Des élections ? Mais pour quoi faire ?
Dans les sociétés démocratiques, les élections constituent des moments fondateurs dans l’évolution de la vie politique et la conscience des citoyens. Elles sont l’occasion, pour les partis politiques de l’opposition, de confronter publiquement leurs programmes, de critiquer les choix gouvernementaux et de militer pour une alternance au pouvoir. Dans ce genre de société, l’Administration est tenue à la neutralité absolue ; les médias, tous confondus, sont astreints à couvrir les élections de la manière la plus équitable ; les institutions publiques veillent au respect scrupuleux des règles qui les régissent ; le vote du citoyen est sacro-saint, les opérations de dépouillement s’effectuent dans la transparence totale, et toute violation - ingérence de l’Administration, falsification, bourrage des urnes, favoritisme etc. - sont sévèrement sanctionnés; la règle électorale, les conditions de déroulement de la campagne et du scrutin, du dépouillement des bulletins, de l’annonce des résultats, de la supervision des élections, de l’accès aux médias…, sont fixées après consultation des partis et des composantes de la société. Elles deviennent même prétextes pour insuffler une pédagogie citoyenne en vue d’enraciner dans la population une culture démocratique de changement politique. En conséquence, les élections libres et démocratiques et l’alternance au pouvoir sont la garantie de la stabilité des institutions et la pérennité de la cohésion nationale, et le vote populaire librement exprimé et reconnu de tous est le fondement même de la légitimité du gouvernement.
Mais qu’en est-il dans notre pays ?
Depuis l’indépendance, les élections tendent à se muer en un (apparent) plébiscite pour le pouvoir en place. En effet, l’omnipotence d’un Etat-parti qui accapare les institutions publiques et l’Administration, qui édicte et régente, seul, les principes et la pratique censés organiser le déroulement des élections, qui pratique une confusion totale des rôles, en étant à la fois « juge » et partie active à ces élections…tout cela fait que les élections, chez nous, se transforment à chaque fois en une mise en scène où le spectacle qui se joue se réduit à un one man show. Les candidats de l’opposition indépendante - lorsqu’ils se présentent à ces élections- s’efforcent, tant bien que mal, de ne pas être de simples figurants et de ne pas servir de faire valoir.
Alors, que faire ?
Au vu des conditions défavorables qui entourent les prochaines élections, les arguments en faveur de l’abstention, voire du boycott, ne manquent pas. En même temps, une position aussi tranchée - dans un sens ou dans un autre !- ne serait pas d’une grande efficience, vu l’indifférence générale que les élections suscitent, cette fois-ci plus encore, probablement, que les fois précédentes, chez les citoyens. Par conséquent, il importe d’abord d’admettre qu’il serait illusoire de croire que l’objectif premier de ces élections, pour une formation de l’opposition indépendante, est de chercher à glaner le plus de « voix », à avoir le plus « d’élus », et à fortiori, à aspirer à supplanter le pouvoir actuel. Nous sommes encore loin des standards minimaux qui garantissent des élections libres ! Cependant, l’opposition peut saisir l’opportunité des élections et profiter des (très relatives) libertés de parole, de réunion etc. qu’offre la campagne électorale pour se faire connaître davantage des citoyens en diffusant ses programmes plus largement qu’elle ne peut le faire en temps ordinaire, c'est-à-dire en dehors des périodes électorales. Mais dans le même temps, l’objectif est aussi pédagogique, puisqu’en période électorale, il revient aux formations de l’opposition d’informer le citoyen, de le faire participer à des débats contradictoires pour l’amener à constater par lui-même que, face au discours monocolore et auto-dithyrambique du pouvoir, face à ses pratiques qui résultent de sa gestion de type patrimonial, autoritaire et solitaire, il existe d’autres discours, d’autres comportements, qui sont mus par d’autres valeurs et d’autres manières de faire de la politique. D’autre part, c’est aussi l’occasion de rappeler à chaque fois que le vote aux est un droit sacré que le citoyen doit exercer pleinement, sans interférence aucune, selon sa conscience, et dans la transparence totale.
Certes, ces propos peuvent tout à fait être perçus, aujourd’hui, comme des vœux pieux. Mais tout en sachant que les élections 2009 seront la pâle copie des élections passées (avec, de surcroît, le risque qu’elles ne suscitent plus aucun enthousiasme réel parmi les citoyens, qu’elles engendrent frustrations et ressentiment chez des personnes qui ont, jusque là, cru au changement par la voie électorale) ces propos expriment une position bien ancrée dans l’histoire de notre mouvement, où la participation aux élections est l’occasion, à la fois de susciter des débats contradictoires avec le pouvoir en place et de donner aux valeurs citoyennes, démocratiques qui sous-tendent sa démarche, un contenu fort et réel. L’essentiel, cependant, reste la nécessité pour notre pays, d’opérer le changement démocratique auquel aspire la société et qui n’a que trop tardé. La responsabilité de ce blocage incombe d’abord au pouvoir, qui fait preuve de la plus grande insouciance et de désinvolture dès lors qu’il s’agit d’impulser des changements démocratiques, préférant cultiver la confusion et l’ambigüité dans le but de perdurer. Mais elle revient aussi aux composantes de l’opposition indépendante, désunies, en mal d’imagination, impuissantes à peser sur le cours des événements, fourvoyées dans des luttes de clocher.
Amère réalité, en particulier pour cette génération des années 1980 qui avait misé pour des changements par la voie électorale et qui se trouve de plus en plus démunie face à la montée des désillusions, des déceptions, des dépits !
Larbi Chouikha
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