vendredi 26 février 2010

Enseignement supérieur: Un grand chantier, de l’espoir et … de la prudence!


Le récent remaniement à la tête du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique a été longuement commenté dans les milieux universitaires qui s’interrogent, à juste raison, si derrière le changement d’homme, il peut y avoir un changement d’attitude vis-à-vis des principaux acteurs de l’université et, surtout, un changement de politique.

Il n’est pas inutile de rappeler, à cet égard, que le nouveau ministre hérite de la part de son prédécesseur d’une situation pour le moins chaotique, générant inquiétudes, amertumes et frustrations chez toutes les parties prenantes de l’université. La gestion longue de cinq ans de ce dernier est, en effet, associée à la notable régression des universités publiques tunisiennes qui faisaient, il y a peu, notre fierté et qui, aujourd’hui, s’avèrent absentes à la fois des classements des cent premières universités africaines et des cent premières arabes. Cette régression- pour ne pas dire dégringolade- du niveau de nos étudiants a été fortement soulignée l’année dernière dans le rapport de la très officielle Commission nationale des ressources humaines.

Cette gestion a vu aussi la mise en œuvre - à la va-vite et sans associer ni consulter les représentants des enseignants -chercheurs et ceux des étudiants- de la réforme LMD. Celle-ci n’est, chez nous, qu’une pâle copie de l’original anglo-saxon et même européen. Elle a été, chemin faisant, délestée de ce qui faisait sa richesse et qui était porteur de qualité: «la mobilité des étudiants, qui peuvent confectionner eux-mêmes leurs diplômes; le tutorat, qui leur permet d’être individuellement suivis et encadrés par un enseignant tout au long de leur parcours universitaire, etc.». Ici, le système LMD a été compris essentiellement comme l’instrument d’une professionnalisation des cursus. D’où la lecture rigide et dogmatique du partage 2/3 et 1/3 entre licences appliquées et licences fondamentales et les dégâts «collatéraux» sur les licences d’histoire, de géographie, de sociologie, de psychologie, etc. Et la rapidité avec laquelle a été conçu le passage des maîtrises aux licences a fait qu’en gros, le contenu de quatre ans d’études est désormais dispensé en trois ans, amenant surcharge et, partout, un absentéisme inédit parmi les étudiants!

Par ailleurs, ce mandat a été caractérisé par divers blocages et tensions dans les rapports entre le ministère, d’un côté, et le syndicat des enseignants et des étudiants, de l’autre. Ces derniers sont empêchés de tenir leur congrès et, fait grave, sont confrontés à une criminalisation du syndicalisme estudiantin. Les rapports avec les enseignants ont, quant à eux, été envenimés par la question dite de la «représentativité syndicale», le ministre ayant beau jeu de recevoir différents «acteurs syndicaux» pour ne pas signer d’accord, voire de PV, avec la Fédération Générale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (FGESRS).

Cette sombre page semble, aujourd’hui, tournée. Ce qui est à l’origine d’un soulagement, certes, mais aussi d’un peu d’espoir. Plusieurs signes positifs et de détente ont été perçus. D’abord, la nomination du nouveau ministre a été concomitante avec le désaveu par la justice des plaintes formulées par des «acteurs syndicaux» contre la légalité et la représentativité de la FGESRS. Il y a là, sans doute, un nouveau contexte qui met fin au parasitage de l’action syndicale et qui est propice à un échange serein et constructif avec l’autorité de tutelle. Ensuite, on note avec satisfaction un changement au niveau de la forme, du style et du contact. La récente visite du ministre à la Faculté du 9 avril a, de ce point de vue, une portée symbolique, tant elle tranche avec celle rendue sur le même lieu par l’ancien ministre, éminemment tendue et couronnée par un accrochage avec le doyen. Enfin, promesse a été faite de considérer sérieusement plusieurs dossiers, notamment celui de la fusion de plusieurs départements au niveau des sciences humaines.

Toutefois, ces signes, aussi positifs soient-ils, ne sont pas suffisants pour rassurer les universitaires. Ceux-ci attendent que le nouveau ministre reçoive officiellement leur syndicat, qu’il réagisse à leurs revendications morales et matérielles et qu’il mette fin le plus tôt possible à des abus mettant des universitaires dans des situations proprement kafkaïennes, comme celles des assistants qui enseignent depuis sept et huit ans et qui, en violation du texte, sont privés de titularisation et celles des chercheurs qui ont déposé leurs thèses d’Etat et qui sont, à ce jour, privés de soutenance.

Les universitaires enregistrent avec une certaine satisfaction le changement de style, mais ils attendent de voir ce que donnera l’action concrète. Ils espèrent, mais ils sont prudents!

Attariq Aljadid


la Une du n°169 d'Attariq (en arabe)

Aujourd'hui dans les kiosques!

La Une du n°169 d'Attariq (en français)

Dès aujourd'hui dans les kiosques!

vendredi 19 février 2010

Sommes-nous tous en liberté surveillée?


Décidément, les jours sont devenus très difficiles pour les défenseurs des droits de l’homme et les militants de l’opposition, et ces difficultés atteignent de plus en plus leur liberté de mouvement et de circulation dans leur propre pays!

Déjà, dans le passé, des militants et parfois même de simples citoyens se trouvaient, malgré eux, empêchés de se déplacer dans les régions pour assister à une réunion convoquée par une organisation légale ou pour participer à une manifestion appelée par une formation de l’opposition. Au lendemain des élections présidentielles et législatives, ces interdictions tendent à se banaliser pour se focaliser sur certaines personnes en particulier. Ainsi, l’accès aux locaux des organisations et des partis de l’opposition leur est systématiquement interdit par des hommes en civil, leur participation aux réunions publiques leur est très souvent refusée sous des prétextes des plus saugrenus, et il est même devenu courant que les visites aux domiciles privés (maisons, cabinets d’avocats…) soient filtrées ou carrément interdites par ces mêmes personnes qui ne trouvent qu’à répliquer à ceux qui s’en offusquent: «Ce sont les instructions!». Ainsi, des militants connus, mais aussi des citoyens comme tout le monde dont la liberté de circulation et de mouvement se trouve malgré eux soumise à des restrictions sans qu’ils ne sachent ni les raisons de ces mesures qui les frappent, ni le moment où celles-ci s’abattront sur eux. Dans cette situation qui frise parfois le burlesque, le ridicule ne tue plus! Des responsables nationaux peuvent même se trouver interdits d’accès à leurs propres locaux, comme ce fut le cas en novembre dernier lorsque notre Directeur de la rédaction, Hichem Skik, avait été empêché pendant plusieurs heures de rejoindre les bureaux d’Attariq et ce, le jour même du bouclage de notre journal!

Mais qui donne des ordres de cette nature? Qui a compétence à défier ainsi les instances judiciaires? Faut-il supposer que des sentences limitant la liberté de mouvement de certains citoyens auraient été prononcées sans que les intéressés, eux-mêmes, ne soient tenus informés? Que faut-il déduire du «respect de la légalité républicaine et du principe de l’égalité des citoyens devant la loi et l’administration»?

Le plus déconcertant, le plus affligeant, c’est que ces restrictions et ces interdictions tendent à se banaliser de nos jours et, à chaque réunion, il est devenu «normal» que nous nous interrogions pour savoir qui d’entre nous sera, cette fois-ci, interdit d’accès, refoulé…? Et dans ce cas, à quelle «autorité» peut-il se plaindre pour que ces droits et ces libertés individuels soient préservés et garantis?

Le dernier en date de ces comportements inadmissibles a été l’interdiction faite, la semaine dernière, à M. Khémaïs Chammari, qui collabore régulièrement à notre journal, d’accéder à nos locaux, où il venait remettre son article! Le même jour, l’accès d’Ettajdid, du PDP et du Forum ont été interdits à des hommes politiques qui voulaient discuter avec ces partis des perspectives des élections municipales!! De tels agissements sont totalement inadmissibles: ils mettent en cause gravement non seulement la liberté de mouvement des citoyens et l’activité ordinaire de partis et d’associations légaux, mais aussi la crédibilité des Autorités qui ne cessent de proclamer, face à l’opinion publique comme de l’opinion internationale, leur respect total des libertés et des droits de l’homme.

Attariq Aljadid

lundi 15 février 2010

Le philosophe Jean-Fabien Spitz à Tunis : Vous avez dit tolérance ?

Le Professeur Jean-Fabien Spitz, de l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne), était présent en Tunisie la semaine dernière pour une série de trois conférences autour du thème de la tolérance et du rapport entre politique et religieux. Une première conférence, autour des fondements de la théorie classique de la tolérance (chez Bayle et Locke, notamment), a été organisée à l’Université du 9 avril par l’UR "Penser la rationalité aujourd'hui". Une deuxième a eu lieu à la Faculté des Sciences Juridiques de l’Ariana, avec le concours de l’Association Tunisienne de Droit Constitutionnel; elle avait pour objet de s’interroger sur les tenants et les aboutissants de la recherche, par l’Etat, d’«accommodements raisonnables» avec les convictions religieuses et culturelles des citoyens, et ce, au travers d’exemples puisés dans le contexte américain.

La troisième conférence, organisée quant à elle conjointement par l'IRMC et l'UR sus-citée, s’intéressait à un problème franco-français, celui de la légitimité de la loi de 2004 bannissant les signes religieux ostentatoires des établissements scolaires. Bien qu’examinant une problématique a priori relative à une expérience politique et historique bien déterminée, l’intervention du philosophe a interpellé l’auditoire tunisien et stimulé la réflexion autour de l’appréhension du concept même de tolérance.

Le propos de Spitz était en somme de donner à voir l'inanité de ce type de loi, dont les fondements, contrairement à ce que l'on laisse immanquablement entendre, sont profondément anti-républicains. En effet, si le modèle républicain, tel que mis en oeuvre aujourd'hui en France, est essentiellement assimilationniste, la conception républicaine classique, elle, se situe à rebours de cette volonté de niveler les différences, posant que l'accès à l'égalité exige une réelle prise en compte des différences culturelles.

Durant pratiquement une heure trente, le professeur Spitz a donné une leçon magistrale de pédagogie, de tolérance et de bon sens, un bon sens qui, contrairement à ce que pouvait penser Descartes, fait cruellement défaut dans le débat public aujourd'hui en France. Il a notamment mis au jour quatre confusions essentielles qui minent et pervertissent les discussions menées autour de la légitimité du port des signes religieux dans l'espace public. Centrée autour de la question du port du voile (mais le raisonnement peut tout à fait être élargi à la burqa, ainsi qu'à des minorités culturelles autres que la minorité musulmane), la démonstration de Spitz est édifiante.

Elle nous enseigne d'abord qu'il est primordial de distinguer privilège (ou exception) et compensation : ce que ni la droite ni la gauche n'ont compris, affirme Spitz, c'est qu'il ne s'agit pas de nier le principe d'égalité républicain en permettant le port du voile, bien au contraire. Il est bien plutôt question de corriger un désavantage, de "compenser un déficit" en donnant aux membres de la minorité concernée la possibilité de "jouir de conditions de formation et d'exercice de leurs facultés qui se rapprochent de celles dont jouissent les membres de la majorité".

La deuxième confusion exhibée par la démonstration de Spitz est celle qui consiste à identifier signe et comportement. Porter le voile, en ce sens, ne saurait par exemple être synonyme d'une volonté sournoise de travailler dans l'ombre à l'édification d'une république islamique sur le territoire français. Bien que totalement non-fondé, ce genre d'amalgame a la peau dure.

Identifier, désapprouver et interdire, tel est le troisième malentendu qui traverse le débat public en France, poursuit le philosophe. Mais là encore, la distinction existe : il y a un certain nombre de comportements que l'on désapprouve, mais qu'on ne voudrait pour rien au monde interdire. N'est-ce pas là le propre de la tolérance ? C’est au demeurant ce que nous enseignait la première conférence du professeur Spitz, lorsqu’elle nous expliquait que la religion est avant tout une conviction intérieure sincère, et non pas simplement une pratique culturelle extérieure et qu’à ce titre, le législateur n’a pas à intervenir pour «gérer» les consciences. Désapprouver personnellement le port de la burqa pour des raisons qui nous sont propres est une chose, l'interdire en est une autre.

Enfin, note Spitz, veillons à ne pas confondre égalité et uniformité. L'égalité n'a jamais signifié négation des différences, et l'on a tort de vouloir nous faire croire que c'est au nom de la liberté qu'on défend une égalité qui nivelle et disqualifie. Etre libre, n'est-ce pas pouvoir affirmer sa différence ? C'est une égalité dans la différence dont nous avons besoin, aujourd'hui plus que jamais. Sachons donc conjurer nos propres démons, nous qui, sans en avoir nécessairement conscience, pratiquons allègrement au moins l'une de ces quatre confusions, donnant ainsi à voir un intégrisme laïciste tout aussi dommageable que son pendant fondamentaliste…

Fatma Ezzahra M.

dimanche 14 février 2010

L’UGET hier et aujourdhui: Les mêmes causes produisent les mêmes effets!

Les querelles idéologiques dans lesquelles sont plongés les militants actuels de l’UGET cachent à peine leur désarroi face aux stratégies à élaborer pour redonner sens et vie à l’UGET. Or, cette situation est, dans sa majeure partie, l’aboutissement final d’une stratégie voulue par le régime, de Bourguiba à nos jours, de délabrer de l’intérieur une UGET qu’il n’a pas réussi à contrôler. Cette stratégie a été mise en place dès les années 70 lorsque, après Korba, le pouvoir politique a senti l’UGET lui échapper totalement ; elle a comporté deux phases: en premier, arrêter, emprisonner et exclure durant plusieurs années quelques centaines de militants étudiants en vue de les éloigner du champ des luttes et vider l’UGET de ses éléments les plus combatifs et les mieux formés; en second, maintenir le syndicat dans l’illégalité en vue de l’’isoler de la base estudiantine et «ghettoïser» les militants étudiants, les livrant à leurs conflits idéologiques et les éloignant ainsi des revendications de l’immense majorité des étudiants. La situation dans laquelle se trouve plongée l’UGET d’aujourd’hui n’est sans doute que l’expression la plus extrême de cette ghettoïsation: c’est pourquoi elle interpelle fortement.

Les militants Ugétistes des années 70 reconnaissent volontiers, pour la plupart, que l’une des grandes «dérives» de cette époque est d’avoir chargé l’UGET de mots d’ordres et de revendications politiques qui l’éloignaient de sa mission syndicale: ils considèrent donc cette «dérive» comme une des causes principales de l’isolement du syndicat par rapport à la base estudiantine. Certes, mais n’oublions pas que le Parti au pouvoir, jusqu’au congrès de Korba, considérait l’UGET comme son relai en milieu estudiantin. L’UGET, contrôlée par les militants destouriens, n’avait pour tâche que de répercuter, parmi les étudiants, les choix politiques du régime. C’est pourquoi, dès les années 60, les militants étudiants démocrates s’acharnèrent à redonner à l’UGET sa dimension syndicale et tentèrent de la dégager de l’emprise du parti au pouvoir, le PSD, en défendant l’autonomie syndicale. Cela était suffisant pour placer l’UGET dans l’opposition au régime et faire du mouvement étudiant un mouvement contestataire, à une époque où tout ce qui échappait à l’emprise du PSD était considéré comme subversif et objet des répressions les plus brutales.

En effet, il s’agissait d’asseoir l’idéologie et la politique bourguibiste comme seule alternative possible, moderniste en partie seulement, car opposée à tout processus démocratique pour asseoir un régime fort que nul ne devait contester. La jeune Université devait donc fournir les futurs cadres du pays censés assurer, avec la relève, la pérennité du régime. Le couteau était pourtant à double tranchant, car l’accès aux sciences humaines, au droit et à l’économie, l’ouverture aux autres modes de pensée, en donnant aux étudiants les outils de la réflexion libre et de la critique, donnaient aussi un sens à une contestation qu’ils portaient déjà en eux : se projetant dans la société dans laquelle ils étaient appelés à vivre, il était normal qu’ils y projettent aussi les alternatives à ce qui existait.

La surpolitisation de l’UGET est donc, en premier lieu, celle dont l’a chargée le régime, et le piège dans lequel sont tombés les militants étudiants est sans doute d’avoir répondu à cette surpolitisation par une autre. D’autant que, dès la fin des années 70, le pouvoir politique change de tactique, encourage en milieu étudiant la propagande et l’action des islamistes pour diviser le mouvement, au même moment où il enferme, en les contraignant à l’illégalité, les étudiants «démocrates» dans une UGET-ghetto au sein de laquelle, livrés à leurs divisions internes, ils s’entredéchirent , s’isolant de la base estudiantine, ce qui ne pouvait que servir les intérêts du pouvoir politique.

Le mal était donc déjà là: des cerveaux encombrés, depuis plus d’une décennie, par des connaissances mal ou peu synthétisées, fruits de réformes de l’enseignement qui avaient pour but de formater les esprits plutôt que de les former ; un courant intégriste que le régime avait encouragé à sa naissance, mais qui se retournait à présent contre lui, gagnant du terrain en milieu étudiant en incitant à la haine de la modernité et de l’Occident, incarnées par le pouvoir en place mais aussi par les tendances politiques présentes au sein de l’UGET ; ces tendances, occupées à des luttes internes pour le contrôle du syndicat, prisonnières des mécanismes d’enfermement créés par l’illégalité- dont le plus grave était sans doute l’absence de fonctionnement démocratique et un encadrement de la base estudiantine réduit à des structures de direction sans structures de base; et la répression toujours là, quoique plus insidieuse.

Alors, que faire ?

Cette question devrait se poser pour tous ceux et toutes celles qui luttent pour la démocratie et le progrès. Les problèmes des étudiants ne sont pas que spécifiques, ils sont l’expression directe des carences démocratiques dont souffre le pays et pour la résolution desquelles des luttes sont menées à différents niveaux du mouvement démocratique et progressiste. La répression contre les étudiants sous toutes ses formes est une atteinte à leurs droits humains, les empêchements qui sont faits à leur liberté d’expression et d’organisation sont une atteinte à leurs droits citoyens ; ce qui revient à dire que toute la société civile est concernée par la crise de l’UGET qui relève, en dernière analyse, de la politique répressive du régime et du déni des libertés civiques les plus élémentaires dont souffre tout le peuple tunisien. Non seulement l’UGET est une des composantes, un des partenaires de la société civile tunisienne, mais le mouvement étudiant est un mouvement social au même titre que le mouvement ouvrier ou le mouvement des femmes. Ce mouvement n’existe plus sous la forme qu’il a connue il y a vingt ans, mais des milliers d’étudiants sont bien là, eux. Avec leurs frustrations, leurs révoltes et leurs aspirations à une société juste et égalitaire, aux études et au travail. Si ces aspirations ne trouvent comment s’exprimer ou se réaliser, les étudiants seront la proie facile de tous les discours rétrogrades qui feront d’eux des soldats du fanatisme religieux, de tous les opportunismes politiques qui leur feront miroiter l’aisance matérielle comme le Bien suprême, à moins qu’ils n’aillent chercher dans l’émigration un bonheur problématique.

Il est donc capital de redonner aux étudiants la parole, en arrêtant, en premier lieu, toute répression contre eux, de tout mettre en œuvre pour redonner de la légitimité à l’UGET. Pour cela, il est absolument nécessaire que les différentes composantes de ce syndicat puissent s’unifier autour d’un programme commun de travail en vue d’entrer dans un processus de «relégitimisation» par rapport aux étudiants qu’il doit représenter, à la société civile à laquelle il appartient mais dans laquelle il doit conquérir une place de partenaire crédible, au pouvoir politique afin qu’il accepte de le considérer comme le seul représentant légitime des étudiants. Cela implique une réelle restructuration de l’UGET sur des bases démocratiques et un travail en vue de répertorier les problèmes existants en milieu estudiantin pour définir les priorités. Cela implique aussi la constitution, autour de l’UGET, de ses militants et du mouvement étudiant en général, d’un réseau de solidarités provenant de la société civile en vue de rompre une solitude politique qui fait d’eux des proies faciles de la répression et peut favoriser les plus graves dérives, aux dépens des intérêts de tous les étudiants et, à moyen terme, du peuple tunisien lui-même.

Neila Jrad

samedi 13 février 2010

حسين الكوكي من ضحايا هجمة السلطة على اتحاد الشغل في 26 جانفي 1978


حسين الكوكي فقد الحياة بعد أن وقع اعتقاله مع عدد من رفاقه النقابيين في سوسة يوم الاضراب العام الذي شنه كافة الأجراء دفاعا عن الاتحاد العام التونسي للشغل واحتجاجا على الهجمة والاعتداءات الشنيعة التي قامت بها السلطة وحزبها ضّد المنظمة النقابية ومقراتها ومناضليها..وقد ساءت حالة حسين الكوكي الذي تعرض الى التعذيب والتنكيل خلال اعتقاله في منطقة الشرطة بسوسة...تدهورت صحته بصفة سريعة وهو معتقل ،وبالرغم من ذلك تعامل مسؤولو السجن والمسؤولون الأمنيون عموما تجاه تلك الحالة بعدم الاكتراث ..وبدون أية مبالغة يمكن التأكيد أن هؤلاء القوم تركوا الموت تختطف حسين الكوكي ولم يحركوا ساكنا الا بعد فوات الأوان..وقد سجل الأطباء الذين استقبلوا حسين الكوكي أو ما تبقى منه ،ما بلغته حالة المناضل من تدهور شديد وأكدوا على أن ادارة السجن تتحمل مسؤولية كبيرة في وفاة المناضل حسين الكوكي.....وكان لخبر استشهاد الكوكي أثر بالغ في الأوساط النقابية في سوسة وفي البلاد عموما ..وعبرت الهياكل الشرعية للاتحاد عن سخطها العميق على هذه الجريمة النكراء ونددت بمرتكبيها المباشرين وغير المباشرين...وأصدر أعوان البنوك والتأمين عريضة أمضى عليها المئات منهم أدانوا فيها الجريمة وطالبوا بفتح تحقيق حول ظروف اعتقال الفقيد ومفارقته للحياة ومعاقبة من تسبب في هذه الكارثة... .

كان حسين الكوكي مسؤولا جهويا للجامعة العامة للبنوك والتأمين والمؤسسات المالية ،وبالرغم من حداثة التحاقه بالعمل النقابي فقد كان يتقد حماسا وينشط بصفة مكثفة سواء في مستوى القطاع الذي ينتمي إليه أو في مستوى الاتحاد الجهوي بسوسة... .مرت 32 سنة على رحيل حسين الكوكي ،لكنه بقي وسيبقى رمزا للمقاومة النقابية والصلابة النضالية..

Une du n°167 d'Attariq

Dans les kiosques à partir d'aujourd'hui!

بلاغ صحفي




تونس في 11 فيفري 2010

اعترض ظهر أمس أعوان أمن بالزي المدني سبيل السيّد خميّس الشمّاري، الناشط الحقوقي المعروف، ومنعوه من دخول مقر جريدة "الطريق الجديد" حيث كان له موعد مع هيئة تحريرها. وليست هذه المرّة الأولى التي يقع فيها مثل هذه التصرّفات المنافية للقانون إزاء جريدتنا وأصدقائها حيث سبق أن طالت حتى مدير تحريرها السيّد هشام سكيك. إن حركة التجديد ترفع احتجاجا صارما ضد هذه الأفعال المتكررة والمخالفة لأدنى الحريّات الفردية، وتطالب برفع المضايقات وكل أشكال المراقبة على مقرّاتها واحترام القوانين وأبسط قواعد التعامل الحضاري.

عن حركة التجديد

أحمد إبراهيم

vendredi 12 février 2010

! لا لافتعال القضايا, نعم للحوار المتمدن


للمرة الثانية يمثل الأستاذ رشيد الشملي أستاذ التعليم العالي بكلية الصيدلة وعضو المجلس المركزي لحركة التجديد أمام المحكمة الابتدائية بالمنستير في قضية ظاهرها قضائي وباطنها سياسي لا لبس فيه .

فهي قضية تعود حيثياتها إلى الحملة الانتخابية في أكتوبر الماضي حيث تعرض مناضلو حركتنا بدائرة المنستير – ومنهم الأستاذ رشيد الشملي - إلى عديد التجاوزات والاعتداءات من قبل أشخاص منفلتين من كل امتثال للقوانين شجعهم على صنيعهم شعورهم بأن مطاردة أعضاء المعارضة هي إرضاء لبعض الدوائر التجمعية المناوئة للتعددية لا يمكن إلا أن يكون محل "تفهم" لدى بعض السلط الجهوية والمحلية بالولاية ! والمفارقة تكمن في أن الأستاذ الشملي، الذي تم الاعتداء عليه ومطاردته بعصا من مطاط في وضح النهار أمام مقر الحركة يوم 14 أكتوبر والذي قدم شكوى في الإبان لدى رئيس منطقة الشرطة ولدى وكيل الجمهورية، قد وجد نفسه بكيد كائد في وضع غريب الأطوار أدى إلى تحويله من معتدى عليه إلى معتدي ومن مشتكي إلى مشتكى به وإلى مقاضاته جناحيا !

فمن الواضح لدينا أننا أمام سابقة خطيرة إذ هي المرة الأولى التي تطال فيها قضية مفتعلة كهذه عضوا في الهيئة القيادية لحركتنا على خلفية مشاركته النشيطة ة في الحملة الانتخابية. واليوم - ونحن في فترة انتهت فيها الانتخابات الماضية منذ أكثر من ثلاثة أشهر ولا تفصلها عن الانتخابات البلدية القادمة إلا ثلاثة أشهر- لا يمكننا أن نفهم ذلك إلا كنوع من التصعيد المجاني والهرسلة غير المقبولة التي قد يهدف بعضهم من خلالها إلى مزيد نشر أجواء التشنج والتوتر والتطير من الرأي المخالف إضافة إلى محاصرة حركة معارضة جدية ومسؤولة مثل حركة التجديد ومعاملة إطاراتها بمثل هذه الأساليب المشينة ومنعها من القيام بنشاطها العادي ومن التواصل مع المواطنين في جميع جهات البلاد بما فيها جهة المنستير…

إن منطق التعامل الحضاري يقتضي احترام شخصية أكاديمية في مقام الأستاذ الشملي وتمكينه من مواصلة الإعداد في كنف راحة البال للندوة العلمية الدولية حول المداواة بالأعشاب التي ستنعقد بمبادرة منه في غضون هذه السنة.

كما أن الضرورة السياسية للإبقاء على الحد الأدنى من إمكانيات الحوار المتمدن بين جميع الأطراف، سلطة ومعارضة، يتطلب - في انتظار توسيع تلك الإمكانيات إلى مناخ حوار وطني حقيقي- وضع حد لمثل هذه الممارسات السلبية وردع من يقفون وراءها والكف عن كل أشكال توظيف العدالة في مآرب معاكسة لما جعلت لأجله...

فلتكن جلسة المحكمة المنتظرة ليوم 24 فيفري الجاري مناسبة للترفع عن كل أنواع المتاهات للإنصاف وإعطاء الحق لصاحبه الحقيقي وإعلاء القانون فوق كل الحسابات السياسوية قصيرة النظر !!

أحمد إبراهيم


mercredi 10 février 2010

En marge de Tunisie 2040: Le projet moderniste tunisien en perspective

Le Centre Mohamed Ali de Recherches, d’Etudes et de Formation (CEMAREF) et son animateur Habib Guiza ont eu l’excellente initiative de réunir un groupe d’universitaires et d’intellectuels en vue de penser le renouvellement du projet moderniste tunisien. Il s’agit, en l’occurrence, de se pencher sur le bilan de la mise en œuvre de ce projet depuis l’indépendance et, dans un deuxième temps, de réfléchir aux modalités de sa relance pour qu’il prospère et s’affirme à l’orée de 2040! La réflexion qui nous a été présentée les 22 et 23 janvier derniers à Tunis avait donc deux moments: la rétrospective et la prospective.

L’initiative est excellente, avions-nous dit, car tout en montrant que ce projet moderniste a aujourd’hui des héritiers et des défenseurs, elle répond à un besoin profond des élites tunisiennes attachées aux valeurs de la modernité qui voient dans certaines récentes évolutions de la société et – fait nouveau – du pouvoir politique de réels motifs d’inquiétude… Elle part donc du constat, partagé par tous les intervenants, de l’essoufflement de ce projet ou des lourdes menaces qui le guettent pour mieux penser les voies de son renforcement. Il était dès lors de bonne méthode de commencer par définir le concept de modernité et d’identifier les principales étapes du processus historique qui a été couronné, en Tunisie, par les réformes modernistes de l’indépendance. C’est ce dont s’acquitta fort bien Professeur A. Zghal.

Une généalogie de la modernité tunisienne

Celui-ci commença, d’abord, par rappeler que la modernité est une création de l’Occident, qui émergea grâce à la substitution des théories du droit divin par des théories du droit naturel prônant l’autonomie de l’individu et fondant les relations sociales sur le contrat. Elle se concrétisa ainsi autour de quatre principes qui ont parfois des relations conflictuelles: l’Etat Nation, la citoyenneté, le peuple (égalité sociale) et l’identité (culture nationale).

Il passa, ensuite, à la présentation des moments clés du processus historique menant à la modernité tunisienne. Des dates, des hommes et des groupes sociaux ont été ainsi identifiés en vue d’illustrer ce long cheminement: 1) Ahmed Bey et la réforme de l’Etat; 2) le congrès du Destour en 1919 qui, en regroupant notables musulmans et juifs, esquissa le principe de citoyenneté; 3) l’alliance au milieu des années 20 entre l’intellectuel organique Haddad et le syndicaliste révolutionnaire Hammi; 4) le congrès du néo-destour à Ksar Hellal qui donna à une élite francophone une base sociale et 5) le congrès de Sfax en 1955 qui, scellant l’alliance du politique et du syndical, fit pencher la balance en faveur du camp moderniste.

Cet exercice de généalogie appliqué à notre modernité a un intérêt certain car non seulement il donne à voir l’accumulation sur un siècle environ d’apports divers à la construction de l’édifice de la modernité, mais il donne aussi tout son poids à la volonté et à l’engagement d’hommes et de femmes qui ont cru en ces valeurs dans des contextes sociaux et mentaux qui ne leur étaient nullement favorables[1].

Cependant, ces différents moments clés du processus moderniste ne sont justement que des jalons. Selon A. Zghal, le couronnement du processus ou le basculement vers l’hégémonie du projet moderniste a eu lieu quand les élites tunisiennes qui ont conquis l’indépendance optèrent clairement pour le principe de l’Etat territorial, c’est-à-dire quand elles prirent leurs distances avec les utopies arabistes et islamistes qui sont, par définition, porteuses de principes trans-territoriaux, voire impériaux. L’identité culturelle de la nation ayant fraîchement acquis son indépendance a été donc définie, souligne A. Zghal, de façon à ce que la Tunisie soit appréhendée comme appartenant au Monde arabo-musulman et ouverte sur le reste du monde et non pas comme société arabe ou islamique tout court. Et c’est logiquement que ces élites popularisèrent alors la notion de tunisianité ancrée dans l’histoire plurimillénaire du pays et dans ses milieux géographiques et culturels : maghrébin, méditerranéen, arabe, islamique et africain.

La problématique modernité/identité

Cette question n’est pas anodine, on s’en doute. Car, c’est autour d’elle que se sont cristallisées, dans le passé, et se cristallisent, aujourd’hui encore, toutes les résistances au projet moderniste tunisien. Celui-ci a certes réussi à devenir hégémonique, grâce à la foi des élites de l’indépendance, à un contexte historique éminemment favorable et à l’efficacité de sa pédagogie qui n’était pas le moindre des talents d’un Bourguiba. Mais les adversaires de la modernité qui estiment, à tort ou à raison, en avoir fait les frais, sont toujours là et ne désespèrent pas, à la faveur de cet essoufflement, de pouvoir infléchir le sens du projet, voire de le remettre en cause.

Or, cet essoufflement a essentiellement trois causes qui sont forcément en partie liées. Il y a, d’abord, le fait que le pouvoir actuel, pourtant héritier des élites destouriennes de l’indépendance, ne porte plus avec la même conviction le discours moderniste et, comme l’a noté le sociologue R. Boukraâ, il lui préfère plutôt le discours économique. Mais «cette attitude favorise le développement du mouvement intégriste qui profite du vide idéologique ambiant»[2].

Ensuite, il est clair que le projet moderniste subit les contrecoups du repli identitaire des Tunisiens qui sont de plus en plus nombreux à considérer les progrès de la modernité comme les signes d’une occidentalisation – honnie, cela va sans dire – de leur société et, par conséquent d’une perte d’identité (arabe et, surtout, islamique)! Mais il ne faut pas se leurrer: ce à quoi nous assistons aujourd’hui est moins un retour de la religion (on y aurait gagné en spiritualité, en vertu et en moralité) que la manifestation d’une profonde crise identitaire (c’est pourquoi on tient à ce que ce retour du « religieux » soit visible, affiché voire exhibé).

Ce point est important et mérite que l’on s’y arrête. Il faut d’abord affirmer clairement que la modernisation n’est pas une occidentalisation. La modernité est, certes, née en Occident mais, comme la révolution néolithique il y a dix mille ans, elle a une portée universelle. Et qui mieux que Hichem Djaït, spécialiste de la question de la personnalité arabe et islamique, peut nous éclairer sur le danger potentiel que la modernité ferait peser sur notre identité? Ecoutons ce qu’il nous dit à ce propos: «Toute la problématique de l’identité, de la modernité, du patrimoine, du nationalisme et de l’islam politique n’est d’aucune valeur du point de vue intellectuel». Et, plus loin, «Quant à l’identité, elle ne pose aucun problème, car elle est bien ancrée, quoiqu’elle puisse évoluer dans sa composition, mais le fait de l’envisager comme une notion problématique, ou l’accent exagéré mis sur elle sont l’indice de sa faiblesse dans la sphère de l’imaginaire»[3].

Cette mise au point est importante pour prévenir les hésitations des modernistes et leurs doutes devant le mouvement identitaire qui leur fait face. Car ces doutes (ou mieux cette mauvaise conscience) étaient tangibles lors de la présentation des travaux de l’équipe de Tunisie 2040 et du débat qui a suivi et ils se sont exprimés surtout à travers un appel réitéré à «rompre avec l’imaginaire social français». Entendez par là avec le modèle d’une sécularisation abrupte et d’une approche conflictuelle avec la religion! Or, cet appel est tout à fait étonnant. Tout simplement, parce que la méthode de la réforme moderniste telle qu’elle a été fondée par Haddad, en 1929, reprise et appliquée par Bourguiba en 1956 et poursuivie et approfondie par Charfi dans Islam et liberté en 1999 est celle d’une lecture historiciste du texte coranique. Elle part clairement d’une réinterprétation du texte sacré et certainement pas d’une coupure avec lui!! On l’a dit avant[4], on le répète: la méthode mise au point par Haddad – homme de religion, faut-il le rappeler – est la bonne. On n’en a pas trouvé d’autre!

Cependant – et nous abordons là la troisième cause de l’essoufflement du projet moderniste tunisien –, s’il est souhaité que les modernistes d’aujourd’hui affichent haut leurs convictions et défendent les acquis décrochés par les élites de l’indépendance, ils doivent tout aussi bien pointer du doigt le péché originel de celles-ci: la poursuite de la démarche autoritaire bien au delà de ce que l’on pouvait justifier… Et ici, on doit poser la question fondamentale du lien (absent jusque-là) entre modernité et démocratie.

Modernité et démocratie

En effet, les intervenants au débat ont souligné que, pour Bourguiba, la démarche était claire: «l’Etat, d’abord! Les libertés, on verra par la suite»… Et cette démarche pouvait, à la limite, se justifier pendant un certain temps. Toutefois, il est assez rapidement apparu que les initiateurs du projet moderniste étaient, dans le même temps, les tenants d’un gouvernement autoritaire. La nature anti-démocratique du pouvoir destourien se révéla clairement dans les années 70: abrogation du congrès de Monastir en 71, présidence à vie en 75 et répression sanglante du mouvement syndical – pourtant allié stratégique dans la défense de l’option moderniste – en 78. Mais ce sont surtout les élections de 1981 qui mirent définitivement à nu l’incapacité du régime destourien à négocier le tournant démocratique que les Tunisiens appelaient de leurs vœux et pour lequel ils avaient montré assez de maturité!

Depuis, nous vivons dans un double paradoxe: l’Etat qui se dit gardien des acquis de la modernité est incapable de mettre en œuvre une des composantes fondamentales de celle-ci: la démocratie. Une incapacité qui s’avère porteuse de dangers réels sur ces mêmes acquis! Et des adversaires de la modernité appellent à une consultation démocratique du peuple en vue de revenir sur ces acquis! Ce n’est donc pas par hasard que la gauche démocratique renvoie dos à dos ces deux adversaires en choisissant une troisième voie exprimée par le slogan «Pas de modernité sans démocratie! Et pas de démocratie sans modernité!».

Au moment où les héritiers du néo-destour avalent des couleuvres de plus en plus grosses et où des signaux sont lancés pour brouiller le message moderniste et installer une certaine ambiguïté dans le discours du pouvoir en vue de laisser la voie ouverte à divers scénarios futurs possibles, il est clair que c’est la gauche démocratique qui porte aujourd’hui avec le plus de cohérence le projet moderniste tunisien. Ce rappel n’est pas fortuit. Car, pour défendre ce projet, il est très bien que des intellectuels montent au créneau, mais il est aussi fortement recommandé que des forces politiques et sociales le prennent en charge avec honnêteté et conviction.

Baccar Gherib



[1] Ainsi que l’a très bien montré le film Thalâthoun de Fadhel Jaziri.

[2] R. Boukraâ, Acteurs sociaux et changements sociaux en Tunisie, in Amri L. (dir), Les changements sociaux en Tunisie (1950-2000), L’Harmattan, 2007, 186.

[3] H. Djaït, La crise de la culture islamique, Cérès, 2005, 39 et 40.

[4] Baccar Gherib, T. Haddad ou la méthode de la réforme en islam, Attariq Aljadid, 15 mars 2009.

lundi 8 février 2010

Topnet augmente le débit... et diminue la femme!


La dernière campagne du leader tunisien du marché de l'Internet est pour le moins douteuse. Vantant une énième offre de doublement de débit pour le même prix, l'affiche représente l'égérie masculine de la marque, une parodie locale de James Bond, flanqué de ce qui est censé représenter une James Bond girl disposée symétriquement de part et d'autre du héros de la marque, avec le slogan suivant : "Le double du débit pour le même prix".

L'image est édifiante et sa symbolique saisissante. Elle trahit un fantasme machiste flottant à la surface de l'inconscient du concepteur de l'affiche, clairement représenté par sa palette graphique. Le rêve de certains Mâles tunisiens que plus de 50 ans de législation émancipatrice de la femme n'ont pas réussi à calmer : deux femmes, aux ordres, pour le prix d'une.

Au moment où les droits de la femme tunisienne, protégés par une législation avant-gardiste qui a tenté d'enraciner avec un certain succès dans notre société l'idée de son émancipation, sont remis en cause par certains esprits chagrins, cette affiche vient, si besoin est, nous rappeler que rien n'est acquis en la matière et que le combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes est une quête permanente que nous devons mener inlassablement.

Hédi Ben Smaïl

dimanche 7 février 2010

LTDH : Vers une sortie de crise souhaitée et longtemps attendue


Fondateur et Président de la LTDH, soucieux de sa pérennité, je ne peux que soutenir toute initiative pour en finir avec une crise qui n’a que trop duré. La récente initiative, suscitée au plus haut niveau de l’Etat, ne doit pas faire long feu.

Je rappelle qu’au cinquième et dernier congrès de la LTDH, tenu en 2000, l’élection démocratique de son comité directeur avait laissé espérer le retour de la Ligue à une activité normale. C’était compter sans la réaction partisane de quelques congressistes proches du pouvoir. Ne s’étant pas manifestés durant le Congrès et n’ayant pas cru bon d’utiliser les procédures normales d’intervention, ces plaignants ont attendu la clôture du congrès et le mécontentement suscité du côté officiel par ces résultats, pour s’adresser aux instances judiciaires. Celles-ci, assimilant la LTDH à une société commerciale, l’ont placée sous séquestre puis ont décidé la dissolution du nouveau comité et la tenue d’un autre congrès sous l’égide du comité directeur sortant (celui de 1994). La direction de la Ligue, appuyée par 14 de ses anciens dirigeants, dont les 4 présidents successifs, n’a pas apprécié ce jugement, qui constitue un grave précédent dans les annales judiciaires.

Les autorités judiciaires modifient dès lors leur position et fixent au nouveau comité l’unique tâche de préparer la tenue d’un Congrès dans un délai d’un an.

En réalité, les procès- près d’une trentaine- continuent d’être intentés à la Ligue qui, de surcroît et paradoxalement, se voit empêchée de poursuivre ses activités, notamment celles d’accéder à ses locaux et de tenir son sixième Congrès.

La fusion de certaines sections et le financement externe seraient à l’origine de la crise que traverse la LTDH.

- Or, la fusion de sections, contestée par certains, ni mentionnée ni interdite par le règlement intérieur de la Ligue, avait été décidée par le Comité Directeur et agréée par le Conseil National.

- Quant au financement externe, la Ligue y a eu recours parce qu’actuellement, il n’existe pas de subventions nationales pour les ONG, et les seules cotisations des militants sont insuffisantes pour couvrir les besoins de la Ligue.

Il ne s’agit pas d’une subvention d’un gouvernement ou d’un parti politique étranger, mais d’un financement attribué par l’Union Européenne (U.E.), dans un cadre juridique bien défini et dans la transparence la plus complète. Notre pays est lié à l’Europe par l’accord d’association entre l’Union européenne (U.E.) et le gouvernement tunisien, adopté par le parlement européen, d’une part, et par le parlement tunisien, d’autre part.

Ainsi, la tenue du 6ième Congrès, en septembre 2005, interdit par les autorités judiciaires, n’a pas eu lieu. Depuis, les tentatives de médiation, notamment celle de la commission dite de « bons offices » (mai- août 2006), qui garantissait aux plaignants, à la condition de retirer leur plainte, leur participation au Congrès et leur accès à la tribune pour défendre leur thèse, et celle de la Commission nationale de soutien à la LTDH, composée en particulier de 47 anciens membres du Comité Directeur de la Ligue, ont été récusées par les plaignants. Ceux-ci ont continué à contester la légitimité de l’actuel Comité Directeur.

Aujourd’hui, avec le recul et l’échec des tentatives pour régler les questions relatives à la fusion des sections et au financement de la Ligue, on est en droit de penser que le problème est ailleurs. C’est la prise en main pure et simple de la Ligue qui est envisagée. Néanmoins, sa réalisation s’avère difficile.

D’abord, parce que la Ligue, qui s’est imposée par sa crédibilité, occupe une place importante dans la vie sociale et politique en Tunisie et particulière dans l’imaginaire du Tunisien.

Ensuite, parce que l’existence d’associations indépendantes de défense des droits humains constitue un critère de démocratisation d’un pays dans les évaluations onusiennes du développement humain.

Enfin, parce que la Ligue connaît sur le plan international une réputation bien établie, affirmée depuis 1979, et pendant 27 ans, par la présence d’un vice- président de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme et couronnée par l’élection de Souhaïr Belhassen à la présidence de cette organisation, devenue l’une des plus grandes associations internationales de défense des droits humains.

Ces acquis de la Ligue, d’une Ligue active et soucieuse de la défense des Droits de l’Homme, participent au rayonnement de la Tunisie, dont le Président de la République et le Gouvernement sont grandement bénéficiaires.

Le gel de la Ligue, organisation dont l’indépendance est le socle de sa crédibilité, ne peut nous attirer que des reproches, même de nos amis les plus fidèles, alors que sa restauration contribuerait à la politique du changement et à l’évolution du processus démocratique de la Tunisie.

La solution qui s’impose aujourd’hui ne peut être prise que par une autorité supérieure. Elle passe par le rétablissement de la Ligue dans ses activités pour la préparation du 6ième Congrès et l’élection d’un Comité Directeur pluriel et représentatif.

Saadeddine Zmerli

samedi 6 février 2010

Solidaires de "Pensées nocturnes"

Les amis d'Attariq expriment leur consternation suite à la censure par l'ATI du blog de Tarek Kahlaoui qui, dans la blogosphère tunisienne, se distingue par la qualité, la profondeur et, souvent, la pertinence de ses analyses!
La censure qui touche les blogs tunisiens est injustifiable, mais jusqu'ici on pouvait essayer d'identifier la logique qui actionnait les ciseaux de Ammar... Nous n'avons peut-être pas suivi les derniers posts des "pensées nocturnes" - la dernière visite remonte à la belle argumentation en vue d'ouvrir de nouveau l'enquête sur l'assassinat de Hached - mais, connaissant la démarche du blog et les thèmes qui y sont traités, nous ne pouvons que conclure que sa censure est, en l'occurrence, bête et méchante! C'est une perte pour notre blogosphère et pour le pays!
Toute notre sympathie à Tarek Kahlaoui!

n°166 d'Attariq

Aujourd'hui dans les kiosques!

vendredi 5 février 2010

Faites-le taire, quelqu’un!

Lecteur régulier de votre journal, j’estime que, dans le paysage médiatique actuel, il est le plus indiqué, par sa ligne éditoriale, à accueillir mon coup de gueule concernant une certaine «littérature» qui fleurit sur une certaine «Presse» dans certains «grands moments» de notre vie politique. J’en ai gros sur le cœur, en effet. Car je crois que même dans un journal qui s’est fait une spécialité dans la langue de bois et où l’on peut lire de longs textes savamment parsemés de mots-clés tels que «vision prospective» ou «avant-gardiste», mais qui ne veulent, au bout du compte, rien dire, … même dans ce type de journal, disais-je, il y a des limites à se moquer de son monde… Et ces limites sont allègrement franchies à chaque fois qu’un universitaire (sociologue de son état) s’invite à la tribune de ce journal pour nous expliquer le message et la portée d’une décision ou d’un discours présidentiel.

La dernière prouesse de notre sociologue date du 24 janvier 2010 avec un papier qu’il a sobrement intitulé Le discours de la méthode. Seulement voilà, à lire ce texte dont on devine qu’il a été rédigé au bord de l’orgasme intellectuel – tant son auteur est tour à tour «saisi, ravi, rassuré, fier et enthousiaste» –, on n’est pas plus avancé sur la signification qu’il a pu voir dans ce discours qui, à l’en croire, «illumine les temps»! Ainsi, par exemple, tout universitaire que je suis, je n’ai pas compris ce que veut dire «le discours présidentiel conjugue l’œuvre politique à sa pérennité et son ingéniosité», ni le sens du regard du président qui « stigmatise la réaction (du peuple) »!? De même, je crois percevoir une légère contradiction à dire de quelque chose qui est «largement ancrée dans l’attente» qu’elle est «avant-gardiste». Mais passons : il ne s’agit là que de broutilles! Car ce qui a achevé de me déboussoler, c’est que notre sociologue – qui s’est improvisé philosophe, en deux temps trois mouvements – identifie le discours présidentiel devant le conseil des ministres comme étant, à la fois, cartésien, spinozien, rousseauiste et wébérien… Rien que ça ! Sans doute, n’ai-je pas la culture philosophique de notre grand intellectuel, mais je subodore derrière cette accumulation de références sinon un manque de cohérence, du moins de l’éclectisme! Ce qui, avouons-le, est loin d’être un compliment pour tout discours fût-il de la méthode…

Bref, même s’il demeure le numéro un en termes d’annonces pour terrains, autos et logements et la référence incontournable de la nécrologie, un journal se doit de montrer un minimum de respect pour ses lecteurs et est dès lors appelé à choisir soigneusement les contributions auxquelles il donne sa tribune. Il doit veiller à éviter à ses lecteurs les délires que subissent des convives en fin de soirées un peu trop arrosées ou les divagations qu’endurent en amphithéâtre certains étudiants en sociologie les lendemains de discours présidentiels. Autrement dit, on peut cirer les pompes tout en restant intelligible!

Puisse mon appel être entendu et que notre sociologue se contente du public de ses étudiants! Et puisse Attariq demeurer cet espace de liberté accueillant pour l’esprit critique des Tunisiens et Dieu sait s’ils en ont!

Mohamed Ben Brahim

LA SITUATION POLITIQUE EN TUNISIE: DEREGLEMENTS… ET INCERTITUDES (fin)

Dans les deux premières parties de son analyse de la situation politique en Tunisie (Attariq n°161 et 163) Samir Taïeb passait en revue les dérèglements d’ordre politique, moral voire sécuritaire et les incertitudes qui en découleraient. Dans cette dernière partie, il pose le problème du gouvernement du pays, mettant à l’ordre du jour la question du dialogue national.


2- L’incertitude liée à la « gouvernementalisation » de l’Etat. C’est au nom du «développement» et du «bien être social» qu’a été entreprise l’étatisation de la société tunisienne par Bourguiba. La conquête du territoire par la modernité étatique s’était faite par une mobilisation descendante, orientée du «politique» vers le «social» par le biais de l’Etat-parti. Et c’est au nom de «l’Etat moderne» (ad-Dawla al Haditha) qu’un ordre politique répressif a été instauré pour pouvoir mener à bien une œuvre de modernisation par le haut qui visait l’affaiblissement du fondement même de la société traditionnelle. L’effort moderniste va se déployer dans le sens d’une redéfinition de la place de la femme dans la société, de celle de la religion dans l’espace public. Il passera également par le recul des formations sociales traditionnelles et l’apparition de nouvelles formations, notamment grâce à l’unification de la justice et la réforme de l’enseignement. Et c’est grâce à ces acquis que la Tunisie s’était distinguée pendant un demi-siècle, durant lequel, grâce à la conception «Etato-centriste» de Bourguiba -l’Etat se situant dans un rapport transcendantal et d’extériorité vis-à-vis de la société- a atteint, seul maître à bord, non sans quelques crises, les objectifs du développement économique et social.

Aujourd’hui, le modèle, complètement «amorti», a atteint ses limites. Le triomphe dans le domaine économique du «modèle tunisien» a conduit, faute de réformes politiques réelles, paradoxalement à un affaiblissement du pouvoir et à un début de crise de légitimité. L’étatisation de la société étant achevé depuis plus de trois décennies, il aurait fallu passer à la phase cruciale de ce que M..Foucault appelle la «gouvernementalisation» de l’Etat. Les instruments de la modernisation de la société doivent, à leur tour, subir l’épreuve de l’auto- modernisation, sous le regard critique de la société. La gouvernementalisation appelle l’espace public et la démocratie et signifie la montée en puissance d’une politique rationnelle, sous le regard d’un jugement rationnel: ce sera la naissance de «l’espace public». Ce processus est aussi important, voire plus important, que l’étatisation elle-même. Foucault en est le premier convaincu, lui qui avait écrit: «peut être ce qu’il y a d’important pour notre modernité, c'est-à-dire notre actualité, ce n’est pas l’étatisation de la société, c’est ce que j’appellerai plutôt la «gouvernementalisation» de l’Etat.» (1994, t.III, 656). De la sorte, la société n’est pas exclusivement gouvernée par le gouvernement, car celui-ci s’insère dans une trame complexe d’interactions avec des institutions et des groupes et que «les institutions publiques ne forment que la partie visible de l’iceberg de la gouvernance» (G.Marcou).

Mais un pouvoir autoritaire, qui a réussi à neutraliser ses élites et à réduire l’espace public, voudra-t-il réaliser cette œuvre tant attendue? Le pourra-t-il? Ma réponse sera double: négative d’abord, positive ensuite.

NON, le pouvoir n’est pas en mesure de déconstruire les mécanismes de l’autoritarisme et de construire de nouvelles structures réceptives et ouvertes sur la société, et ce pour les raisons suivantes:

- un gouvernement autoritaire «n’a permis, la plupart du temps, ni auto réforme en cas de blocage ni mobilisation populaire sur la durée, et a surtout provoqué, après le temps de l’espérance des débuts, un désenchantement total.» (P.R.Baduel). Or, le problème du pouvoir aujourd’hui, c’est qu’il croit détenir la vérité, il n’aime pas le dialogue, il lui préfère les monologues. Mais, si nos progrès, si réels soient-ils, n’arrivent pas à balayer les frayeurs des jeunes sur leur présent et les inquiétudes des parents sur l’avenir de leurs enfants, c’est qu’ils ne sont pas suffisants, et qu’il faudrait faire mieux, et autrement;

- la neutralisation des élites favorise la régression, du fait de la démobilisation et du découragement qui affectent une grande partie de ces élites. En effet, le pouvoir donne l’impression de n’être pas à l’écoute de ses élites ni d’une grande partie de la société, l’autre partie préférant garder le mutisme par peur ou par «khobzisme»;

- l’autoritarisme a tellement marqué le système politique qu’il engendrera à court terme une crise de légitimité qui dérèglera les comportements et les attitudes. Or, tant que le pouvoir réfléchit aux problèmes que pose le gouvernement du pays en fonction de ses intérêts spécifiques (et ceux des groupes proches ou alliés) et non en fonction de l’intérêt général, sa capacité de gouverner -et donc de faire passer ses politiques- s’affaiblira, et le gouvernement du pays n’en sera que plus difficile.

OUI, le pouvoir peut engager un processus de rénovation institutionnelle si les conditions suivantes se trouvent réunies :

- l’arrêt immédiat des mesures répressives à l’encontre des acteurs de la société civile peut aider à la décrispation de l’atmosphère lourde et pesante qui règne en Tunisie depuis quelques années, le meilleur moyen pour réaliser ce prélude est l’adoption d’une loi d’amnistie générale;

- les signes encourageants de travail commun entre les forces progressistes, décelés à l’occasion des élections d’octobre 2009, sont encore insuffisants ; ils doivent s’intensifier pour pouvoir faire passer un double message: le premier à l’endroit de la société, pour lui administrer la preuve, en dépit du black out, de l’existence d’une mouvance porteuse d’un projet différent de celui qui est en cours, le second à l’endroit du pouvoir, pour lui montrer, par la persévérance, que l’attachement au dialogue n’est pas un signe de faiblesse ni un appel pour des offres «compromissoires» et des accommodements;

- la mise en place par le gouvernement, avant qu’il ne soit trop tard, d’un dialogue national entre tous les acteurs politiques et associatifs, sur un pied d’égalité, en vue d’instituer un partenariat pour la rénovation institutionnelle et le changement démocratique.

Il va de soi que la TUNISIE sera l’unique vainqueur de ce processus de rénovation par le dialogue. Accepter ce processus, certainement long et difficile, est un acte de courage ; le faire aboutir est un acte de patriotisme, car cela évitera au pays une crise sans précédent, contenant des ingrédients explosifs en rapport avec la légitimité et la succession, et mêlant la violence et la contre-violence, sources de désordre et d’instabilité.

SAMIR TAIEB