samedi 11 octobre 2008

A mon ami(e) qui votera Ségolène aux présidentielles de … 2009


(article à paraître dans le dernier numéro d'Attariq Al Jadid)

Les mots qui suivent ont été inspirés par une de ces discussions furtives, improvisées et, de temps en temps, intéressantes dont Facebook me donne parfois l’occasion. Dans le confort de nos chaises et sous la protection de nos écrans d’ordinateurs, le «mur» virtuel de l’un de nos camarades était l’objet de nos graffitis. Il est clair que l’espace mural qu’offre la virtualité nous permet, comme dans des temps passés, de griffonner nos slogans, nos idées et les noms de nos héros sans trop nous inquiéter du passage des services municipaux ou de l’irruption de la voiture de police.

Se permettant, dans son espace mural, le luxe de rêver d’une élection présidentielle libre et transparente en 2009, le camarade en question s’est interrogé sur le choix de vote, libre et secret, que pourrait avoir chacun d’entre nous. Pour différentes raisons, la majorité des taggeurs, qui se sont intéressés à la question auraient voté blanc, y compris le farceur et indiscipliné auteur de ces lignes. Il y en aurait aussi ceux qui, déplorant l’absence d’une alternative politique au pouvoir et de candidats sérieux et visibles, auraient consommé leur droit de vote avec une éventuelle liste Chbaya7, étant donné que «les morts», plus que les vivants, ont toujours été des participants actifs à toutes nos élections passées.

La gravité de la question n’était pas incompatible avec un zeste d’humour. Dans une configuration bien imaginaire mais fort révélatrice, Lakhdhar, l’icône virtuelle de la publicité et son slogan ravageur vantant les valeurs du partage et de la solidarité -ta9tham-, aurait pu tout emporter sur son passage, y compris les leaders d’opinion des temps présents que sont les bouillonnants et pas très sympathiques présidents de certains clubs sportifs ou leurs attaquants vedettes et le trop souriant, au point de nous faire peur, Cheikh Machfar. Dans pareille configuration, le seul qui a pu résister à la tornade verte enrobée d’un chocolat industriel de qualité moyenne était Choko, le bandit romantique du Ramadan.

Morale de l’histoire: les élections de 2009, présidentielles et encore moins législatives, la politique et la chose publique en général ne suscitent pas beaucoup d’engouement parmi nos concitoyens. La discussion que j’ai infidèlement rapportée se serait passée autrement et aurait été plus passionnée, si notre camarade avait demandé qui, de McCain ou de Obama, de Royal ou de Delanoë, avait notre préférence. Tout aurait été débattu, aurait été exposé avec l’intérêt, la préférence qu’on porte traditionnellement aux produits importés et avec l’espérance que nourrissent certains d’entre nous de manger un authentique «Big Mac double cheese», en famille, sur l’avenue Bourguiba ou les berges du Lac. Pour ce qui est des élections françaises, beaucoup de Tunisiens de ma connaissance, sans s’être réveillés tôt ou avoir interrompu leur beau week-end du début mai 2007, ont voté Royal à partir de leur écran de télévision. L’élan Ségolenien, à l’image du PS s’est un peu fissuré. Ceci n’empêchera pas les plus convaincus à ne pas rater les rediffusions sur la chaîne parlementaire et de suivre de très près la préparation du congrès de Reims. C’est la même logique, mais pour des raisons différentes et plus intéressées, qui fait que Ouled 7oumti, expression que mon français de poche n’est pas arrivé à traduire, soutiennent depuis quelques années les gouvernements de gauche de Romano Prodi. Les choix politiques répressifs de Silvio Berlusconi, en matière de lutte contre l’immigration clandestine, y sont certainement pour quelque chose.

A l’évidence, On ne discuterait pas de Ahmed Brahim ou de Maya Jribi, les candidats possibles ou éventuels de l’opposition tunisienne démocratique et indépendante lors des prochaines élections présidentielles. On abordera, encore moins, le cas des candidats des partis inféodés au pouvoir. Mais là je peux comprendre.

On pourrait admettre que le climat de peur et d'incertitude qui règne dans le pays et la répression qu’exerce le pouvoir face à toute opinion libre et discordante, les punitions exemplairement dures et dissuasives que subissent certains militants des droits de l’Homme et des libertés font que les gens évitent de regarder du côté de la chose publique. Je n’omettrai pas de signaler aussi que la surexposition médiatique dont bénéficient les partis fantoches, alliés au Pouvoir et la faiblesse des partis d’opposition démocratique (loin d’être exemplaires sur beaucoup de questions, par ailleurs, même si certains d’entre eux essayent de le devenir), décrédibilise le système partisan au regard des citoyens les plus intéressés, rend obsolète l’idée même de l’alternance et anéantit l’intérêt que pourrait avoir une élection. En définitive, «C’est tous les mêmes ! Une fois au pouvoir, ils seront pires que ceux qui sont en place. Ils ne sont pas dignes de confiance». Tout comme moi, cette réponse là, vous l’avez certainement entendue quelque part. Une anomalie appelant l’autre, les gens -sans vouloir généraliser- se recroquevillent sur des démarches rassurantes et individualistes: personnelles, ou familiales ; et comme beaucoup de nos amis, ils préfèreront évoquer, à bon escient, le côté sensationnel, «amusant» et voyeur de la chose publique dans sa forme tunisienne - faits divers, scandales, rumeurs salées-, ou discourir avec enthousiasme, l’alcool ou le dépit aidant, sur la démocratie, la laïcité ainsi que sur la répression dans le bassin minier, dans des cercles strictement privés et totalement hermétiques. Je n’oublierai pas, par ailleurs, les déçus d’un engagement politique ou estudiantin qui remonte à une lointaine jeunesse et qu’on ressort dans les grandes discussions telle une décoration qu’un ancien combattant accroche fièrement, le jour d’un grand défilé.

Je me rends compte, à force d’avoir subi les mêmes répliques, que ce je viens d’écrire ne sont que les refrains de la même chanson. Celle qu’on nous a répétée avec des arrangements et des voix différents. Celle qui nous a demandé de bien étudier pour garantir notre avenir. Celle qui fait que beaucoup d’entre nous, tout en défendant l’école publique, envoient leurs enfants étudier dans les écoles privées, dans les écoles françaises ou à l’étranger, sans perspectives de retour. Cette même chanson qui fonde l’immobilisme et les peurs qui pourraient animer bon nombre d’entre nous. Celle qui les justifie par le changement impossible, par le «manque de crédibilité des uns ou des autres», par ce pays qui change, par l’intolérance, par la crainte que certains éprouvent, sans la clamer haut et fort, de voir leur confort individuel menacé sur le court terme et par toutes ces postures lâches et profiteuses; et j’en passe et des pires… Vous connaissez certainement cette chansonnette. Il en est de même pour moi. J’en ai marre de l’entendre. Je ne l’écouterai plus. Elle n’est plus recevable dans mon esprit. Elle ne me fournit presque plus aucun élément d’explication et ne justifie pas le désintérêt de certains quant au sort de ce pauvre pays. Certaines voies, fortement exiguës, je le reconnais, demeurent possibles. Pourquoi ne pas les emprunter pour mieux les élargir?

Il n’est nullement question de faire confiance à la nature et à «son horreur du vide», quand on envisage les tsunamis de l’intolérance et les ouragans de la réaction qu’elle est en train de nous réserver. Mais son évocation reste toujours utile pour se remonter le moral en se disant juste que pour chaque combat par l’action et les rencontres auxquelles on ne s’attend pas, il y aura toujours des femmes et des hommes qui auront la force et le courage de mener le leur et que les faux-culs, les courageux, les téméraires et les c******s ont toujours existé ; et comme il l’a toujours fait, le pays continuera à produire, à la fois, de l’intelligence et de la bêtise.

Je ne généralise pas et je ne me permets pas d’être donneur de leçons ; tant je sais ce que beaucoup de nos ami(e)s, animé(e)s d’énormément de courage et de passion, sont en train d’accomplir, du cœur à l’ouvrage, en faveur de la citoyenneté dans beaucoup de terrains et ce, même en dehors de la politique. Il n’en demeure pas moins que c’est la politique et les partis qui sont les moteurs d’un changement possible, éventuel ou hypothétique.

A mon camarade, pour y revenir, j’ai suggéré d’autres questions plus directes que la sienne sur les thèmes suivants: sur le pays qu’on voudrait laisser à nos enfants, sur l’image qu’on voudrait que nos petits gardent de nous, sur l’histoire de ce pays, sur les rêves qui nous animent, sur la notion de courage, sur celle de la postérité, sur l’utilité autre que physiologique des «couilles», etc. Par rapport à toutes ces questions, et à tant d’autres, le vieux monsieur qui nous a quittés la semaine dernière a rendu la copie parfaite. Cette modeste contribution dans sa maladroite violence et sa débordante sincérité lui est affectueusement dédiée.

Anouar Ben Naoua

1 commentaire:

famille a dit…

Il y'a beaucoup de matières à débattre dans cet article. je commencerai par la phrase qui m'a le plus interpellé "Il n’en demeure pas moins que c’est la politique et les partis qui sont les moteurs d’un changement possible, éventuel ou hypothétique." C'est une affirmation pleine de bonne volonté et de bon sens; néanmoins elle induit la question fatidique : Quels partis politiques? la majorité (silencieuse) d'entre nous aimerais participer à la politique dans son sens étymologique classique en tant que participation dans la gestion des affaires de la cité, et les partis (démocratiques!) sont l'organisation moderne qui rendent cette participation possible et "non-violente", je le consens. Quelles offres de partis avons nous dans notre chère pays? commençons une brève et froide énumération : le parti au pouvoir- il a ses adhérants (pour ne pas dire militants!) et ils sont nombreux, qui par conviction (?) et qui par opportunisme, bref peu importe leurs motivations! Pour cela je me fais mien le fameux adage "que le gouvernement gouverne et que l'opposition s'oppose"...

L'opposition maintenant: la grande majorité des partis est composée par des partis "satellites" créés de toute pièces pour faire le décor démocratique, et je doute fort qu'ils ont une masse d'adhérants autres que les membres de leurs "comités centrales" qui attendent qui un poste de député et qui un poste de "sénateurs" et j'en passe...

les partis "sans visa": je doute fort que le changement non-violent auquel on aspire tous viendra du côté de cette catégorie de partis... avec beaucoup de respect pour le militantisme des progressistes d'entre-eux, puisque mon propos ici est seulement de scruter les possibilités d'une alternance démocratique.

les partis démocratiques non-satellitaires: c'est la catégorie la plus intéressante d'opposition, et à partir delà la plus décevante et pour argumenter je ne citerai que deux partis emblèmatiques :le PDP et Ettajdid.

Pour le PDP, et à travers les cercles d'amis qui s'intéressent à la chose publique et politique (sans agir ni appartenir! bref la majorité silencieuse...) on ne lui a jamais pardonné " le grand écart" -au sens gymnastique de la locution!- de 2005. Un pied à gauche et un pied à droite est une posture qui fait mal, et qui a dérouté beaucoup (est ce la majorité?) de ses sympathisants ! et la déclaration de son secrétaire général à l'époque, le charismatique Najib Chebbi, pour justifier l'acrobatie et écrite dans l'une de ses tribunes dans le journal El Maoukef que "les partis politiques n'ont plus besoin de bâtir leurs discours sur un socle idéologique" (ou qque chose du genre...) a fini par donner le coup de grâce chez ses sympathisants. il était emporté, M. Chebbi, par la vague de ceux qui ont fini par attribuer, après 89, un sens fort péjoratif au mot "idéologie".

Ettajdid maintenant: à mon sens il ne représente pas pour le moment une vraie alternative de pouvoir. son héritage communiste lui pèse lourd, et il est une constante dans l'histoire des alternances politiques que les élections se gagnent au centre... ou presque (sauf qques contre-exemples nazi ou fascistes!)... d'où la fameuse troisième voix de tony blair qu'il faudrait bien étudier et d'en dégager les forces et les faiblesses afin de bâtir un nouveau socle idéologique, sans perdre pour autant l'enseignement "philosophique" marxiste qui reste tjs d'actualité...

je dirais donc à anouar: chiche! mais quels partis ?

mourad zéraï