lundi 16 août 2010

A un ami israélien de Régis Debray. Ou comment dire - gentiment - ses quatre vérités Israël

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Le dernier livre du philosophe Régis Debray ne devrait pas échapper à l’attention de toute personne s’intéressant au conflit du Proche-Orient. Il constitue à notre avis une véritable bouffée d’oxygène tant le propos est neuf, courageux et intelligent. Il s’avère désormais incontournable pour qui veut saisir les données mentales – poétiques selon les termes de l’auteur – du blocage du processus de paix dans la région.

«Peut-on critiquer Israël?», s’interrogeait, il y a quelque temps déjà, Pascal Boniface. La question ne manque pas de pertinence tant le climat intellectuel en France est peu propice à ce genre d’exercice périlleux. L’auteur en est conscient qui écrit dès les premières lignes: «Je suis sûr, en abordant cette rive bardée d’écueils, de me brouiller avec la moitié plus un de mes amis. Il se trouve simplement qu’un Gentil se sent les coudées plus franches avec un juif d’Israël...». Ce livre se veut en effet une réponse, dans un style épistolaire, aux idées développées par l’historien israélien Elie Barnavi dans Aujourd’hui ou peut-être jamais qui aborde les difficultés du processus de paix. Là est le prétexte. On ne peut s’empêcher de penser toutefois que la véritable motivation de l’écriture, Debray l’ait trouvée dans la récente guerre contre Gaza, avec le déchaînement d’une violence disproportionnée et le dévoilement de l’arrogance et du cynisme israéliens.

L’essence du message envoyé par Debray à Barnavi est que si le processus de paix est bloqué, c’est à cause d’Israël et uniquement lui. Et, partant, il ne sert à rien de s’attendre à une hypothétique solution venant des Etats-Unis et de leur homme providentiel: Obama. Si le statu quo perdure, c’est que Israël le veut. Ni l’Europe, paralysée par la mémoire de l’Holocauste, ni les Etats-Unis dont l’alliance avec son «frère aîné» est «consubstantielle, subliminale et sous-cutanée» ne peuvent faire plus: s’inquiéter, regretter ou s’indigner, mais jamais sanctionner les enfreintes au droit international et aux résolutions de l’ONU. Néanmoins, ce n’est pas le message en lui-même qui fait tout l’intérêt du livre. Loin de là. Car, tout au long de chapitres fort édifiants (du sionisme; de l’antisémitisme; de la Shoah, aujourd’hui; d’un danger d’autisme; du nouveau monde; des deux Israël), l’auteur, servi par une grande culture philosophique, politique et historique, met au jour les dérives et les abus dont est coupable Israël et démonte minutieusement tout l’édifice intellectuel qui permet son impunité ad vitam aeternam. Bref, il lui dit gentiment – il se présente comme philosioniste – ses quatre vérités!

Ainsi, au fil des pages, le lecteur découvre avec un grand plaisir intellectuel des analyses plus percutantes les unes que les autres: Le XXème siècle, nous dit Debray, est celui de la persistance des images rétiniennes qui a un effet pervers «Superposer le rescapé de 1945 au Robocop de 2010 nous fait admettre le camp de réfugiés d’aujourd’hui au nom des camps de concentration d’hier». Concernant, les cris récurrents sur le retournement de l’opinion et le retour en force de l’antisémitisme en France, il assène: c’est prendre vos désirs pour la réalité et rappelle que «La seule phobie, aujourd’hui enracinée en France ... stigmatise les minarets, non les synagogues». Mieux, il démontre que, aujourd’hui, Le juif français est le chouchou de la République.

Tout un chapitre est consacré à la «Shoah», sa présence et à son statut dans l’Europe contemporaine. Ici aussi, le propos est incisif: «la mémoire a ses assassins, écrit-il, elle a aussi ses envoûtés» et, plus loin, «La tragédie du Proche-Orient, c’est que la rue arabe est aveugle à la Shoah, tandis que la rue juive – la nôtre aussi – est aveuglée par la Shoah». Cependant, les liens avec l’Amérique dépassent la question de l’Holocauste. Ils sont beaucoup plus profonds. Ils relèvent de l’ordre mental, du rapport imaginaire au monde: les mêmes références à la Bible, la même quête de la Terre Promise, la même glorification du colon. Ce qui fait dire à Debray: «Vous êtes l’archétype et eux la copie ... L’Amérique, c’est un grand Israël qui a réussi. Israël est une petite Amérique qui est à la peine». On ne peut être impartial

quand il s’agit de son frère aîné... Mais Debray est beaucoup plus dur avec Israël quand il s’agit d’évoquer son arrogance et ses comportements d’enfant gâté. Ses analyses sont ici tirées aussi de ses expériences sur le terrain des humiliations quotidiennes que subissent, notamment aux check points, les Palestiniens et tous ceux qui n’ont pas l’heur de plaire aux «maîtres des lieux». Ainsi, assène-t-il à son ami historien: «Vous avez un problème avec l’Autre. Le vrai, pas celui, à majuscule, des colloques sur Lévinas. Le minuscule qu’on ne choisit pas, celui qui vous emmerde, mais qui est à côté». On le soupçonnait depuis longtemps: pour pouvoir dire la vérité sur le conflit du Proche- Orient, il faut de l’intelligence et du courage. Dans ce livre, Debray a fait preuve des deux. Toutes proportions gardées, de même que dans la période sombre du nazisme, il y eut des justes pour penser et agir, au péril de leurs vies, selon leur conscience, notre époque a elle aussi besoin de justes qui prennent le risque de dire certaines vérités à propos du Proche- Orient. Puissent-ils être plus nombreux et mieux écoutés...

Baccar Gherib (Attariq Aljadid, n°190)