lundi 29 juin 2015

Partis politiques et classes sociales

Mon dernier article paru sur Attariq Aljadid Pourquoi la gauche est hors jeu, dans lequel j’évoquais le lien entre la gauche et les classes populaires, d’un côté, et entre celles-ci et la question économique et sociale, de l’autre, a suscité des réactions et des critiques que l’on pourrait résumer comme suit :
-      Un parti politique n’est pas censé représenter les intérêts d’une classe sociale ou en être le porte-parole ;
-      D’ailleurs, existe-t-il encore aujourd’hui des classes sociales au sens qu’on donnait à ce concept « autrefois » ?
-      Et, de toute façon, les enjeux actuels transcendent les clivages sociaux : ils sont fondamentalement de nature culturelle et sociétale et non pas de type économique et social.
Ces remarques sont d’un grand intérêt théorique et méritent, pour cela, une réponse rigoureuse et détaillée. Ainsi, pour ce qui est de l’existence ou non des classes sociales, Bourdieu disait cette phrase magnifique : « la question de l’existence ou de la non existence des classes est un enjeu de lutte entre les classes »[1] ! Il est indéniable, en effet, qu’il existe un rapport dialectique entre l’existence des classes dans la réalité, c’est-à-dire dans la distribution objective des propriétés économiques et sociales, et leur existence dans la représentation des sociologues, des intellectuels et des politiques.
Certes, les classes n’existent pas comme elles existaient « autrefois », c’est-à-dire avec une forte conscience de classe, mobilisée autour de claires revendications économiques et sociales. Car, avec le processus de moyennisation des sociétés observé durant les Trente Glorieuses, et avec le reflux du marxisme dans le champ intellectuel et celui du communisme dans le champ politique, les clivages se sont déplacés vers d’autres registres : la religion, les mœurs, la pratique sexuelle, etc. Mais, avec la réapparition d’inégalités structurées, la question sociale est en train d’émerger de nouveau et, après le thème de la « fin des classes sociales » annoncée avec beaucoup d’autosatisfaction, dès les années 1980, nous sommes, depuis plus d’une décennie, en train d’assister indéniablement à celui du « retour des classes sociales ».
Par ailleurs, on l’a dit plus haut, la perception des classes sociales et leur évolution est quelque part tributaire d’un rapport dialectique entre classes et partis politiques. Nous nous référons ici à Gramsci, pour qui, « « S’il est vrai que les partis ne sont que la nomenclature des classes, il est vrai aussi qu’ils ne sont pas qu’une expression mécanique et passive de ces mêmes classes ; ils réagissent énergiquement sur celles-ci pour les développer, les consolider et les universaliser » (C3, §119). Cette idée est tellement vraie que l’acuité de la question sociale et le niveau de conscience de classe dans une société varient nettement selon qu’elle a, oui ou non, abrité un fort parti communiste[2].
Or, l’histoire politique et sociale de la Tunisie a agi fortement dans le sens d’une euphémisation des antagonismes sociaux. Et ce, pour plusieurs raisons, dont les plus importantes sont : le discours interclassiste et unanimiste du néo-destour, la non adoption par la centrale syndicale de la théorie de la lutte des classes et l’absence, à la fois, d’un parti communiste de masses et d’une bourgeoisie forte qui aurait assis sa domination sur toute la société. Face à ce lourd héritage d’euphémisation assumé par le parti unique, puis par le parti hégémonique, l’opposition elle-même était demeurée prudemment dans l’approche interclassiste. Y compris l’extrême gauche, qui préfère parler au nom de la catégorie floue et élastique de « peuple » plutôt que d’identifier clairement les classes sociales dont elle défend les intérêts.
Dès lors, et bien que le moment fondateur du 17 décembre / 14 janvier se soit élevé contre les inégalités sociales et régionales, la révolution a rapidement débouché sur un clivage culturel transcendant les classes sociales et opposant les modernistes aux conservateurs, et qui a mené aujourd’hui à la bipolarisation entre (et domination de) Nahdha et Nida. Or, la sortie de ce type de clivage ne peut être obtenue que par la réactivation de la question économique et sociale.
Ce point a été très bien vu par un néo parti : Afek Tounes, qui se distingue des autres en ce qu’il se positionne clairement sur la question économique et sociale en promouvant une vision et un projet cohérents en la matière. Seulement, par l’appartenance socioprofessionnelle de ses leaders, par le type de sa communication politique et, surtout, par le contenu de son offre politique, on voit très bien que ce parti se propose de défendre les intérêts d’une classe d’industriels et d’hommes d’affaires et d’une certaine classe moyenne supérieure, plutôt proche du secteur privé. En gros, il se veut porteur d’un projet de « modernisation régressive », de réformes annulant les droits et les acquis de l’Etat social et limitant le pouvoir du syndicat des travailleurs, etc. En gros, ce parti porte un intérêt certain pour l’économie, traitée cependant à partir d’un point de vue opposé à celui exprimé par la révolution.
Ainsi, ce qui commence à être fait avec plus ou moins de succès du côté de la droite, gagne à être fait par les formations de la gauche, si elles veulent arracher leur place sur l’échiquier politique tunisien. Seulement ces formations doivent comprendre qu’il ne suffit pas de s’autoproclamer porte-parole des populations marginalisées, des classes subalternes et des régions dominées, pour que celles-ci votent automatiquement pour elles. Il faudrait, d’abord, qu’elles sortent du registre strictement contestataire pour produire un projet économique et social, global et cohérent, visant à limiter les inégalités entre classes et régions, pour s’atteler, ensuite, à un véritable travail idéologique de persuasion, visant à gagner la confiance et à emporter l’adhésion des groupes sociaux visés.
Notre pays est aujourd’hui une démocratie naissante. Ce n’est qu’à l’occasion de la révolution qu’il accède à une vie politique véritablement pluraliste où les partis politiques sont en compétition pour arracher le maximum de représentation du corps électoral et sont appelés volens nolens à se positionner par rapport aux principaux clivages qui traversent la société. Ainsi, à plus ou moins long terme, se dessinera nécessairement un échiquier politique où les principaux partis se situeront (et seront identifiés) à partir de leurs positions et propositions tant au niveau sociétal qu’au niveau économique et social. Certes, ceux qui se positionneront sur le clivage économique et social, à droite comme à gauche, auront à affronter deux grands handicaps. D’abord, celui d’une histoire nationale qui a réussi l’euphémisation des antagonismes sociaux. Ensuite, le contexte de la transition démocratique qui s’est rapidement structuré autour du clivage culturel.
Dès lors, réinstaller la question économique et sociale au cœur du débat politique et se positionner comme porte-parole de classes sociales dûment identifiées sera une opération difficile et délicate. Il faut donc s’y atteler de manière intelligente et le plus tôt possible. Sans oublier toutefois que, dans cette affaire, la gauche a un grand avantage sur la droite : pouvoir se raccrocher plus aisément aux slogans et revendications de la révolution.

Baccar Gherib
Attariq Aljadid, 27 juin 2015.

[1] Bourdieu P., Questions de Sociologie, Cérès, 1993.
[2] Chauvel, Schulheis, « Le sens d’une dénégation : l’oubli des classes sociales en Allemagne et en France », Mouvements, 2003.

Pourquoi la gauche est hors jeu

La question de l’organisation de la gauche tunisienne fait débat. Et ce débat fait rage. En effet, il ne se passe pas une semaine sans que ne paraisse un article, une contribution ou une réflexion là-dessus. Untel qui rêve de la construction du « Grand Parti de la Gauche », tel autre, plus réaliste, qui appelle au regroupement de toutes les formations de la gauche au sein d’un front. Chacun y va de son couplet sur le type d’organisation à même de renforcer la gauche, de lui permettre d’occuper une meilleure place sur l’échiquier politique. Ces initiatives sont louables. Elles dénotent d’une envie de sortir de la situation actuelle de faiblesse, mais, surtout, elles sont révélatrices d’un malaise, d’une frustration et d’une prise de conscience d’un problème. Toutefois, celle-ci demeure superficielle : l’état d’incapacité politique de la gauche tunisienne aujourd’hui ne tient pas tant à des défauts d’organisation. Il est plus profond, car il tient, nous semble-t-il, à l’absence de vision et, donc, de projet pour la société tunisienne.
Mais quelle est, d’abord, la position de la gauche sur la scène politique tunisienne ? Elle n’est pas fameuse ! Au sortir des dernières élections législatives, et malgré un mode de scrutin censé disperser la représentation des citoyens, nous nous trouvons avec une claire bipolarisation politique autour de deux grands partis, deux grands courants de la société, opposés essentiellement sur le modèle sociétal : conservateur contre réformiste. Très loin derrière ces deux mastodontes, la gauche arrive avec une quinzaine d’élus obtenus grâce aux plus forts restes. Ce qui montre clairement qu’elle n’est pas enracinée dans la société tunisienne et que son électorat se limite essentiellement à des élites urbaines. Et on ne peut pas, dans ce cas, parler de troisième force, car on n’a pas perçu de capacité ou d’efficacité politique venant de ce groupe parlementaire, qui se cantonne jusqu’ici dans le registre qu’il maîtrise le mieux, celui de la contestation. Autrement dit, il ne pèse pas sur les choix.
Cependant, l’échec de la gauche ne réside pas seulement dans son faible score électoral, mais plus fondamentalement dans la disparition de la question sociale de l’horizon du débat politique, quatre ans après une révolution au puissant souffle social, éclipsée qu’elle est par les questions constitutionnelles d’abord, politiques, ensuite ! Cette incapacité à saisir la chance historique de la révolution et à produire une offre politique correspondant aux attentes et revendications exprimées par le moment du 17 décembre – 14 janvier, ni à porter de façon cohérente et convaincante la question sociale est sans doute le plus grand échec de la gauche tunisienne. Or, cette incapacité à porter la question sociale nous donne pour ainsi dire une gauche boiteuse : prompte à se battre sur les questions culturelles et sociétales, contre les courants conservateur et rétrograde, mais timorée voire démunie sur le champ social, face à l’adversaire libéral, qui n’est ainsi nullement inquiété. Plus grave, elle rend la gauche inaudible par les classes populaires, son électorat naturel.
Bien évidemment, une telle faille dans l’offre politique de la gauche n’est pas voulue. Elle tient à l’absence d’une vision économique et sociale cohérente et globale, ainsi qu’il est apparu dans ses programmes, qui représentaient plus un assemblage de mesures qu’une réponse structurée à une problématique économique et sociale clairement énoncée. Or, autant l’absence d’une telle vision ne porte pas à conséquence pour les partis de droite, visant en fin de compte à conserver le statu quo économique et social, autant elle est préjudiciable pour qui se veut porteur d’une alternative à cet état des choses. D’où l’urgence d’une réflexion théorique et globale sur l’économie et la société tunisienne comme préalable à l’élaboration d’un projet en faveur des dominés et des exploités par le système actuel, apte à être décliné, dans un deuxième temps, sous la forme d’un programme.
Nous pensons ici à une réflexion du type de celle élaborée par Gramsci et Togliatti pour le Congrès du Parti Communiste Italien (PCI) à Lyon en 1926 dans les célèbres Thèses de Lyon, qui représentent, selon Raul Mordenti, le vrai document de refondation du PCI. Car il donne à voir, pour la première fois, une analyse spécifique, originale, créative de la situation italienne[1]. Y sont posées, en effet, des questions fondamentales : Qu’est-ce que l’Italie ? Quel type de capitalisme abrite-t-elle ? … Quelles sont les forces qui y agissent ? Quelle est la stratégie de la bourgeoisie ? Comment agissent les ouvriers ? Qui sont leurs alliés possibles ? … Quel rapport existe-t-il entre la lutte pour le communisme et la lutte pour la démocratie ? Pour déboucher ensuite sur la question de l’organisation du Parti, de ses rapports avec le syndicat et avec les Conseils ouvriers…
Cet effort d’accompagnement théorique est encore plus nécessaire durant les phases de transition, ainsi que le rappelle encore une fois Gramsci : « Voilà pourquoi le problème de l’identité de la théorie et de la pratique se pose surtout dans certaines périodes historiques, dites de transition, c’est-à-dire au mouvement de transformation plus rapide, quand les forces pratiques déchainées exigent une justification réelle pour avoir plus d’efficacité et d’expansion ou que se multiplient les programmes théoriques qui demandent eux aussi à être justifiés de façon réaliste dans la mesure où ils démontrent qu’ils sont assimilables à des mouvements pratiques qui ne deviennent plus pratiques et plus réels que de cette façon » (C15, §22). Hélas, il est patent que la gauche tunisienne n’a pas su accompagner théoriquement le déchainement des forces pratiques dans le pays. Mais, mieux vaut tard que jamais ! Il est urgent que les formations se revendiquant de la gauche s’attèlent d’urgence à ce travail théorique, pour affronter, ensuite, les questions d’organisationet de stratégie. Bien évidemment, cette réflexion doit être spécifiquement tunisienne et ne pas être importée ou puisée dans d’autres expériences et d’autres réalités aussi intéressantes soient-elles…
La période de l’autoritarisme a bercé les militants de la gauche tunisienne dans de douces illusions. Elle leur a fait croire qu’ils représentaient véritablement le peuple tunisien et que dès que s’imposera la démocratie, ils remporteraient les élections et dirigeraient le pays. Mais la démocratie les a mis à nu. Elle a dévoilé leurs limites, qu’ils viennent de la gauche démocratique (issue du PCT) ou de la gauche révolutionnaire (issue du GEAST), en leur montrant qu’ils sont bien loin de représenter un courant ancré dans la société à l’instar des courants conservateur et réformiste et qu’il y a bien du pain sur la planche pour pouvoir arracher une place respectable sur l’échiquier politique tunisien, pour faire partie du jeu et ne pas rester en dehors… Mais cela nécessite un grand travail de refondation, qui commence nécessairement par une importante réflexion théorique. La question de l’organisation pourra alors prendre la place qui est la sienne. En temps voulu.

Baccar Gherib
Attariq Aljadid, 30 mai 2015

(1) Raul Mordenti, in Seminario su Gramsci, Edizioni Punto Rosso, 2010, p27.

Unir la gauche, oui ! Mais autour de quoi ?

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt la réflexion - salutaire - de l’universitaire Cherif Ferjani, publiée le 8 mars dernier et intitulée : « La gauche en Tunisie : comment sortir de la division », qui a, entre autres mérites, celui de dévoiler les origines historiques des divisions au sein de cette mouvance politique et intellectuelle de la scène politique tunisienne, de retracer les divergences plus récentes entre ses différentes composantes sur le terrain des alliances et de proposer des pistes pour son union organisationnelle. Le tout, avec un louable effort de documentation, une bonne dose d’autocritique et beaucoup d’objectivité à l’égard des uns et des autres, des « gagnants » et des « perdants » des dernières échéances électorales, qui doivent être soulignés et salués.
Ainsi, ce texte est d’une rare lucidité quant aux défauts, voire les tares, de la gauche tunisienne, notamment l’extrême gauche, qui ont été hier à l’origine de ses divers fractionnements et qui demeurent aujourd’hui encore des obstacles majeurs face à toute démarche d’unification : les « excommunications réciproques » sur la base de « logiques d’anathèmes », le « sectarisme », la tendance à être « tolérants avec autrui et allergique à la moindre divergence dans son propre camp », etc. On peut, toutefois, lui reprocher de se contenter de pointer du doigt ces limites sans revenir à leur cause première, à savoir la nature idéologique de cette gauche, dans le sens de l’attachement à des lectures et des schémas figés, qui génère dogmatisme, puritanisme et sectarisme. C’est son caractère idéologique qui explique d’ailleurs son succès limité à l’université et la permanence de sa « coupure avec la société ».
D’ailleurs, il est clair que si le texte semble s’adresser à toute la gauche, il parle en vérité essentiellement à l’extrême gauche réunie au sein du Front Populaire, qu’il appelle à se défier de ses composantes nationalistes et qu’il invite – à juste raison –  à une sérieuse autocritique et même à une « clarification théorique » par rapport à ses positions classiques quant à « la démocratie et les libertés bourgeoises » – rejetées jadis en tant que telles. S’adresser essentiellement au Front Populaire s’expliquant fondamentalement par la nouvelle configuration issue des dernières élections législatives – ses 15députés –  et de la mobilisation autour de la candidature de Hamma Hammami aux présidentielles, qui ont fait que ce front ait occupé « la quasi-totalité de l’espace à gauche ». D’où une nouvelle responsabilité pour cette formation et les appels, qui s’ensuivent, à la modestie et à l’humilité dans ses rapports avec l’autre gauche, défaite…
Car il s’agit pour M. Ferjani, en fin de compte, d’aborder la question de l’unité de la gauche essentiellement par le biais de la question organisationnelle, en construisant le « grand parti de la gauche » ou bien en renforçant le Front Populaire et ce, en profitant de « la situation née de la révolution » qui « a créé une nouvelle base pour la structuration du champ politique » où « les compétitions électorales peuvent être le cadre adéquat pour construire des alliances susceptibles de contribuer à la réalisation de l’unité que l’absence de démocratie n’a pas favorisé auparavant ». Or, ce traitement de la problématique de l’unification par la question de l’organisation avec le rappel – légitime – de tous ses prérequis a le tort, il nous semble, de mettre en retrait la question politique et, plus précisément, celle du programme autour duquel la gauche tunisienne est appelée à s’unir…
Ce n’est, en effet, qu’à la fin de l’article que ces questions, pourtant essentielles, font, timidement, leur apparition. D’abord, quand M. Ferjani identifie les « deux principales tendances » de la gauche tunisienne : celle qui n’arrive pas à dépasser une certaine tradition du socialisme qui, pour défendre l’égalité, a sacrifié la liberté et la démocratie ; et celle qui, traumatisée par l’échec du socialisme réel,  en a été réduite à « minimiser l’importance des droits – égalités » dans une perspective de « gauche libérale ». Puis, quand il souligne que « le soutien aux aspirations et aux revendications des régions défavorisées, des classes populaires, des femmes et des jeunes doit être au cœur et à la base de programmes économiques, sociaux et culturels à élaborer en tenant compte des fondamentaux distinctifs d’une politique de gauche ».
C’est par le biais de ces deux questions, plus que par celle de l’organisation, il nous semble, que nous pouvons être au cœur d’une réflexion sur l’unification de la gauche tunisienne et son renouveau. Car, comment parvenir à rapprocher, sinon réconcilier, ces deux tendances autrement que par une plateforme idéologique, politique et programmatique, dans laquelle elles se retrouveraient plus ou moins toutes les deux ? Ce point est fondamental. Et la gauche tunisienne se trouve aujourd’hui face à un grand défi théorique : produire une connaissance du pays (dans le monde) qui sois la source d’un programme qui pense du côté des dominés et en leur faveur. M. Ferjani ne concède-t-il pas lui-même qu’une certaine radicalisation de la gauche au cours des années 1970 s’est accompagnée d’une perte de « son caractère intellectuel » ?
Or, dans le passé, ce qui faisait la force des partis progressistes, notamment marxistes, c’était cette capacité à produire une connaissance critique de l’économie et de la société dans lesquelles ils vivaient, à partir de quoi était produit leur programme et étaient pensées leur stratégie, leur tactique et leur organisation. C’est à ce travail de connaissance et de synthèse que les intellectuels et théoriciens de la gauche, qu’ils soient partisans ou non, doivent s’atteler de toute urgence. Ça éviterait aux partis de la gauche de faire du bricolage en guise de programmes, en piochant, ça et là, des revendications et des postures « de gauche », mais sans aucune vision ni cohérence d’ensemble. Tout en se querellant à ce propos.
Le souci d’unir la gauche est louable et nous croyons cette démarche salutaire, non seulement pour la gauche, mais aussi pour le pays, sa révolution, « ses régions défavorisées, ses classes populaires, ses femmes et ses jeunes ». Mais pour réussir son unification, encore faut-il être conscient que la question ne peut se limiter à son aspect organisationnel. Le texte de M. Ferjani représente un lancement du débat dans la gauche, mais il nous pousse à nous interroger : s’unir, oui ! Mais autour de quoi ? Et pour faire quoi ?

Baccar Gherib
Attariq Aljadid, 14 mars 2015