lundi 30 mars 2009

Distribution d’Attariq Aljadid. Lettre ouverte à MM. Adel Gaâloul, Directeur de la poste tunisienne, et Slah Ennouri, PDG de la Sotupresse


Messieurs le Directeur de la Poste et le PDG de la Sotupresse,

Nous vous écrivons cette lettre, suite au constat de défaillances graves dans la distribution du journal Attariq Aljadid, que ce soit par la Poste (pour les abonnés) ou dans les kiosques par la Sotupresse.

Pour ce qui est des abonnements, et après un début satisfaisant pour les premières semaines de la parution d’Attariq Aljadid dans sa formule hebdomadaire, les abonnés ont constaté une nette détérioration des services de la Poste. La réception du journal, qui se faisait les samedis matin, commença à se décaler vers le lundi, puis le mardi… jusqu’au vendredi ! Cette détérioration de l’acheminement du journal par la Poste, s’est nettement accentuée à partir du n°114, au point où certains abonnés n’ont pas reçu leur journal plusieurs semaines consécutives.

Monsieur le Directeur de la Poste,

Vous êtes censé assurer un service public pour tous les citoyens quelles que soient leurs opinions ou convictions. Alors, de deux choses, l’une : ou bien la qualité de vos services est médiocre, digne du quart-monde. Car seule une incompétence avérée peut expliquer qu’un journal arrive à son abonné après une semaine ou, pire, qu’il disparaisse dans la nature. Ou bien, et ce serait plus grave, vos services font exprès de pénaliser les abonnés d’Attariq, parce que vous vous êtes érigé en juge de ce qui est bon à lire ou non…

Monsieur le Directeur de la Poste,

Vous dirigez un service public et, en tant que tel, vous devez traiter les usagers de la Poste en observant une neutralité parfaite à leur égard… du moins, c’est ainsi que les choses doivent se passer dans le «pays de la loi et des institutions».

Pour ce qui est de la distribution à travers les kiosques, les lecteurs d’Attariq ont constaté l’absence du numéro 121 de leur journal, trois jours après son impression… L’affaire est grave. Car ce numéro n’a pas fait l’objet d’une saisie de la part des autorités. Alors, selon quelle logique et, surtout, de quel droit, la Sotupresse s’abstient-elle de distribuer ce numéro, comme elle le devrait selon les termes du contrat qui la lie au journal ?

Monsieur le PDG de la Sotupresse, vous devez, au moins des explications à votre cocontractant, quand vous manquez à vos engagements à son égard.

Messieurs Adel Gaâloul et Slah Ennouri,

Nous espérons que vous allez mettre un terme aux défaillances graves dont sont coupables vos services et que, dans la relation qui vous lie aux lecteurs d’Attariq, vous ne vous fierez, désormais, qu’au respect des lois du pays et qu’à votre conscience !

Les amis d’Attariq

El Hamra… Zarqa !

En cette matinée de dimanche, la salle El Hamra, mythique salle de cinéma au cœur de la ville, s’est réveillé parée de bleu azur, couleur de la coalition du progrès pour les élections de 2009. Jeunes et moins jeunes, des générations de la gauche tunisienne, se sont retrouvées dans cette salle pour donner les trois coups de lancement de la campagne d’Ahmed Brahim, candidat de l’Initiative nationale pour la démocratie et le progrès (INDP) .

Certes, le peuple de gauche n’était pas présent dans son intégralité : certains sont sceptiques, d’autres plutôt catégoriques dans le refus de la participation. Mais il semblerait qu’il y ait un frémissement, le signal d’une dynamique qui peut être mobilisatrice et créatrice d’espoir.

Plusieurs intervenants se sont succédés à la tribune et, dans la diversité des appartenances, un seul mot d’ordre a semblé dominer tous les discours : unité dans l’action et résolution à mener le combat pour une autre alternative : celle du progrès et de la modernité.

Au sortir de cette réunion, certains de mes camarades m’ont interpellé pour critiquer pêle-mêle, un certain amateurisme, concernant l’orchestration et la mise en scène de l’annonce de la candidature. D’autres, heureusement, avaient formulé des remarques de fond sur le discours du candidat et le programme de l’INDP. Toutes ces remarques et tous ces reproches sont bons à prendre. Car il ne s’agit, à ce stade, que du début de la campagne et, pour avancer, il faut savoir écouter même les critiques les plus virulentes… Du moment, bien sûr, qu’elles sont sincères (ce qui ne fait pas de doute dans le cas d’espèce).

Six mois nous séparent de l’échéance de novembre 2009. Il faudra en profiter pour multiplier les cercles de discussions, non seulement dans la capitale, mais aussi dans les régions. C’est d’un débat le plus large possible et sur un maximum de questions concernant nos concitoyens que jailliront des propositions utiles au pays et qui feront avancer la cause du progrès et de la modernité.

En cette matinée d’un dimanche ensoleillé, une lueur d’espoir, un moment de communion a rempli la salle El Hamra. Gageons que, avec une plus grande mobilisation, la Tunisie du progrès et de la modernité, celle qui rêve de citoyenneté et de liberté, saura se faire entendre et se faire respecter.

Mehdi Ben Jemâa

PS : le proprio de la salle n’a pas trouvé de meilleur moment pour vider les égouts que ce dimanche 23. Je dis bien le proprio et non ceux qui gèrent la salle (les Ezzedine Ganoun, Leila Toubal et Rym Hamrouni) à qui je rends hommage, parce que, de nos jours, offrir son espace pour une manifestation politique, est un acte héroïque…

dimanche 29 mars 2009

El Haqq Mâak : quand les avocats se substituent au procureur !

Etant avocat de profession, je me devais de me réconcilier avec notre télé nationale, du moins le temps d’une soirée, pour regarder la désormais fameuse émission «El Haq Mâak» qui a fait couler, chez les confrères et tous les citoyens, beaucoup d’encre et de salive et qui a notamment mis au grand jour les luttes intestines qui minent les instances du barreau. Curieux de voir par moi-même, je me suis donc installé, ce jeudi 19 mars à 21h, devant mon écran pour regarder l’émission par qui le scandale arrive.

A mon grand étonnement, l’animateur est Moez Ben Gharbia, transfuge de Hannibal TV que je croyais plutôt spécialiste du journalisme sportif. A sa droite se trouvait Maître Fethi Mouldi, lui aussi ex de Hannibal TV et grand habitué des plateaux de télévision. A sa gauche, on pouvait reconnaître Maître Kamel Ben Messaoud, nouveau visage dans les studios de télé, et notre consoeur, Maître Amel Karoui.

Une fois faites les présentations d’usage, on passa aux choses sérieuses, avec un reportage exposant le cas de Madame Bouraouia Araar qui, ayant bénéficié d’un logement social, aurait été escroquée par un entrepreneur sans scrupules qui lui aurait remis une habitation qui risquait, selon un rapport d’expertise, de s’écrouler sur elle et sa famille à tout moment.

Ayant fait vraisemblablement le serment de régler tous les «cas sociaux», l’animateur contacta l’entrepreneur indélicat et, après l’avoir sermonné, passa la parole à Maître Mouldi qui, sur un ton inquisiteur, reprocha à son interlocuteur sa malhonnêteté, imité en cela, mais avec beaucoup moins d’aisance, par Maître Ben Messaoud. Ce dernier se chargea, sous le regard revanchard de la plaignante, d’enfoncer encore plus un «accusé» qui se retrouva, ainsi, seul contre trois ténors du barreau… et tous les téléspectateurs.

Mais ce que nos deux «inquisiteurs» n’avaient certainement pas prévu, c’est que l’entrepreneur, malgré son apparente ignorance, avait quelques rudiments de droit et n’était pas disposé à porter le couvre-chef que l’émission lui a si bien préparé. Il répliqua à ses «juges» que son cocontractant, autrement dit son vis-à-vis, n’était pas la plaignante mais le ministère de l’équipement qui ne le paye qu’après avoir contrôlé la conformité des travaux avec le cahier des charges. Cinglante réplique qui désarçonna nos deux avocats… et enseignants universitaires, devenus soudain moins virulents lorsqu’il s’est agi de s’adresser au représentant du ministère avec qui ils adoptèrent un ton moins agressif, plus en conformité avec son rang.

Au-delà de l’aspect racoleur de l’émission qui est apparue plus préoccupée par le sensationnel et l’audience qu’autre chose, c’est la prestation des deux avocats qui me laissa perplexe. En effet, il semble que, pris par le vertige du plateau, nos deux amis ont, l’espace d’un passage télévisé, oublié la sacro-sainte présomption d’innocence et changé de place, prenant celle du procureur de la république ou, mieux, celle de l’avocat général. C’est en général celui-ci qui, lors du procès, use du rouleau compresseur de la société contre l’accusé qui se trouve, lui, seul contre tous avec pour seul ami l’avocat de la défense, justement !

Comment nos deux avocats ont-ils oublié leur vocation première, en condamnant l’entrepreneur sans se poser de question et sans ménagement sur la seule foi d’un rapport d’expertise, eux, qui mieux que quiconque savent qu’un tribunal n’est pas lié pas le travail d’un expert et, encore moins, par un plateau de télévision? Pourquoi nos deux éminents juristes n’ont pas pensé fut-ce un seul moment que la prétendue victime pouvait bien ne pas être blanche comme neige? Et que la réalité est toujours un peu plus complexe que ne peut le suggérer une vision manichéenne ? Interrogation d’autant plus légitime que l’animateur, s’adressant à la fin de l’émission à la fonctionnaire du ministère de l’équipement, déclara que le préjudice était minime, car s’élevant à un peu moins que quatre mille dinars et qu’on pouvait donc facilement le dédommager… Alors qu’une demi-heure auparavant, il estimait que la maison menaçait carrément de s’écrouler sur ses habitants !?

Sans vouloir donner du grain à moudre à toutes les voix qui se sont élevées contre l’apparition des avocats à la télévision, il faut avouer que, au vu de la dernière prestation du duo Mouldi – Ben Messaoud, la place des hommes en robe noir est dans les salles d’audience et non sur scène. Car, là-bas, le procureur ne cède pas son rôle !

Mohamed Ali Gherib

dimanche 22 mars 2009

تلفزيون الواقع في التلفزة التونسية : حوار مع خميس الخياطي

تزايد عدد البرامج الاجتماعية التي تقدمها عدد من القنوات التلفزية التونسية، ما هو سر هذا الانتشار؟
لا سر في هذا لأمر ولا هم يحزنون... مثل هذه البرامج موجودة بكثرة في عديد القنوات الرأسمالية كما الاشتراكية، المتقدمة وتلك التي مازالت في طريق النمو... والسبب بسيط وهو أنها تجذب اهتمام المشاهد لأنها تؤثر فيه... الإنسان بطبعه يحب التطفل أو ما يسمى "بالبصبصة" ومرادفها الفرنسي هو le voyeurisme، وبالتالي هذه النوعية لا تقدم من الشأن الاجتماعي إلا ما يسيل الدموع شفقة وبصبصة، ونتيجة لذلك ترتفع نسبة المشاهدة وهو ما يبحث عنه المستشهرون لعرض بضاعتهم وأصحاب القنوات لجني أرباح الاستشهار. الأمريكان يلقبون التلفزة بـ"علكة العيون" وبرامج ألحكي والبصبصة هي الأطباق الرئيسية لتلفزة تعمل على جذب المشاهد مهما كان الثمن... وهو ما يفرق بين التلفزة التجارية والتلفزة العمومية... الأولى قائمة على مداخيل الاستشهار وبالتالي تكثف من هذه النوعية البرمجية السوقية (نسبة للسوق) لتحصل على أعلى نسب المشاهدة والثانية تقوم على التمويل العمومي ومن واجبها إلا تسير وراء استدراج الدموع والشفقة وليست (نظريا) مطلوبة على جمع نسب المشاهدة... وهو الخلاف القائم بين التلفزات العمومية الفرنسية والإيطالية على سبيل المثال... والتلفزة العمومية التونسية (ق7 وق21) إختارت النظام الإيطالي بتأثيث شبكتها بهذه النوعية البرمجية... كذلك، وفي نطاق حضارتنا العربية الإسلامية، هناك عامل ديني يجعل المشاهد يرضى بحالته ويحمد الله على منزلته عند متابعته لهذه البرامج وعلى كونه لم يصل إلى الحالة التي وصل إليها من هم موضوع البرامج الاجتماعية وأن لا عدالة في الدنيا الفانية وأنها في الآخرة... وهكذا، تضرب جميع العصافير بحجر واحد: التنفيس عن الضغط الإجتماعي وتعزيز الركون إلى الدين. إلا أنه في بعض الأحيان، تذهب هذه البرامج ضد تيار النظام السياسي وتعري بعض ثغراته الطبيعية، فينزعج منها وتختفي كما حدث للبرنامج الرمضاني "بدون إستئذان" لقناة حنبعل الخاصة...
اتهمت قناة تي أف 1 الفرنسية احدى القنوات التلفزية الخاصة بالسطو على برنامج كانت قدمته إلى شركة انتاج خاصة تونسية، هل يمكن أن تدعي قناة معينة احتكار برنامج ما؟
هي معلومة قديمة ورائجة لدى "مهنيي المهنة" من أن حنبعل منذ نشأتها "تشرب" مما يوجد على فنوات تجارية فرنسية وإيطالية بدون احترام حقوق التأليف والملكية الفكرية... صحيح أن برنامج 'مع حسن نية" التي تؤمنه بثقل غير معهود إيمان بحرون هو نسخة طبق الأصل (مع تحويرات طفيفة) لبرنامج فرنسي اقتنت حقوقه شركة "كاكتوس" وقدمته على شاشة تونس 7 من تأثيث معز بن غربية. البرامج على القنوات في بلدان يحترم فيها القانون حقوقها "ماهياش مسيبة"... وبالتالي، كما بالنسبة للسلع المزورة، البرامج التي تستنسخ بدون إذن هي سلع مزورة وعلى القانون أن يطبق مهما كانت الدواعي التي أدت إلى الإعلان عن التتبع...
هل تعتقدون في قدرة مثل هذه البرامج على تناول المسائل الاجتماعية الشائكة؟ وهل من جدوى في طرح مشاكل الأفراد والمواطنين في وسائل الاعلام ؟
لا أعتقد ذلك البتة إن لم تكن هناك رؤية واضحة تدفع لذلك التناول وسياسة إعلامية تعطي لوسائل الإعلام حريتها على أن يحترم القاتون وتحترم أخلاقيات المهنة... هذه البرامج على تونس 7 كما على حنبعل تنجح نحو استقطاب المشاهد لغرض الدعابة... نقطة، أرجع إلى السطر... بطبيعة الحال وسائل الإعلام، جدواها عرض مشاكل المواطنين وذلك في نظام يحترم الإعلام... في تونس هذه البرامج تجعل من مشاكل المواطنين فرجة لاستدراجهم حتى تمتلئ الأرصدة البنكية أصحاب البرامج. وفي هذا الباب، الصراع مرير بين حنبعل وتونس7 (نيابة عن كاكتوس)... لذا، يجب أن تكون هناك سلطة تنظيمية لها قانونية التحقيق وإلزامية القرارات لا مثل المجلس الأعلى للإتصال، "صباب الماء على اليدين"...

samedi 21 mars 2009

Annulation de l’horaire d’été : quand le confort du jeûne passe avant la maîtrise de l’énergie

Le journal La Presse du 14/03/2009 a révélé qu’en vertu d’un décret non encore publié, il a été procédé à l’annulation de l’adoption de l’horaire d’été pour l’année en cours… Quoi de plus banal, diriez-vous ? Ce n’est ni la première ni certainement la dernière volte-face de l’Administration tunisienne. Mieux encore ! cette décision a toujours été souhaitée par les Tunisiens qui, malgré toutes les campagnes de sensibilisation vantant les bienfaits de l’heure avancée sur l’économie du pays et la maîtrise de l’énergie, n’ont jamais vraiment digéré ce décalage qui leur était imposé. Pourtant cette décision, tant au niveau de la forme qu’au niveau du fond, soulève quelques interrogations et mérite, pour cela, d’être analysée.

D’abord, il est rare que, avant même sa publication, un décret soit annoncé par un organe de presse, agence ou journal. Ce qui signifie que cette décision a été prise dans la précipitation – en tout cas bien après que toutes les dispositions aient été arrêtées pour que cette heure soit ajoutée, comme c’est le cas depuis maintenant quatre ans. Il semble même, à la lecture de l’information, que l’Administration était tellement contente d’annoncer la nouvelle à ses administrés qu’elle n’a pas pu attendre la publication du décret !

Toutefois, c’est surtout en ce qui concerne le fond que cette décision est encore plus édifiante. Car l’annulation de l’heure d’été a été motivée par sa coïncidence, cette année, avec le Ramadan. Bizarre ! L’année dernière, les Tunisiens avaient bel et bien jeûné tout le mois Saint du 1er au 30 septembre. Et le gouvernement devait bien le savoir lorsqu’il a programmé l’horaire d’été en 2008. Mais, vraisemblablement conscient des bienfaits dudit horaire sur l’économie du pays, et étant le garant de l’intérêt supérieur de la nation, il maintint cette disposition légale, malgré le Ramadan.

Que s’est-il donc passé ? Qu’est-ce qui a changé pour que le gouvernement se rétracte cette année ? L’horaire d’été n’est plus avantageux en termes d’économie ? Toutes ces campagnes avec leur lot de chiffres censés représenter les économies réalisées durant toutes ces années, c’était du pipeau ? Il semble, en fait, que c’est la conception de l’intérêt supérieur de la nation qui est en train de changer. En effet, réaliser une économie d’énergie et rationaliser les dépenses, par ces temps de crise économique, ne semblent plus être les objectifs prioritaires du pays. Il s’agit, aujourd’hui, de faire en sorte que le Tunisien jeûne dans les meilleures conditions, quitte à ce que ce soit aux dépens de l’économie du pays ! L’ordre des priorités s’est apparemment inversé, ces derniers temps… Faut-il y voir les traces du passage remarqué d’un certain Cheikh égyptien et une contrepartie du certificat d’islamité et d’arabité qu’il nous a si généreusement délivré ?

Kacem Erraïes

vendredi 20 mars 2009

Visite de Qaradhaoui en Tunisie : ni pour ni contre… inquiet, tout simplement !

Le chroniqueur d’un quotidien de la place a favorablement apprécié la polémique qui a fait rage, sur la blogosphère tunisienne, entre traditionalistes – qui se sont enthousiasmés par la visite dans nos contrées du Cheikh Qaradhaoui – et modernistes, qui l’ont déplorée. Pour lui, c’est le signe d’une bonne santé intellectuelle : la preuve qu’il existe, quelque part dans le pays, une élite avide de débats et qui s’intéresse à autre chose que le football. Tant mieux, en effet ! Mais au-delà du fait que ce n’est pas un signe de bonne santé pour les libertés dans le pays que ce débat ne soit possible que sur Internet, il est clair qu’être pour ou contre cette visite n’a pas en soi un grand intérêt. Ce qui est plus intéressant, par contre, c’est d’essayer de la mettre dans son contexte et de la situer dans une chronologie, à la suite de faits semblables, pour être à même d’en déduire un diagnostic sur le positionnement idéologique du pouvoir.

Pour ce faire, il faudra, d’abord, s’interroger pourquoi et comment ce personnage qui a par ailleurs un côté assez rigolo – il n’hésite pas à donner son avis sur des sujets a priori délicats tels que la masturbation ou la fellation – en est venu à acquérir une telle popularité et, donc, une telle importance, chez nous. C’est là que réside, à notre avis, le vrai problème : que, dans le pays des grands penseurs et politiciens réformistes, une bonne partie de la population soit accrochée aux paroles d’un «télé-évangéliste» musulman véhiculant une lecture archaïque de la religion et qu’elle essaye de régler son comportement sur ses fatwas, traduit manifestement l’échec patent des politiques éducatives et culturelles du régime. La responsabilité de ce dernier dans cette évolution est lourde.

Venons-en, à présent, au deuxième volet de l’affaire : l’invitation en elle-même, la visite et ses résultats. C’est à ce niveau, en effet, qu’on peut juger le positionnement du pouvoir par la nature et le degré de ses concessions aux courants les plus rétrogrades de la société tunisienne. Le prédicateur a été reçu en grande pompe par des autorités peu rancunières – oublieuses du procès en mécréance qu’il leur a intentées, il y a peu – et avides d’une «réhabilitation» et d’une réintégration dans le rang de l’islamité bien pensante qui soit prononcée par la bouche de ce nouveau pape islamique. Ce qui fut obtenu et relayé par tous les journaux, qui ont repris en chœur la dépêche de la TAP. Tout ça a de quoi faire sourire ! Mais si l’on rappelle que cette comédie a été jouée au moment où les Femmes Démocrates ont été privées de célébrer, dans un espace public, la Journée Internationale de la Femme et, surtout, qu’elle succède à la Radio islamique privée, à laquelle est venue s’ajouter, récemment, la Banque islamique privée – toutes deux appelées, comme par hasard, Zitouna – on ne peut s’empêcher de craindre que ce régime aux racines modernistes soit en train d’opérer lentement, mais sûrement, un virage idéologique inquiétant. La vigilance doit être de mise !

Boubaker Jridi

samedi 14 mars 2009

Pour avancer !

Cet article est né d’une conviction forte qui anime ses auteurs que le combat en faveur de la démocratie dans notre pays passe nécessairement par une rupture inévitable avec des conservatismes et avec une certaine forme de rigidité de l’esprit présente chez beaucoup d’entre nous. Une rupture avec cette attitude qui consiste à s’inquiéter, à s’offusquer, à être désarçonné quand il s’agit de toucher à « l’héritage » des générations qui nous ont précédées. Cette posture qui glorifie les anciens, le passé, ses icônes et ses représentants. Cette façon de faire de la politique ou de s’impliquer dans la chose publique qui a fait qu’un relais entre les générations ne soit pas passé. Cette manière de procéder qui a vidé nos syndicats de travailleurs et d’étudiants, qui a empêché nos partis de se développer et qui frappe la Ligue des droits de l’homme de sclérose.

Que des militants, ici et là, de toutes générations, se soient impliqués, corps et âmes, dans le combat pour la démocratie et la liberté, que des gens se soient dévoués pour la cause malgré l’encerclement et le harcèlement qu’ils ont subis, que des sacrifices immenses aient été consentis: on ne peut en douter. Que le pouvoir en place s’arrange pour empêcher et pour affaiblir toute velléité d’opposition, qu’il ne soit pas particulièrement préoccupé par les considérations de gestion démocratiques et de promotion des libertés: ceci relève de l’évidence. Il ne s’agit pas, dans ce qui suit, de tout dénoncer ou de tout balayer d’un revers de main. Il ne s’agit pas, non plus, de poser la question en des termes de générations. C’est un regard humble, détaché, lucide et incomplet que nous proposons sur les acteurs de la démocratie et du militantisme dans notre pays.

Premier constat. Il existe du côté de chez nous, une spécificité locale: une inter- pénétration et une proximité entre les sphères politique, syndicale et associative. On peut être aussi bien adhérent à un parti politique reconnu ou non, affilié à un syndicat de travailleurs, d’étudiants ou à un ordre professionnel et membre d’une association. Ce don d’ubiquité est légitime: «c’est de bonne guerre», nous dira-t-on. Le personnel disponible est limité, et les adversaires d’en face font de même. Ce cumul des casaques a travesti un paysage démocratique qui avait déjà beaucoup de peine à se former et à se régénérer. Pour gagner des positions sur l’échiquier, des groupes politiques ont investi les associations et les syndicats pour essayer d’en tirer profit et d’en faire une tribune. L’UGTT, par exemple, regroupe pêle-mêle, aux côtés des simples travailleurs, toutes les tendances politiques qui existent dans le pays. Pareil pour la Ligue des droits de l’homme. Idem pour la section tunisienne d’Amnesty International. Les considérations partisanes, parfois contradictoires, déforment l’action syndicale et associative. Les partis politiques, censés être porteurs de changement, perdent leur faculté de réfléchir, de juger, de décider, de critiquer et d’agir sur certaines questions. La couverture du dossier des négociations salariales dans le secteur de l’enseignement supérieur et la polémique qu’il a suscitée en sont les parfaites illustrations. Il est inutile, par ailleurs, de s’étendre sur des structures et des cadres qui vieillissent, qui ont du mal à se renouveler et sur un témoin qui ne passe pas entre les générations. Il ne faut pas se leurrer quand on voit des jeunes ! Ces jeunes qui assistent à des réunions de partis ou d’association, qui s’intéressent ou qui s’impliquent timidement dans la chose publique sont en nombre limité. Soit ils appartiennent à des groupes politiques, fermés par définition, sous l’emprise d’un chef charismatique, soit ils assistent silencieux, laissant la parole et l’écrit à ces visages et à ces noms qu’ils retrouvent partout.

L’évocation des jeunes nous amène à exposer le cas des étudiants et de leur organisation. La « glorieuse » UGET. Une organisation à laquelle sont attachées, comme nous, beaucoup de Tunisiens. En son sein, des générations d’étudiants ont été initiées au militantisme, à la culture, aux livres, à l’idéal de liberté, etc. Grâce à elle, aux assemblées générales et aux grèves, des couples d’amoureux se sont formés, des camarades ont forgé leurs liens et des amis ont initié un chemin commun qui durera une vie. Mais, désormais, l’UGET n’est plus qu’un fantôme de ce qu’elle était. Les couples existent encore. On parle toujours de camaraderie dans les multiples communiqués des différents groupes, et on fait encore des AG et des grèves un peu à la manière des aïeuls des années 70. Il est vrai que, dans sa déconfiture, l’UGET paie le prix des pressions et des manœuvres du pouvoir. Elle est surtout la victime de ses enfants, de leurs calculs politiciens, de leurs défaillances en matière de gestion démocratique et de gestion tout court. Notre jugement est certainement sévère et triste. Il est le fruit d’un constat.

L’UGET est devenue une coquille vide. Une organisation limitée à quelques structures actives. Une organisation complètement divisée de l’intérieur sur fond de querelles stériles entre des groupes rivaux. Sur ce point, nous n’épargnons la responsabilité de personne. L’organisation des étudiants a le triste mérite de produire des maîtres stratèges et des maîtres tacticiens, experts pour déjouer les combines des autres clans et extrêmement habiles pour éviter la récupération. C’est une autre paire de manches quand il s’agit de leur demander de proposer un projet rénovateur ou de répliquer aux réformes de l’enseignement supérieur. Six années sont passées sans que l’organisation ne puisse arriver à renouveler ses structures. L’UGET est aujourd’hui morcelée, déchirée et complètement affaiblie. Cette situation est inacceptable pour le pays et pour ses étudiants, si on mesure les effets de l’opération de «démantèlement» de l’université publique. Pour être défendue, «l’université populaire et l’enseignement démocratique» ont besoin d’une, ou de plusieurs, représentations syndicales fortes, ayant présence et influence chez la masse estudiantine. Dans ce domaine force est de constater que par son discours inadapté, ses moyens d’action militante désuets et par son incapacité à évoluer, l’UGET n’attire pas foule d’étudiants. L’organisation estudiantine n’a jamais pu forger une ligne directrice capable de capter le soutien des étudiants pour les justes causes qu’elle doit défendre. Nous souhaitons, comme beaucoup d’autres, une relève. Nous aimerions voir notre constat démenti par l’engagement de beaucoup de militants présents sur le terrain. Ceci n’empêche pas que l’UGET, dans sa forme actuelle, est un écran opaque entre les étudiants, la défense de leurs intérêts et l’engagement citoyen. Que faire pour dépasser cette situation ? Que faire pour garantir son indépendance ? Il est de notre responsabilité d’aider à trouver une issue. Pourrait t-on retrouver un jour une étudiante de 22 ans à la tête de l’organisation, maniant avec dextérité le dialecte tunisien, les langues arabe et française pour déconstruire, arguments de poids à l’appui, les réformes du ministère? Le rêve est t-il permis?

L‘avènement de la démocratie dans nos contrées ne sera pas pour demain. Il n’en demeure pas moins que le combat pour la démocratie ne doit jamais s’arrêter. Le flambeau doit être repris. La relève doit être assurée. Nos rangs doivent se renforcer et se resserrer encore plus fort. Dans cette quête, il est impératif de repenser notre façon de lutter et de combattre pour nos idéaux. Il est absolument requis que nos partis démocratiques fassent évoluer leur mode de gouvernance. Un souffle novateur doit inspirer notre démarche à nous, peuple des progressistes et des démocrates. C’est ensemble, par notre unité, par notre sens de l’écoute, par notre cohérence, par la critique réciproque et par notre présence sur le terrain que nous saurons montrer, un jour ou l’autre, notre exemplarité, la force de nos idées et la justesse du projet que nous présenterons un jour à notre Peuple.

Nous avons écrit cette modeste contribution et pris le risque de fâcher certains de nos lecteurs pour ne pas reporter à plus tard l’autocritique, même douloureuse, qui devrait être faite aujourd’hui. Nous l’avons fait aussi pour ne pas brider notre volonté de faire évoluer le combat et, surtout, pour ne pas laisser de côté cette part de rêve qui nous anime d’une Tunisie meilleure, d’une Tunisie ouverte, d’une Tunisie démocratique et d’une Tunisie qui prenne pleinement pied dans le 21ème siècle. Cette Tunisie là, nous la voulons. Avec d’autres, nous apporterons notre pierre à l’édifice commencé par ceux qui nous ont précédés. Au risque de faire sourire certains, c’est cette part de rêve qui sera, peut être, le commencement d’une renaissance. Nous vous invitons, chers lecteurs, à vous joindre à nous.

Mehdi Ben Jemaa et Anouar Ben Naoua

vendredi 13 mars 2009

Tahar Haddad ou la méthode de la réforme en islam

Imra’atuna fi ach-chariâ wal-mujtamaâ est sans doute l’un des ouvrages les plus importants de notre histoire culturelle et politique contemporaine et, à le relire, on est encore surpris par son audace intellectuelle et par la fraîcheur qu’il dégage. On a du mal à réaliser qu’il est paru en 1929… Il y a 80 ans ! Les premières pages, surtout, qui dévoilent son approche de la question de la réforme en islam, sont essentielles. Tahar Haddad y développe, tout simplement, LA méthode pour mener à bien, dans nos sociétés, les réformes qu’exige la modernité.

De ce point de vue, Bourguiba, promulguant le Code du statut personnel en 1956, et Mohamed Charfi, publiant Islam et liberté en 1999, sont ses héritiers et continuateurs. Tout y est, en effet : une conscience historique aiguë, une adoption sans complexes des valeurs de la modernité, une conviction profonde de la nécessité de la réforme et, surtout, la manière d’aborder la religion pour montrer que, dans son essence, elle ne s’oppose nullement à la modernité. Cette approche se construit autour de trois moments clés.

D’abord, Haddad introduit la distinction décisive entre l’essence du message islamique – anhistorique, éternelle – et ce qui, dans ce message, a été entaché par le contingent. Il s’efforce, ainsi, de construire la notion d’un islam pur, débarrassé, en quelque sorte, des scories de l’histoire et il y retrouve, aux côtés de la notion coranique de makarim al-akhlaq, les valeurs de liberté et d’égalité. Il montre, dès lors, que ce qui s’oppose à l’accomplissement de ces valeurs dans une société islamique, c’est justement la part contingente, donc non essentielle, du message. Il réussit, ce faisant, à montrer que ce que l’on met sous le nom d’islam, ce ne sont, souvent, que les conservatismes et archaïsmes d’une société patriarcale. L’islam en tant que tel n’est pas un obstacle à la réforme.

Ensuite, Haddad se base sur cette distinction entre l’essentiel et le contingent pour mettre en exergue le gradualisme adopté par l’islam en vue de faire accepter son message par une société qui n’y était pas toujours prête. En effet, il n’était pas facile pour des Arabes frustes et peu civilisés de se soumettre aux exigences de la nouvelle religion. Celle-ci, pour ne pas faire objet de rejet, a dû composer avec le réel et, sur certains thèmes, avancer progressivement (comme pour l’interdiction du vin) ou, sur d’autres, se contenter d’indiquer la voie, en faisant seulement une partie du chemin (l’esclavage et les droits de la femme). Là gît, en effet, l’idée de génie de Haddad qui consiste à affirmer que le gradualisme est inhérent au message de l’islam et que si la vingtaine d’années du prophétat ont été suffisantes pour abroger plusieurs textes, que dire alors d’une évolution de plusieurs siècles ?

On peut, dès lors, aujourd’hui que les temps sont mûrs, faire le reste du chemin qui a été seulement indiqué du vivant du prophète, notamment à propos des questions, entre toutes délicates, de liberté et d’égalité. Pour Haddad, tout en montrant son attachement pour ces deux valeurs, l’islam n’a pu, étant donné le contexte historique, aller jusqu’à ordonner l’abolition de l’esclavage, ni instaurer l’égalité entre hommes et femmes. D’ailleurs, l’attribution aux femmes d’une partie de l’héritage n’a pas été digérée par les sociétés patriarcales qui, sur ce point, «ont préféré les ténèbres de la jahiliyya aux lumières de l’islam» en usant de tous les moyens pour priver les femmes d’héritage. Mais, aujourd’hui, les musulmans peuvent – et doivent – réaliser cette égalité entre les sexes, de la même façon qu’ils ont accepté l’abolition de l’esclavage. C’est le troisième moment de la démonstration de Haddad : le sens profond du message a souvent été ou bien trop dur ou bien incompréhensible pour les sociétés d’accueil. Seule l’évolution historique rendra les hommes à même de le saisir et de s’y conformer. L’interprétation du message est donc un processus continu, jamais achevé. Sauf, peut-être, à la fin de l’histoire. Haddad ne nous dit-il pas à cet égard que «l’islam est la religion du réel, il évolue avec lui, c’est le secret de son éternité» !

L’approche est magistrale et, à ce jour, on n’a pas trouvé autre chose pour concilier modernité et islam. Il s’agit bel et bien d’un texte fondateur. Tahar Haddad fait partie assurément des grandes figures de la réforme dans notre pays et, en tant que tel, il a sa place dans le panthéon de notre mouvement moderniste. A l’heure où la Tunisie officielle fait des courbettes et déploie le tapis rouge au représentant d’un islam figé dans une démarche obsolète, il n’est peut-être pas malvenu de rappeler que ce pays a enfanté un penseur réformiste de l’envergure de Haddad. Sa pensée demeure au cœur d’une modernité possible.

Baccar Gherib

dimanche 8 mars 2009

Quand un député RCD force notre estime !

Il est rare, dans nos médias, qu’un politicien ou qu’un commentateur de la chose publique dévoile aussi crûment l’état de notre démocratie que ne l’a fait, dans l’interview qu’il a accordée au journal Assabah el-ousbouî, le député RCD Abdellatif Mekki, inspecteur de l’enseignement primaire de son état.

En effet, notre député n’est pas un amateur de la langue de bois. Car à la question «Pensez-vous que les électeurs vous renouvelleront leur confiance à l’occasion des prochaines élections?», il a eu cette réponse lapidaire, fort édifiante: «C’est M. le Président, le président du RCD qui accorde sa confiance, et je serais heureux si j’en bénéficiais de nouveau…» !

Peut-on être plus explicite que cela? En gros, dans le système électoral tunisien, les électeurs n’ont aucune importance. Pour être sûr d’être député, il faut tout simplement être sur la liste du RCD. Et pour cela, il faut mériter la confiance de son président. CQFD.

Le propos de M. Mekki pourrait choquer des esprits habitués à une conception de la démocratie où ce sont les électeurs qui choisissent les députés, mais il résume sans doute à la perfection le fonctionnement démocratique dans notre pays : durant plus d’une cinquantaine d’années de «joutes» électorales, on n’a jamais enregistré l’échec d’un candidat du parti au pouvoir à la chambre des députés !

Ainsi va la démocratie chez nous ! Et nous savons gré à M. Mekki de nous en rappeler les règles du jeu en cette année électorale. Mais pour plus de rigueur sémantique, ne faudrait-il pas appeler, désormais, nos élus les «députés du président» au lieu de «députés de la nation» ?

Boubaker Jridi

lundi 2 mars 2009

Saison de la migration vers le Nord ou la quête tragique de la modernité

«Le fleuve, sans lequel il n’aurait eu ni début ni fin, court vers le Nord, rien ne l’arrête. Une montagne peut l’obliger à aller vers l’Est ou une terre à aller vers l’ouest, mais, tôt ou tard, il reprend son mouvement nécessaire vers la mer, au Nord».

Saison de la migration vers le Nord, p. 81

Le décès de Tayeb Salah, grande figure de la littérature arabe contemporaine, devrait être une occasion de redécouvrir son œuvre et, surtout, de se replonger dans sa pièce maîtresse, Saison de la migration vers le Nord, parue il y a tout juste quarante ans. Ce roman qui traite fondamentalement du choc de l’histoire (et de la modernité) subi par une société arabo-musulmane en profonde léthargie, en congé de l’histoire, développe de manière magistrale les différentes facettes des contrecoups du contact avec l’autre et sa culture, ses différents enjeux et défis.

Il nous donne à voir une conscience inquiète qui a accédé à la connaissance de l’autre, qui est fascinée par ses progrès et réalisations, qui est convaincue de l’indéniable retard historique de sa société, mais qui, dans le même temps, reste fortement attachée à la simplicité et à la sérénité du mode de vie plurimillénaire de ses propres gens, paysans d’un petit village au bord du Nil. Le narrateur ne cessera, ainsi, d’être interpellé par deux figures centrales du roman : Mustafa Saïd, «l’étranger» qui est venu s’installer au village après de longues années passées à Londres, et son grand-père, véritable «partie de l’histoire».

En effet, le contact avec l’autre – et le réveil à l’histoire dont il est porteur – risque, hélas, de provoquer une perte des repères et un ébranlement des certitudes dans cette société «authentique» si attachante, en fin de compte : elle vit en osmose avec la nature, dans le cadre de l’éternel retour du même et d’un Dieu omniprésent, et où le sens des choses est donné une bonne fois pour toutes. Toutefois, même au fin fond du Sahara, «à un jet de pierre de l’équateur», on finit par être rattrapé par l’histoire, ramenée dans les bagages de «l’Anglais noir» qu’est Mustafa Saïd, le «miracle du roman», selon l’expression de Taoufik Baccar (1).

C’est, en effet, la découverte progressive, par le narrateur, de l’épopée de cet homme, parti jeune étudier dans la métropole anglaise durant les années 40 du siècle dernier qui constitue l’intrigue du roman. Les aventures de Mustafa Saïd illustrent, il est vrai, la complexité du rapport du colonisé (et de l’ex-colonisé) à la culture occidentale et, quelque part, la «malédiction» dont est porteuse cette modernité, avec toutes ses connaissances déstructurantes de son moi profond.

Ainsi, dès le début, toutes les conditions sont réunies pour que Mustafa Saïd assimile parfaitement la culture occidentale : il n’a pas de père (comme tous les rénovateurs) et il a une intelligence hors du commun qui lui permet d’être adopté par ses maîtres étrangers et d’atterrir à Londres pour y hériter d’une chaire à l’université.

Cependant, l’acquisition et la maîtrise de cette culture n’en font pas, pour autant, un Anglais. Car Mustafa Saïd ne croit pas à la fable de la «mission civilisatrice de l’Occident» et sa rencontre avec celui-ci est précédée d’un contentieux historique : le viol qu’a été la colonisation et le traumatisme qui s’en est suivi. Il vient, en effet, animé d’un désir de revanche – «je suis venu en conquérant !» – qui aura, pour terrain, son lit et, pour objet, la femme étrangère qui représente, de ce point de vue, le rapport limite de l’altérité (2). Ainsi, au terme de plusieurs tribulations sexuelles, de deux suicides, d’un meurtre et d’années de prison, Mustafa Saïd rentre au pays. Et c’est à travers ses propres confessions, mais aussi, à travers les manuscrits et les lettres qu’il découvre, épars dans la «chambre» du disparu, que le narrateur arrive à reconstituer l’histoire de ses aventures.

Par cette chambre fermée à double tour, croulant sous les livres – dont aucun, y compris le Coran, en langue arabe – contenant des meubles anglais et… une cheminée ! Tayeb Salah a voulu, jusqu’à la caricature, dépeindre l’univers que porte en lui tout intellectuel arabe et africain un tant soit peu occidentalisé. C’est cet univers qui est à l’origine de son malaise et de son trouble. N’est-il pas significatif que Mustafa Saïd écrive quelque part cette dédicace : «A ceux qui voient d’un seul œil, qui parlent une seule langue, qui voient les choses ou blanches ou noires, ou orientales ou occidentales» et, qu’avant de disparaître, il recommande au narrateur de prendre soin de ses enfants et, surtout, de «leur éviter l’épreuve du voyage» et, donc, la découverte de l’Autre ? Serait-ce là le signe d’un regret, d’une rédemption ?

Toujours est-il que ce désarroi est partagé par le narrateur qui, après la disparition du mystérieux personnage, se jette dans les eaux du fleuve, perd connaissance et est attiré vers ses profondeurs. Mais il reprend conscience, au beau milieu du fleuve, à égale distance de la rive Sud et de la rive Nord. Il décide de survivre et appelle «au secours» !

Quarante ans après la parution de Saison de la migration vers le Nord, son propos n’a pas pris une ride. Sa problématique est encore d’actualité. Nous portons tous quelque part en nous cette bibliothèque de livres étrangers – abritant une connaissance, celle de la modernité – hermétiquement fermée, isolée de son milieu. Nous nageons encore péniblement au milieu du fleuve sans pouvoir, pour l’instant, rejoindre l’une de ses deux rives. Mais, l’espoir reste permis. Le narrateur ne s’écrie-t-il pas, à un moment : «Cette terre est celle de la poésie et du possible, et ma fille s’appelle Amal» !

Quarante ans… C’est long pour la vie des hommes. Mais c’est sans doute court dans le temps des transitions historiques. L’intériorisation des valeurs de la modernité ne se fera pas sans mal, sans sacrifices ni renoncements. Toutefois, le fleuve de l’histoire prendra, tôt ou tard, son cours… vers la mer !

Baccar Gherib


(1) Ath-thabit wal mutahawwil (Le fixe et le changeant), préface au roman, édité par Dâr al-janoub, 1979.
(2) Kamel Gaha, Le parcours initiatique des héros d’Occident et d’Orient, Itinéraires et contact de cultures, Paris, 1990.

dimanche 1 mars 2009

La Tunisie terre d’accueil pour voitures de luxe !

En parcourant la Une du quotidien gouvernemental La Presse du samedi 21 février 2009, mon attention a été attirée par un titre : sous la rubrique «Automobile», le journal nous informe, en effet, que La Tunisie a été choisie pour le lancement officiel et international des nouveaux modèles Porsche ! Pour ceux qui ne le savent peut-être pas, Porsche est une marque allemande qui produit exclusivement des voitures de luxe et de grosses cylindrées destinées à de rares privilégiés.

Voulant en savoir un peu plus, j’ai ouvert la page 4 pour connaître les détails de cet événement. Et là, je découvris qu’une société privée, dirigée par un homme d’affaires tunisien, a obtenu que la présentation et le lancement des nouveaux modèles de la marque aient lieu exclusivement en Tunisie. Le journal nous informe également que les principales chaînes françaises de télévision diffuseront de longues séquences de ces essais, en prenant même le soin de nous indiquer les horaires de diffusion et de rediffusion.

Cette publicité, à peine déguisée, a de quoi surprendre. Car le quotidien en question est – ou, plutôt, était, jusque-là – un farouche défenseur de la politique gouvernementale de «maîtrise de l’énergie» et de «protection de l’environnement». Or, ces voitures sont, aussi bien dans leur version «essence» que «diesel», de grandes gloutonnes. Elles sont, de même, par leur puissance, et malgré les nouvelles technologies, de véritables pollueuses de l’atmosphère.

Mais à lire l’article – pardon ! le publireportage – les questions de l’énergie et de l’environnement semblent être de menus détails devant la fierté que tout Tunisien devrait éprouver devant l’élection de son pays comme lieu de lancement et d’essais d’une grande marque auto.

En ces moments de crise économique, où les marchés européens peinent à absorber la production de simples voitures utilitaires, l’accueil par notre pays du lancement de marques de luxe, n’est-il pas le signe, en effet, que notre économie représente un marché intéressant pour ces dernières et que, par conséquent, tout va bien chez nous… du moins, pour une certaine classe de privilégiés ?

Alors, ne boudons pas notre plaisir. Soyons fiers. Au diable, prudence et modération ! Et fêtons, comme il se doit, l’élection de la Tunisie comme terre d’accueil exclusive pour les voitures de luxe en mal de clientèle.

Kacem Erraies