samedi 24 janvier 2009

Il y a trente ans mourait Saïd Gagui, martyr de la lutte pour l’autonomie de l’UGTT

Contre l’oubli, pour la sauvegarde de notre mémoire nationale et pour que les nouvelles générations soient édifiées sur les luttes du passé, nous publions ci-dessous le témoignage de Saïd Gagui, Secrétaire Général de la Fédération Nationale des Travailleurs des secteurs de l’alimentation et du tourisme, concernant les douloureux événements de janvier 1978. Ce témoignage est contenu dans la lettre* qu’il a envoyée à différentes organisations syndicales et au Directeur Général du BIT, le 31 décembre 1978… neuf jours avant sa mort.

Attariq Aljadid


«A l’occasion de la réunion de la commission syndicale de l’OIT, je tiens à apporter par écrit un témoignage sur les tortures physiques et morales que j’ai moi-même subies dans les locaux de la DST, sur les conditions de détention qui étaient à l’origine de la détérioration de mon état de santé depuis les premières semaines de mon arrestation, et sur les véritables responsables du massacre du 26 janvier.
C’est à la suite de déclarations faites par les responsables du Gouvernement au plus haut niveau, niant l’existence de tortures en Tunisie, et prétendant que les Droits de l’Homme et la dignité humaine y sont respectés, et malgré les souffrances que je continue d’endurer après ma mise en «liberté provisoire» et ma condamnation par une cour de sûreté de l’Etat qui ne m’a même pas entendu, que j’ai décidé d’apporter le démenti le plus catégorique aux allégations du pouvoir.

Secrétaire Général de la Fédération Nationale des Travailleurs des secteurs de l’alimentation et du tourisme depuis 1970, j’ai été arrêté avec près de 200 camarades militants et responsables syndicaux le vendredi 27 janvier 1978 vers 1 heure du matin, au siège de l’UGTT à Tunis où nous étions assiégés par des forces de police considérables depuis le 25 janvier – c’est-à-dire avant la grève d’avertissement du 26, et sans que le prétexte de troubles dans la rue puisse être évoqué contre nous.

Pendant toute cette période de séquestration, nous étions privés de toute nourriture, de tout contact avec l’extérieur, même le téléphone ayant été coupé ; je tiens ici à affirmer ma conviction que si nous n’avions pas été ainsi neutralisés, nous aurions été en mesure d’assurer nos responsabilités dans la préparation de la grève dans le calme et la discipline, conformément aux directives de la direction de l’UGTT et du camarade Habib Achour.

Aujourd’hui, je suis fermement convaincu que le but de notre séquestration était précisément de nous empêcher par tous les moyens de jouer notre rôle et de faire face aux provocations qui étaient délibérément préparées et qui visaient à créer des troubles le 26 janvier, pour essayer de masquer la réussite de la grève, pour rendre l’UGTT responsable des violences, et briser le mouvement syndical.

Au moment de notre arrestation, la nuit du 26 au 27 janvier dans les locaux de l’UGTT, les forces de police étaient particulièrement brutales et hargneuses envers nous. Nous avons alors été pour la plupart enfermés dans des cellules humides, froides et sans aucune aération, dans lesquelles nous avons été maintenus pendant plusieurs semaines avant d’être transférés à la prison civile de Tunis, à la fin du mois de mars 1978.

Au cours de cette période, j’ai subi plusieurs interrogatoires qui duraient souvent plusieurs heures d’affilée, et se déroulaient dans des conditions particulièrement brutales, dégradantes et inhumaines. On me mettait à nu, parfois à même le sol, on me maintenait pieds et poings liés, suspendu à un bâton posé entre deux tables et qu’on me faisait passer entre les bras et les genoux. Dans cette position, j’étais battu longuement sur la plante des pieds avec un bâton en bois. Lorsque mes pieds s’enflaient, on me versait de l’eau froide dessus.

Cette opération, appelée «balançoire» ou «poulet rôti», durait parfois plusieurs heures. On me menaçait avec des fils électriques branchés et des cigarettes allumées, sans parler des humiliations constantes et du langage ordurier. On me faisait subir tous ces traitements alors que j’étais affaibli par les conditions de détention, le manque de sommeil et la sous-alimentation. Ces tortures étaient dirigées et exécutées par plusieurs policiers en civil (…). Ils cherchaient à me faire «avouer» des faits qui n’ont jamais existé (Dépôt d’armes à l’UGTT, instructions de Habib Achour concernant l’utilisation de ces armes etc…).

En conclusion, je voudrais insister sur ce qui suit :

1) Ce n’est que quand les autorités ont constaté que mon état de santé était devenu critique, que j’ai été mis en liberté provisoire. J’ai d’ailleurs refusé cette liberté que je n’ai pas demandée estimant que ma place était aux côtés des camarades arrêtés depuis le 26 janvier, et que cette libération doit s’étendre à tous, collectivement.
2) Aujourd’hui, c’est la classe ouvrière et son organisation syndicale, l’UGTT, c’est le mouvement syndical dans son ensemble, qui sont frappés. Ceux sont les véritables patriotes, ceux qui ont tout sacrifié pour libérer la patrie, qui ont lutté pour l’indépendance et la dignité nationales, qui sont aujourd’hui, poursuivis, arrêtés et torturés. Mais, soutenu par les travailleurs, par toutes les forces vives du pays, par la solidarité internationale des travailleurs, le mouvement syndical saura reconstituer ses forces par la renaissance d’une UGTT autonome et puissante au service de la classe ouvrière du pays.
3) J’exprime ma solidarité avec le camarade Habib Achour, avec tous les camarades détenus, avec les autres membres de la commission administrative légitime, avec tous les cadres et militants syndicaux qui assument aujourd’hui la responsabilité de la continuité du mouvement. »

Tunis, le 31 décembre 1978

Signé : Saïd Gagui

* Cette lettre a été publiée dans le journal L’Humanité du 1er janvier 1979. On en trouve une copie dans les mémoires de Habib Achour, Ma vie politique et syndicale ; enthousiasme et déceptions. 1944-1981, Alif, 1989, pp 232-236.

vendredi 16 janvier 2009

Cherche opinion publique désespérément


C’est devenu un phénomène récurrent : 2003, 2006 et 2009. L’Irak, le Liban, Gaza… On voit les mêmes images. On ressent la même impuissance et la même rage. On exprime la même colère contre les dirigeants arabes. On crie les mêmes slogans sur leur trahison ou leur vassalité. On écoute les mêmes hymnes à la résistance, les mêmes chansons de Feïrouz ou de Marcel…

On n’échappe pas à un sentiment de déjà-vu, déjà lu, déjà entendu… Et personne ne se demande pourquoi, d’une année à l’autre, d’une guerre à l’autre, d’une injustice à l’autre, d’une humiliation à l’autre, rien ne change. Le même mauvais scénario se reproduit, immuable !

Face à la tragédie de Gaza, face à des images insupportables, face au sacrifice de l’innocence, on ressent tout d’un coup le besoin de quitter son fauteuil, de condamner, de crier sa colère et de… manifester, comme on le voit faire par tous les peuples de la planète ! Sauf que, malheureusement, on ne s’improvise pas citoyen ! Pas plus qu’on ne se constitue en opinion publique par un simple coup de baguette magique !

Ceux qui ont eu le courage de défiler, le 1er janvier dernier, sous la bannière de l’opposition, ont ressenti physiquement à quel point cet exercice était improbable sous nos cieux. Isolés à l’arrière du cortège, filmés par la police politique sous toutes les coutures tels des suspects, insultés et, à la fin, rudoyés et bousculés, ils ont payé cash le tribut local du droit à manifester. Idem pour les syndicalistes de Gafsa et d’autres régions.

Il n’est pas possible dans de telles conditions d’exprimer une quelconque opinion ni de faire parvenir une quelconque voix. Les jeunes qui, à l’entrée des stades, se sont vu confisquer leurs Keffiehs en savent, désormais eux aussi, quelque chose.

Il devient dès lors évident qu’on ne peut pas vivre une citoyenneté par intermittence ni produire une opinion publique à l’occasion des grandes crises seulement. Il s’agit là de combats à mener inlassablement, au quotidien, et qui exigent que l’on quitte son fauteuil – et ses pantoufles – pour des questions, certes moins dramatiques que le sort fait aux civils de Gaza, mais sans doute tout aussi importantes. Car, en se mobilisant pour elles, on peut produire l’opinion publique qui fera en sorte, entre autres, qu’il n’y ait plus un tel décalage entre la position officielle arabe et celle de la rue. C’est peut-être la principale leçon politique à tirer des effets, sur le plan local, des récents événements.

Il est à noter, cependant, que, par leur nombre, leur diversité et leur qualité, les manifestations de soutien à Gaza qui ont eu lieu un peu partout dans le pays augurent peut-être d’une renaissance du sens civique des Tunisiens et de leur engagement politique. La grève générale décrétée par l’Union régionale du travail de Gafsa pour défendre son droit à manifester est, à cet égard, un signal qui ne devrait pas être négligé.

Le soutien à Gaza pourrait, de ce point de vue, avoir pour «effet collatéral» d’enregistrer des progrès dans l’exercice de leur citoyenneté par les Tunisiens. Ce ne serait pas la première fois qu’on assiste dans les phénomènes sociaux et politiques à une «ruse de la raison».

Baccar Gherib

lundi 12 janvier 2009

Décès de Samuel Huntington. Le choc des civilisations : une vieille vision pour une nouvelle étape

Le 24 décembre dernier est mort Samuel Huntington, l’auteur de la célèbre et désormais incontournable théorie du «choc des civilisations», car elle structure depuis plus d’une dizaine d’années un grand nombre des analyses des relations internationales, de la géopolitique et des conflits internationaux (armés ou non). Il est dès lors intéressant d’interroger cette théorie et, surtout, de la mettre dans son contexte historique afin de mieux souligner le rôle qu’elle a pu (et peut encore) jouer en dotant l’Occident d’une nouvelle perception de lui-même et, surtout, en fournissant la vision du monde idoine au nouveau rôle des Etats-Unis dans le monde de l’après guerre froide.

La séquence Fukuyama – Huntington : un ajustement de la vision américaine du monde après la chute du mur
Il est remarquable que les deux plus importantes contributions livrant une nouvelle vision du monde et des rapports entre les nations, après la guerre froide, aient été publiés dans la revue Foreign Affairs: le premier, celui de Francis Fukuyama, en 1991; le deuxième, celui de Samuel Huntington, en 1994.

Ainsi, l’article (puis le livre) de Fukuyama sur la fin de l’histoire peut être considéré comme une prise en compte de la «victoire» du système capitaliste libéral dans la guerre froide. La fin de l’histoire, dans ce sens, signifie qu’il ne peut y avoir de modèles, en politique, autres que la démocratie parlementaire, et, en économie, autres que l’économie de marché. Ainsi, et contrairement à la prophétie marxiste, notamment, démocratie et économie de marché forment l’horizon indépassable de l’humanité. L’histoire est finie, il n’y a plus rien de nouveau à inventer.
C’est le temps de la victoire, avons-nous dit, et la notion de fin de l’histoire l’illustre à la perfection. Sauf que, dans sa bonne conscience et son optimisme foncier, la vision de Fukuyama péchait par une évidente naïveté. Par son aspect tout à fait apaisé, elle prive, en effet, les Etats-Unis d’un quelconque rôle, de toute perspective d’action. Plus précisément, en privant la Grande Puissance de l’idée d’un nouveau conflit, d’un nouvel ennemi, elle la prive tout simplement d’une logique d’intervention dans le monde.

Or, les observateurs les plus perspicaces et les plus avisés ont commencé, dès 1991, et à l’occasion de la guerre contre l’Irak – tout bonnement impensable au temps de la guerre froide, mais qui cadrait encore un peu avec la vision de Fukuyama en tant que «libération du Koweït» – à s’élever pour dire qu’au conflit entre l’Est et l’Ouest, allait se substituer le conflit entre le Nord et le Sud. Les raisons avancées pour rendre compte de ce nouveau conflit sont, toutefois, strictement économiques et relatives à l’inégale répartition des richesses; à savoir que 20% de la population de la planète (le Nord) jouit de 80% de ses richesses, tandis que 80% de la population (le Sud) ne dispose que des 20% restants. Par ailleurs, le cinéma américain a commencé, très tôt, à s’adapter à la nouvelle donne, en donnant naissance, dans ses films, à la figure inquiétante du terroriste – indistinctement arabe ou musulman – qui remplaça ainsi l’espion ou les missiles soviétiques, comme figure inquiétante du mal! Et c’est plutôt dans ce sillage que va se situer l’apport de Huntington.

Le «choc des civilisations» et le nouvel agenda des Etats-Unis
Ramenée à ses traits essentiels, la thèse de Huntington stipule qu’il n’y a plus désormais de conflits entre nations ni entre systèmes idéologiques, mais plutôt entre civilisations et, plus précisément, entre la civilisation occidentale (judéo-chrétienne) et la civilisation orientale (musulmane) qu’opposerait ainsi un antagonisme foncier. Remettant ainsi au goût du jour une vision que l’on croyait enterrée avec l’orientalisme du 19ème siècle, magistralement analysé, entre autres, par Edward Saïd.

Plusieurs conflits contemporains seront alors perçus sous cet angle: de la guerre en Irak et en Afghanistan au conflit israélo-arabe en passant par le conflit au Soudan, la question de l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne, le problème des banlieues et de la laïcité en France et, bien sûr, plusieurs attentats terroristes dont celui qui a le plus frappé les esprits et qui a été attribué à Alqaida du 11 septembre 2001.

De ce point de vue, l’évocation par le président américain G. W. Bush de la notion de «croisades modernes», au lendemain de l’attaque des Twin Towers, ne relève pas du simple lapsus malheureux. Elle représente, sous une forme imparfaite et grossière, la théorie du choc des civilisations que l’administration néo-conservatrice de Washington ne pouvait certes pas prendre officiellement à son compte, mais qui s’est affirmée néanmoins sous la forme de la «lutte contre le terrorisme» comme la nouvelle vision du monde justifiant, d’une manière nouvelle, l’intervention – armée – des Etats-Unis dans différents coins de la planète.

Le succès de la thèse de Huntington s’expliquerait ainsi non pas par ses qualités scientifiques, c’est-à-dire sa capacité à rendre compte des évolutions historiques contemporaines, mais par sa pertinence politique et idéologique, c’est-à-dire sa capacité à restituer une bipolarité perdue, à donner une nouvelle vision conflictuelle du monde où les deux adversaires sont clairement identifiés. Ce qui justifie un nouvel agenda diplomatique et militaire pour la Grande puissance.

Hélas, cette vision du monde a trouvé, de l’autre côté de l’opposition huntingtonienne, d’autres preneurs que les néo-conservateurs de la Maison Blanche: à savoir tous les tenants du repli identitaire, de la spécificité, de la séparation irréductible entre les deux civilisations (chrétienne et musulmane) et, surtout, de la poursuite des «croisades» et autres guerres de «conquête». Cette vision ne cesse, en effet, d’alimenter, chez nous, analyses et réflexions justifiant, au passage, le scepticisme à l’égard de valeurs telles que la démocratie, les droits de l’homme, l’émancipation de la femme, etc., voire leur rejet pur et simple.

Or, et comme l’a souligné Hichem Djaït dans sa Crise de la Culture Islamique, la thèse d’un choc des civilisations ne tient pas la route au moins pour deux raisons. D’abord, parce que, en toute rigueur, il n’est plus possible de parler aujourd’hui de civilisation (chrétienne ou islamique) comme des entités vivantes et dynamiques. Ensuite, parce que, pour parler de choc ou de conflit, il faudrait que les adversaires soient de force comparable. Ce qui est loin d’être le cas: le monde musulman est, hélas, loin de pouvoir rivaliser avec son prétendu adversaire. Bref, comme théorie de l’histoire, la thèse de Huntington ne vaut peut-être pas grand-chose. Mais comme vision du monde, elle tape dans le mille; elle joue son rôle idéologique à la perfection.

Baccar Gherib

dimanche 11 janvier 2009

Ridicule

Le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (Crif) ne manque vraiment pas de culot. Il a appelé à une manifestation de soutien à «l’action d’auto-défense d’Israël» contre les «terroristes du Hamas». Le 4 janvier 2009, il n’y avait pas grand monde à la manifestation.

Même les habituels inconditionnels de la politique israélienne n’ont pas daigné s’y afficher. Enrico Macias, Serge Klarsfeld étaient bien esseulés dans le cortège aux côtés de grand rabbin de France. Sur les rares banderoles, nous pouvons lire par exemple «qu’Israël exerce son droit de légitime défense et mène une action militaire proportionnée à la menace» du Hamas. Ou encore «le Hamas constitue un danger vital permanent pour Israël et ses citoyens».


Ces slogans dont le Crif se gargarise appellent de notre part plusieurs commentaires.
  1. Ils viennent confirmer ce que nous savions déjà à savoir que le Crif, organisme français, opérant sur le sol français et financé en grande partie par l’argent du contribuable français, est en fait une annexe de l’ambassade d’Israël, une officine de l’Etat hébreu. Il est constitué d’apparatchiks communautaristes qui se sont autoproclamés représentatifs des juifs de France. Malheureusement, ceux-ci sont souvent courtisés par les hommes politiques de tous bords afin de récupérer les miettes d’un hypothétique «vote juif».
  2. L’opération de destruction systématique de Gaza par l’armée israélienne a porté un coup dur à l’image d’Israël. Le Crif s’affole et réagit de façon répugnante pour tenter de justifier l’injustifiable. Manifestement, même les journalistes amis du Crif se sont abstenus cette fois-ci de cautionner ce tissu d’absurdités et de couvrir l’événement. Et pour cause, la couleuvre est difficile à avaler.
  3. Sur le fond, cette attitude relève d’une totale malhonnêteté. Le Crif insulte l’intelligence des français qu’il prend pour des imbéciles. En effet, que l’on puisse encore, après les massacres perpétrés de sang froid à Gaza, qualifier Israël de pays agressé, dépasse l’entendement et frise le ridicule.
Heureusement que celui-ci (le ridicule) ne tue pas.

Dr Salem Sahli - Hammamet

samedi 10 janvier 2009

De Gaza à Gafsa

Gaza brûle. J’ai encore plus froid. Ce que je vois à la télévision me paraît plus vrai que ce que j’ai vécu et vu à Gafsa. Et Dieu sait si j’ai vu des choses à Gafsa. Gafsa était loin des médias ; maintenant, elle s’éloigne davantage de moi. J’ai les larmes aux yeux et je n’arrive pas à pleurer.

La police - on se croirait à Ramallah et pas chez nous - nous a empêchés de descendre dans la rue, passé un jeune manifestant à tabac, injurié tout le monde hommes et femmes ; ils veulent la sécurité en terrorisant des citoyens embarqués spontanément dans une manifestation pacifique. Le moindre lapsus, Gafsa au lieu de Gaza, ferait tout basculer. Qui sait ?

Des centaines de morts. Un carnage. On sacrifie Gaza. On continue de gloser sur la responsabilité du Hamas et la lâcheté des gouvernements arabes. Et comme au Moyen Age, on a peur de nommer le diable pour ne pas réveiller les forces du mal. Mieux vaut l’exorciser dans le silence. Balivernes.

Nous ne sommes pas antisémites. L’Occident en sait beaucoup plus que nous. Ma mère pleure encore Judith, sa meilleure amie d’enfance. Sur fond de mauvaise conscience refoulée et de fascisme déguisé par la diplomatie, l’Occident continue son monologue et affiche merveilleusement son arrogance ?

Je n’ai jamais partagé les idées du Hamas, ni celles du Hezbollah ; mais je ne les ai jamais haïs, ni considérés comme terroristes. Cheikh Yacine Ramadan n’est pas un terroriste, Hassan Nasrallah n’est pas un terroriste. J’ai toujours salué l’esprit de résistance qu’ils nous ont toujours insufflé tout en continuant de m’opposer à leurs projets de société. L’Occident prétend nous donner des leçons de démocratie et s’acharne aveuglément à nous coller des préjugés racistes et fascistes. Cet antagonisme - nullement schizophrénique parce que calculé - me tue. Pourtant, nous n’avons jamais cessé de rêver de l’Occident. Nous sommes voués à l’amour.

Aujourd’hui, les Israéliens poussent les Palestiniens à la folie. C’est leur acharnement sanguinaire et la complicité lâche de l’Occident qui nourrissent le fanatisme et la haine que leur vouent ce qu’ils se plaisent à nommer « des terroristes ».

On nous a volé nos rêves ; nos fêtes se font dans le deuil. C’est la complicité de L’Occident et le silence de Dieu qui font notre tragédie. Ce qui se passe à Gafsa - lapsus oblige - est aussi tragique. Le 11 septembre dernier, des peines de prison arbitraires et aberrantes vont jusqu’à 10 ans de prison ferme. Adnan Haji a été incarcéré parce qu’il a agi en homme libre. Vous le savez.

En Tunisie, les anciens d’Afghanistan et les anciens d’Irak se comptent par centaines. Tout le monde le sait aussi, bien que tabou. La tragédie de Gafsa ranime et ravive les blessures. Vous poussez les gens à la folie et c’est nous tous qui brûlerons. Les esprits sont en feu. Les effets de serre ne sont que le reflet pâle de l’étouffement qui menace les libertés.

Tahar Youssef

dimanche 4 janvier 2009

Manifester pour Gaza : le long combat pour la citoyenneté

Internet en général et le réseau social Facebook en particulier représentent sans aucun doute une nouvelle donne pour le débat, la diffusion des idées et, surtout, l'action collective, notamment les manifestations. Car il devient très facile, grâce à ce réseau, de s'entendre entre des centaines voire des milliers d' "amis" sur le lieu et l'heure d'une manifestation en vue de défendre une cause donnée, comme on l'a vu un peu partout dans le monde. Et, comme prévu, la tragédie vécue par les civils palestiniens à Gaza a suscité sur le Facebook tunisien un formidable élan de sympathie et de solidarité et a fini par déboucher à Tunis, lundi et mardi derniers, sur deux manifestations (mort-nées) pour Gaza.

Au-delà de l'intérêt que revêt cette première, elle nous permet d'approfondir la réflexion sur le perception que les jeunes Tunisiens ont de l'engagement politique. Car il est évident qu'en Tunisie on ne manifeste pas!! Ou, plus précisément, et comme l'a si judicieusement souligné -Z-, le bloggeur censuré par l'ATI, la Tunisie est le seul pays du monde où l'on manifeste, non pas pour exprimer sa colère, mais au contraire pour manifester sa joie et sa fierté - comme ça a été le cas des manifestations de "reconnaissance" du printemps dernier à Gafsa et à Kasserine. Organiser une manifestation spontanée, dans ces conditions, relève de la gageure.

Sans doute, les promoteurs de cette initiative se sont-ils dits que manifester pour Gaza ne poserait aucun problème - entre autres aux autorités - étant donné l'unanimité dont jouit le soutien à la cause palestinienne parmi tous les Tunisiens. Mais il fallait peut-être avoir à l'esprit que ce n'est pas tellement la cause défendue par les aspirants manifestants qui risque de déranger que l'exercice du droit à manifester en lui-même.

Ainsi, ce n'est pas parce que l'objet de la colère n'est pas la politique interne - la question du bassin minier, par exemple - que l'acte de manifester irait de soi. Mieux encore, c'est le pouvoir de manifester sa colère en rapport avec les affaires internes qui donne plus de portée et de crédit à un engagement en faveur de la cause palestinienne.

Autrement dit, on risque d'être difficilement audible au delà des frontières si on ne l'est pas à l'intérieur, comme on ne risque pas d'être un citoyen du monde si on ne l'est pas chez soi... Ce qui explique d'ailleurs la colère récurrente des peuples arabes contre le "silence officiel arabe".

Pour conclure, Facebook est un excellent moyen pour diffuser l'information, susciter des débats et créer des synergies, mais le passage d'une mobilisation virtuelle à une autre dans la rue est sans doute plus difficile à réaliser qu'on ne le croit. Il n'en demeure pas moins que cette mobilisation représente un premier pas dans le long et difficile combat pour la citoyenneté.

Boubaker Jridi

vendredi 2 janvier 2009

"La police est dans la rue !!!"

"La manifestation du 1er janvier 2009 a été l'occasion pour beaucoup de jeunes et de moins jeunes, d'exprimer leur soutien à la population de Gaza et au peuple palestinien, et leur colère vis-à-vis de "l'Etat voyou" d'Israël et des massacres de la population civile.

En guise de compagnie, nous avons eu un nombre impressionnant d'hommes qui ne scandaient aucun slogan et ne portaient aucune banderole. Leurs chefs portaient des lunettes noires, d'autres, en costume cravate, avaient l'allure de jeunes premiers et puis il y avait le reste: ceux qui portaient des casquettes et des baskets, ou de gros ventres...

Notre cortège a quitté le local d'Ettajdid à 10h et la manifestation a duré exactement 2h. Tout au long du parcours, les gros ventres poussaient les manifestants, les costumes cravates les entouraient de toutes parts et, à midi tapante, les chefs ont lancé sur nous une drôle d'espèce: mi-homme mi-robot, les "BOP" ou les "ninja" qui ont frappé et cassé pour disperser les manifestants et - à leur manière - manifesté !!!"
Témoignage d'une manifestante lors de la manifestation nationale pour Gaza (1er janvier 2009)

jeudi 1 janvier 2009

Manifestation nationale contre les crimes de guerre israéliens : la Moubadara se distingue malgré la nervosité et l'agressivité des forces de l'ordre

Il était grand temps que soit organisée une manifestation nationale dénonçant les crimes de guerre perpétrés par l'armée israélienne contre le peuple palestinien. La marche qui a eu lieu aujourd'hui à Tunis a été une expression importante de la colère des Tunisiens contre les agresseurs bien qu'on eût souhaité qu'elle ait lieu en un jour et un lieu permettant la participation massive du peuple, et que la frilosité excessive et les préoccupations sécuritaires exagérées des autorités aient malheureusement imposé l'avenue Mohamed V et le matin du premier janvier !

C'est qu'il n'est pas facile de défiler à Tunis, même dans une "manifestation nationale"! Il était pourtant convenu que chaque partie organisatrice rejoigne le lieu de départ de la marche à partir de son propre local. Les militants et militantes d'Ettajdid et des autres composantes de la Moubadara (PSG, PTPD et indépendants) étaient donc au rendez-vous en grand nombre devant le local d'Ettajdid, fortement "encadrés" - déjà! - par de nombreux policiers en civil qui voulaient leur imposer de se déplacer par petits groupes de 3 à 5 personnes. Il a fallu batailler et négocier dur pour pouvoir traverser ensemble la rue Jean Jaurès, ce qui était déjà une manifestation réussie, avec en tête la banderole de la Moubadara et, dans les airs, le retentissement des slogans, des chants de résistance et des youyous.

Arrivés au point de départ de la manifestation, on s'est rendu compte que la police a choisi de placer (on ne sait pourquoi) les manifestants de la Moubadara à l'arrière du cortège. Cela n'a pas empêché les forces de l'opposition de gauche (auxquels se sont mêlés des syndicalistes avec les banderoles de l'UGTT) d'être encore plus visibles et plus compactes. Elles ont ainsi administré la preuve que la solidarité avec nos frères palestiniens est bien l'affaire de tous les Tunisiens et que nul ne peut la confisquer à son profit.

Cependant, "l'attention particulière" de la part des policiers dont a bénéficié le cortège de la Moubadara s'est concrétisée - à moins de cent mètres du point d'arrivée prévu! - par un traitement tout à fait hors de propos, fait de coups, de bousculades et d'agressions physiques et verbales d'autant plus arbitraires et irresponsables que les manifestants s'apprêtaient à se disperser dans le calme.

Une nervosité et une agressivité qui auraient pu avoir de fâcheuses conséquences sur la portée de cette manifestation de solidarité des Tunisiens avec le peuple palestinien...

Attariq Aljadid