du Parti » car « jusqu’au bout, (il) n’a cessé de soutenir le néo-Destour, empêchant d’attaquer les chefs sous prétexte que cela pouvait nuire à la réalisation de l’unité d’action....C’est lui qui déclarait que le néo-Destour était un « Parti National révolutionnaire, anti-impérialiste ». Dans le mouvement national, Georges occupe une place à part.

Compagnon de cellule de Bourguiba et des grandes figures de la lutte de libération nationale, il a gardé de ces moments de commune captivité, de commune condition et de camaraderie avec les leaders néo-destouriens des liens indissolubles. Ces liens, ces camaraderies, il s’appliquera à les mobiliser à chaque fois au service de la cause démocratique.

L’indépendance recouvrée, Georges a poursuivi son combat sur un triple terrain : celui de la libération sociale, celui de la démocratie et celui de la solidarité internationale.

Son combat prendra différentes formes, selon le contexte et les circonstances. Il prendra une forme collective pour la constitution de larges coalitions politiques : ainsi en est-il, notamment, du « Mouvement des 150 », créé au lendemain des élections d’avril 1989 pour faire front contre la bipolarisation de la vie politique et offrir une alternative démocratique et progressiste ; ainsi en est-il de l’ « Initiative Démocratique » créée en 2004. Son âge avancé ne lui permet pas d’envisager toutes les formes d’action, mais celles qu’il met en œuvre sont originales et efficaces : il a toujours une touche personnelle qui confère à ce qu’il soutient crédibilité et rayonnement. A chaque fois, il s’évertuera à casser les frontières, à bâtir des ponts avec les destouriens authentiques et les personnalités qui ne font pas partie du « milieu démocratique », y compris celles qui ont été au pouvoir. Il inventera des formes appropriées à leur participation et à leur contribution. Il y réussira souvent, tout en considérant que cela n’est pas assez.

Lorsque la forme collective, qu’il préfère, n’est pas envisageable, il engagera le fer tout seul. Il ira ainsi porter au Palais de Carthage une lettre personnelle au président de la république pour demander la mise en liberté du leader déchu Habib Bourguiba ; dans le cas de la tentative d’assassinat de Riadh Ben Fadhl en date du 23 mai 2000, au lendemain de la publication de son article dans « Le Monde » dans lequel il demandait le passage de relais au sommet de l’Etat, Georges engagera, d’abord, une initiative personnelle puis l’élargira. Au lendemain des massacres de la place Tien An Men, il se rendra seul à l’ambassade de Chine ; il demandera à être reçu pour porter sa lettre de protestation aux autorités chinoises.

Son combat prendra aussi la forme de l’expertise au service des travailleurs sur les questions de la protection sociale, de la couverture maladie en particulier, domaines dans lesquels il excellait. Mais une expertise doublée de communication et de dialogue avec les bases syndicales : malgré son âge avancé, il fera pratiquement le tour de la Tunisie et discutera avec un millier de responsables syndicaux. Son analyse est limpide, solide, son langage est franc, direct, exempt de démagogie. Il invite les syndicalistes à accepter la réforme de l’assurance-maladie proposée par le gouvernement, mais de conditionner cette acceptation par la mise à niveau des services publics de santé. Grâce à la rigueur de son analyse, grâce à sa force de conviction et à son itinéraire d’homme intègre au service des nobles causes, il convainc. Son intérêt pour les plus pauvres des salariés –les smigards- est permanent : tous les ans, à la veille de la revalorisation du SMIG, chiffres à l’appui, il montre la détérioration de leur pouvoir d’achat et revendiquera pour eux justice.

La solidarité internationale n’occupe pas une moindre place dans sa vie ; elle a été l’un des ferments de son engagement. En 1997, à l’occasion du centenaire du Congrès sioniste de Bâle, il lancera sa déclaration « Aujourd’hui les non-sionistes parlent » qu’il fera signer par des dizaines de grandes personnalités internationales et dans laquelle ils affirment qu’il n’y a pas de « peuple juif », de « nation juive » ou de « race juive » et à la Conférence arabo-internationale de solidarité avec le droit au retour des réfugiés palestiniens et le droit du peuple palestinien à disposer de lui-même d’avril 2006, il enverra sa communication dans laquelle il affirme que « la véritable paix, la tranquillité, la sécurité, la liberté, l’égalité et la justice ne prendront leur place naturelle et légitime dans ce Moyen-Orient agressé, spolié, dominé et occupé par des étrangers, que lorsque la Palestine, de la frontière libano-palestinienne à Eliath sur la Mer Rouge, de Haïfa à Jérusalem, de Tel-Aviv à Jéricho et de Naplouse à Gaza, sera complètement libérée, que lorsque tous les Palestiniens et tous ceux réfugiés dans de nombreux pays du monde, reprendront complètement et totalement possession de tous leurs anciens logements, cimetières, terres, biens divers et administrations publiques ».

On entend dire que Georges est beaucoup aimé des jeunes et des artistes et on se demande pourquoi. La raison est simple : Georges est un amoureux de la vie ; sa vie est une ode à la vie. Toujours de bonne humeur, plein d’humour, il a la pensée en éveil, effervescente. Son regard sur la vie et le monde est vif, subversif et n’a jamais cessé de l’être. Son engagement est bonheur ; sa fidélité à ses engagements de jeunesse totale. Sa confiance en l’avenir de l’homme et en le triomphe de la justice est inébranlable et communicative. L’écouter est un ressourcement. Amoureux de l’art et de la culture ; autant par plaisir que par désir d’encourager les artistes dont il connaît la solitude, il assiste à toutes les premières des créations théâtrales et cinématographiques et, presque systématiquement, à une autre représentation. Il est le premier à se dresser à leurs côtés dès qu’ils sont l’objet de brimades ; il est leur ami.

Et au lieu de s’émousser au fil des ans, le langage de Georges a gardé sa verve et peut-être même gagné en sens de la communication, en sens de la formule. Ses idées sont des idées chocs ; elles mobilisent nos sens parce qu’elles mobilisent les siens, parce que son engagement est passion. « Je suis un communiste !» dit-il et soudain ce qualificatif anachronique revêt une symbolique romantique : fidélité aux engagements premiers, rêve d’un monde sans exploitation et sans oppression ; « Je suis un Berbère judaïsé » et soudain il nous restitue la Tunisie des profondeurs historiques et son enracinement propre dans cette Tunisie-là ; et exprime, ce faisant, sa démystification de la thèse du « peuple juif comme diaspora des enfants de Canaan ». « Toutes les femmes et tous les hommes de tous les pays qui sont écrasés par les injustices politiques et sociales développées par leurs gouvernants ou par les occupants étrangers sont mes sœurs et mes frères » et voici la solidarité internationale réaffirmée avec des accents lyriques. Et exprimant sa foi en la complète libération de la Palestine, il déclare : « Et si cette conviction s’avérait être une utopie, je préfère mourir avec tout en rêvant ».

Georges est mort insatisfait de n’avoir pas vécu toutes les promesses de son combat et de celui de sa génération, en particulier la sortie de l’autoritarisme et de la peur ; et l’entrée de plain pied dans une vie démocratique et libre. Il est cependant mort comblé, fier de notre indépendance recouvrée et de notre avancée sociale, fier de sa propre contribution aux progrès de son pays et de son peuple, fier des pierres qu’il a posées pour le triomphe de la justice à l’échelle du monde et pour les droits inaliénables du peuple palestinien.

Par ces temps de grisaille et de doute sur notre propre pays, il nous faut être attentifs aux messages et lire les signes d’espoir: la Tunisie et les Tunisien(ne)s ont reconnu en Georges un de leurs héros. Derrière nos ovations chaleureuses et émues chaque fois à l’annonce de son nom publiquement prononcé, il a clairement perçu notre amour et notre hommage à son œuvre à notre bénéfice accomplie. Et Georges en avait à chaque fois le cœur fondu. Parce qu’au crépuscule de sa vie, il recevait la confirmation de l’utilité de celle-ci et des sacrifices qu’il a consentis, notre déclaration de souscription au combat de toute sa vie engagé ; et parce qu’il saisissait, à travers nos frémissements et nos larmes, que nous partageons ses valeurs et ses rêves. Et qu’avec nous, après sa mort, son combat continue.

Mahmoud Ben Romdhane