dimanche 30 novembre 2008

Budget 2009 : une «machine arrière»… judicieuse!

Nous soulignions dans notre précédente livraison d’Attariq (voir l’article de M. Mahmoud Ben Romdhane) qu’élaborer le budget pour l’année 2009 sur la base d’une prévision de la croissance du PIB de 6% pour cette même année était, par une pareille conjoncture mondiale, peu réaliste et, surtout, imprudent! Le président du FMI lui-même aurait prévu une baisse de un point et demi par rapport aux prévisions.

Et quelle ne fut pas la surprise des parlementaires, lors de la présentation du budget, de voir le premier ministre tabler sur une croissance du PIB de moins d’un point par rapport au projet initial (seulement 5,1%). Certes, ce chiffre demeure un peu trop élevé par les temps qui courent. Mais cette révision à la baisse mérite d’être soulignée.

Car cette remise en question montre que – une fois n’est pas coutume – le gouvernement est sorti de cette sorte d’autisme qui habituellement caractérise son action et que, en prenant compte des critiques formulées par l’opposition concernant une question aussi importante que celle du budget de l’Etat, il consent à descendre de son piédestal et avoue implicitement qu’il a affaire à une opposition beaucoup plus sérieuse et crédible qu’il ne veut bien le dire…

B. Gh

dimanche 23 novembre 2008

Youssef Seddik interdit de «signature de livre»

Grande a été la déception du public – pour la plupart des enfants – venu rencontrer l’écrivain Youssef Seddik, qui devait signer un livre pour enfants sur l’Islam. Arrivés à la librairie Mille Feuilles, à la Marsa, ils se sont vu expliquer que la séance n’aurait pas lieu, l’auteur étant grippé. En fait, la séance avait été tout simplement interdite, l’interdiction ayant été signifiée au libraire par le Délégué de la Marsa.

Ce qui est encore plus curieux, c’est que M. Youssef Seddik a participé, le 10 et le 19 novembre, à deux séances de signature à la librairie Clairefontaine, la première pour le livre pour enfants, la seconde pour un livre sur l’économie : toutes les deux se sont déroulées le plus normalement du monde !

Alors ? Comprenne qui pourra ! Ce qui est clair, toutefois, c’est que la littérature est, chez nous, bien… gardée (au moins à la Marsa).

vendredi 21 novembre 2008

Le projet de budget économique pour l’année 2009 : imprudent !

Le projet de budget économique pour l’année 2009 a été récemment adressé aux membres du Conseil Economique et Social et sera examiné bientôt par la Chambre des Députés. Il contient les estimations des résultats économiques et financiers de l’année 2008 et les prévisions macro-financières pour l’année 2009. Sur ces bases, sera élaboré le Budget de l’Etat de l’année à venir.

Les estimations pour 2008 font ressortir un taux de croissance du PIB de 5,1 pour cent et les prévisions pour 2009 tablent sur un taux de 6,0 pour cent.

Il est de bon ton pour tout gouvernement d’afficher des prévisions ambitieuses pour maintenir un « état d’optimisme ». Car, en économie comme dans de nombreuses autres sciences, la psychologie des acteurs joue un rôle parfois déterminant. John Maynard Keynes a fait du thème des anticipations des agents un thème central et, depuis les années soixante-dix, des écoles de pensée se sont constituées autour de cette question.

La question qui est posée dans le cas du projet de budget 2009 est celle de son degré de réalisme. En effet, sur les 22 dernières années, ce taux de 6 pour cent n’a été atteint qu’une fois sur quatre et la moyenne annuelle n’a été que de 4,7 pour cent. Si ce taux de 6 pour cent venait à se réaliser, la moyenne annuelle des quatre années 2006-2009 serait de 5,7 pour cent, un taux moyen atteint une seule fois lors d’une quadriennie (entre 1996 et 1999).

C’est donc dire qu’il y a, toutes choses égales par ailleurs -comme à se plaisent à le dire les économistes- une probabilité assez faible qu’un tel taux se réalise. Or, on n’est pas dans une situation où « toutes les choses sont égales par ailleurs », mais où l’environnement mondial est caractérisé par un ralentissement généralisé et sans précédent depuis la crise des années trente du 20e siècle. Un environnement exerçant une forte influence car l’économie tunisienne est une économie très ouverte.

Ce n’est pas seulement le taux de croissance projeté qui semble pêcher par excès d’optimisme, mais le taux d’investissement (un record de 26,2 pour cent, qui n’a plus été réalisé depuis quinze ans, à l’exception de 2001 où il a à peine frôlé ce niveau) et, surtout les comptes extérieurs. Des investissements directs étrangers (IDE) atteignant un montant de 3,0 milliards de dinars (dont 1,8 milliard dans l’énergie expliqué par « l’accroissement continu des cours internationaux » alors qu’on assiste à leur effondrement depuis deux mois) ; des prêts publics et privés atteignant 2 milliards de dinars alors qu’on assiste à une tension sur les ressources financières internationales. Sans compter, bien sûr, une augmentation projetée des recettes d’exportations de biens et de services de 12,9 pour cent à prix courants et de 5,7 pour cent à prix constants (contre 3,6 pour cent en 2008). Les exportations de phosphates et dérivés atteindraient ainsi 4,5 milliards de dinars contre 3,8 milliards en 2008 et 1,9 en 2007, celles des industries mécaniques et électriques 7,2 milliards contre 6,3 milliards en 2008 et 5,3 milliards en 2007, les recettes touristiques atteindraient 3,6 milliards contre 3,3 milliards de dinars en 2008 et 3,1 milliards en 2007 et, enfin les transferts effectués par les Tunisiens résidant à l’étranger atteindraient 2,7 milliards contre 2,4 milliards en 2008 et 2,2 milliards en 2007.

Le seul énoncé de ces chiffres montre combien les projections sont fragiles, pour ne pas dire irréalistes par rapport à la conjoncture mondiale. Le problème n’est pas celui d’une simple mauvaise appréciation ou d’un simple mauvais jugement ; le problème est que le pays risque d’être confronté à une fragilisation financière aux graves conséquences économiques et sociales.

Ces commentaires peuvent paraître alarmistes. Et ils le sont peut-être. Ce qu’ils mettent en exergue, c’est la nécessité, par les temps incertains d’aujourd’hui, de déployer d’autres scénarios et d’en tirer les conséquences, toutes les conséquences. Parmi ces derniers, il ne serait nullement saugrenu d’en tester un fondé sur : un taux de croissance du PIB de 3-4 pour cent, une stabilisation des exportations de biens et de services, des IDE et des prêts extérieurs moins importants.

Mahmoud Ben Romdhane

lundi 17 novembre 2008

La 22ème édition des JCC : coupes transversales


En dépit d’un palmarès plutôt frileux et consensuel, cette 22ème édition des JCC a été riche en enseignements. Nous aborderons deux aspects qui nous ont le plus interpellé : Les promesses d’une vitalité retrouvée de la fiction arabe et les prémisses de renouveau du cinéma tunisien à travers l’effervescence du court-métrage.

Que Teza soit, pour les uns un chef-d’œuvre absolu, pour d’autres (dont nous faisons partie) un film ampoulé et pesant, c’est affaire de goût et de sensibilité et un festival n’est pas réductible aux films primés.

Ce qui est rassurant, c’est que les JCC nous ont permis de découvrir des films fragiles, à très petits budgets, parfois inaboutis qui ont cette audace que l’on croyait perdue à jamais de s’émanciper de la tutelle paralysante des pères, pour faire du cinéma autrement.

Ibrahim Battout avec Ein Chams et Chadi Zineddine avec Falling from earth sont représentatifs de ce vent de renouveau qui souffle sur le cinéma arabe. Ein Chams est une méditation sur l’Egypte d’aujourd’hui à travers une galerie de personnages touchants de sincérité. Par le biais d’un scénario partiellement déconstruit et d’une esthétique proche du documentaire, Ibrahim Battout trouve la tonalité juste pour nous immerger dans l’Egypte d’en bas sans sensiblerie ni misérabilisme. Si on marche, c’est que ce film a su nous ménager un espace en tant que spectateur dans un film délibérément troué et ouvert. C’est dans ces béances du récit et de la forme qu’il puise sa force et qu’il se met en même temps en péril. Et c’est tant mieux pour son cinéma qui en sort ennobli. Ein Shams a été fait contre le système sans autorisations, ni moyens, un film de contrebande qui lui a valu l’excommunication des gens de la profession. Il est la preuve que le désir de cinéma prime les obstacles de différents ordres.

Chadi Zineddine, avec Falling from earth, entreprend une réflexion sur la mémoire de la guerre dans une ville de Beyrouth dévastée. Trois photos accrochées sur un mur parmi des dizaines d’autres au milieu d’un no man’s land occupé par un vieux monsieur, gardien de la mémoire, constitueront le point de départ au déploiement de trois histoires qui couvrent le passé proche d’un pays dont tous les malheurs sont imputables à sa géographie. La radicalité du film est à rechercher dans son minimalisme et sa manière de raconter et de mettre en scène proches de l’expérimentation. Les traumatismes du passé sont réduits à des gestes et à des expressions lisibles sur des visages, à des trajectoires hiératiques de personnages mutiques.

Si ces deux films nous interpellent c’est qu’ils osent questionner les formes de représentation établies dans le cinéma arabe et explorent de nouvelles voies pour l’écriture cinématographique en se démarquant du ronron du naturalisme dominant dans nos contrées.

Avec deux prix obtenus par deux jeunes réalisateurs issus de l’ISAMM (respectivement le deuxième prix de la compétition vidéo pour Mémoire d’une femme de Lassaad Oueslati et le Tanit d’argent du court métrage pour Lazhar de Bahri Ben Ahmed), le cinéma tunisien se doit d’être repensé en fonction de cette nouvelle donne. L’arrivée sur le marché de nouveaux talents animés d’un désir impérieux de faire des films à n’importe quel prix. La démocratisation des moyens de production rend possible aujourd’hui la réalisation de projets (aussi bien dans le court-métrage que dans le documentaire) avec des budgets très réduits. Ce cinéma libre, affranchi de toute tutelle est porteur d’un vent de renouveau. Lazhar, Mémoire d’une femme, Silence de Karim Souaki ou le projet de Mohamed Ali Nahdi sont des films à très petits budgets dont les qualités augurent de lendemains meilleurs pour le cinéma tunisien. Ils ne sont pas les seuls, du côté des courts subventionnés, les films de Malik Amara, Sami el Haj, Mohamed Ajbouni, Nadia Touijer, Nasreddine Esshili ou encore Ghanem Ghawar et Mourad Ben Cheikh sont la preuve que quelque chose est en train de bouger dans le cinéma tunisien à condition que l’on y soit attentif.

Le court-métrage et le documentaire sont aujourd’hui les lieux où est en train de se dessiner l’avenir du cinéma sous nos cieux, le long-métrage à de rares exceptions étant enferré dans une crise de créativité dont on a désespéré de voir l’issue. Espérons que ces genres fragiles et minoritaires bénéficieront de l’écoute et de l’encouragement qu’ils méritent.

Ikbel Zalila

samedi 15 novembre 2008

Thalathoun : aux origines de notre modernité

Le film Thalathoun, de Fadhel Jaziri, est l’occasion, pour beaucoup d’entre nous, de découvrir une période clé de notre histoire récente. En effet, les années trente du siècle dernier ont été, en Tunisie, une période d’effervescence qui a vu se développer, aux côtés d’un incontestable dynamisme intellectuel, l’éveil des Tunisiens à la conscience syndicale et politique et, d’une façon plus générale, à la modernité.

Le film nous présente, ainsi, une galerie de personnalités d’exception dont l’œuvre et l’action ont participé à façonner les principaux traits de la Tunisie indépendante et, donc, d’une certaine manière, de notre présent. Parmi les principaux protagonistes de l’époque, il choisit de s’intéresser à un trio d’amis inséparables : Aboulkacem Chebbi, le poète, Ali Douagi, l’écrivain et nouvelliste, et Tahar Haddad, le penseur de l’émancipation des travailleurs et des femmes. C’est ce dernier qui est la figure centrale du film en tant qu’acteur et/ou témoin privilégié des principaux épisodes intellectuels, syndicaux et politiques de cette période – de la fondation de la Confédération Générale Tunisienne du Travail avec Mohamed Ali Hammi à l’accueil fait à imra’atouna fi ech-charîaa wal mojtamaa en passant par le congrès eucharistique de Tunis et les événements du Jellaz.

Et c’est avec un œil bienveillant et complice que le réalisateur filme les aventures du poète, de l’écrivain et, surtout, du penseur, montrant par ce choix qu’il accorde plus d’importance, dans son approche de cette «période matrice», au rôle joué par les artistes et les intellectuels qu’à celui – pourtant important – joué par les politiques, aussi habiles fussent-ils. Et les politiques ne sont pas, il est vrai, présentés sous leur plus beau jour. C’est surtout le cas de Mouhieddine Klibi qui est, dans le film, de tous les combats d’arrière-garde et qui apparaît, ainsi, comme le chantre du conservatisme. Son image en sort fortement écornée. C’est le cas aussi, mais à un degré moindre, du jeune Habib Bourguiba présenté sous les traits du politicien opportuniste – «prêt à se salir les mains, s’il le faut» pour atteindre ses objectifs – et pragmatique – il ménage les sentiments religieux du peuple, pour mieux les utiliser.

Au contraire, A. Chebbi, poète génial fortement épris d’une jeune beauté russe, et A. Douagi, écrivain talentueux et ami fidèle, ressortent, eux, comme des personnalités sympathiques et attachantes. Hammi et Haddad, quant à eux, sont les plus admirables, eu égard au lourd tribut qu’ils ont payé pour défendre leurs convictions progressistes, l’un, face au colon, l’autre, face à une société réfractaire et hostile. Ces derniers apparaissent alors comme les vrais héros de cette époque fondatrice, les vrais héros de notre modernité.

C’est là que réside, à notre avis, un des grands mérites de ce film qui a d’incontestables vertus pédagogiques sur le lien entre notre pays (et donc notre identité) et la modernité. A l’heure où le repli identitaire fait percevoir les acquis de cette modernité comme des corps étrangers, à l’heure où ses conquêtes semblent menacées par certains courants conservateurs qui rêvent de prendre une revanche historique, ressusciter cette mémoire équivaut à ressusciter l’espoir.

Car cette terre qui, à un moment de son histoire, a enfanté une telle avant-garde capable de mener à bien des luttes et des combats bien improbables, devrait pouvoir abriter les héritiers à même d’apprécier ce legs et de le défendre. Le public, où les jeunes étaient nombreux, ne s’y est pas trompé, qui a fortement applaudi à la fin de la représentation. Le film a réussi à les toucher. De ce point de vue, Thalathoun est, aujourd’hui, une œuvre essentielle et salutaire !

Baccar Gherib

samedi 8 novembre 2008

Quand la pluralité fait irruption sur un plateau de télévision

Ceux et celles qui ont choisi de regarder l’émission fi dairat adhaw du 30 octobre dernier sur Hannibal TV ne l’ont sûrement pas regretté et ce, grâce à la présence sur le plateau d’une femme de principes décidée à ne pas s’en laisser compter ni à faire de la figuration.

Pourtant, le «débat» a été lancé sur un thème se prêtant bien a priori à l’unanimisme habituel et aux discours sentant bon l’autosatisfaction, puisqu’il s’agissait de commenter la dernière loi relative à la disposition du domicile conjugal par la mère divorcée. Et c’est dans ce registre que les invités de l’émission, surtout les deux représentantes de l’UNFT, entendaient mener la discussion.

C’était compter sans Mme Mongia Zbidi, militante syndicaliste et féministe connue, qui, dès sa première intervention, détona clairement. Car, contrairement à celles qui l’ont précédée, elle n’a pas affiché «satisfaction et fierté par rapport à cette loi avant-gardiste, résultat d’une politique sage et clairvoyante». Elle s’en tint plutôt à une approche critique.

Mais ce n’était là qu’un début! Car Mme Zbidi allait mettre les pieds dans le plat en évoquant les associations féministes qui font un travail formidable sur le terrain et qui montrent un dévouement exemplaire pour la cause des femmes tunisiennes. Puis, prenant son courage à deux mains – car elle s’apprêtait à enfreindre une loi non écrite de nos médias audiovisuels – elle nomma clairement l’ATFD et l’AFTURD et regretta leur absence sur le plateau.

Complètement désemparée, la représentante de l’UNFT lance timidement: «Mais elles ne sont pas exclues, nous les associons souvent… nous utilisons leurs rapports!». Drôle de conception de l’association et de la pluralité! Et, dans ce pays, elle ne semble pas être l’apanage de l’UNFT…

En tout cas, Bravo Mme Zbidi pour avoir ouvert cette brèche dans le mur de l’unanimisme, l’autosatisfaction et l’exclusion télévisuels et merci Hannibal TV d’avoir invité Mme Zbidi et de continuer à transmettre cette émission… en direct !! Pourvu que ça dure…

I. K.