Il n’y a pas que la pollution de l’air, de l’eau et de la terre, notre langue aussi est polluée, et pour longtemps si on n’y prend garde.
Leaders mondiaux ! On est leaders mondiaux en matière d’impolitesse, d’incivisme, de langue dépravée, rythmée de gros mots, de mots plus gros que la bouche qui les prononce, plus lourds que le bonhomme qui ose les articuler, n’importe où, n’importe quand, devant n’importe qui. Que celui qui ne s’est jamais senti agressé, souillé par ces avalanches de grossièretés - alors qu’il est accompagné de ses enfants, ses parents, sa femme, sa fiancée, son patron, que sais-je - me jette la première pierre et m’adresse un démenti cinglant. Mon adresse mail est juste sous ma signature.
Pas besoin d’être linguiste pour voir comment fonctionne la pseudo langue qu’utilisent ces néandertaliens sortis tout droit d’un roman de Rosny Aîné. Deux grandes règles fixent le flux de leur logorrhée, deux grands principes : le gros mot ponctue ou alors le gros mot remplace, supplée. Quand il sert à marquer ce qui fait fonction de phrases chez ces attardés mentaux, il délimite le schéma prosodique de leurs borborygmes sans qu’on sache vraiment si cette ponctuation est purement gratuite ou si elle joue un rôle phonostylistique quelconque. Prenons le cas de ce monosyllabe, qui côtoie dans les dictionnaires francophones les mots zèbre et zébu, mot fameux entre tous et statistiquement prédominant dans les rues et les ruelles de Tunis ou d’ailleurs. La question est de vérifier si l’usage de ce petit mot, véritable emblème du gros mot de chez nous malgré sa taille, exprime un point de vue, un sentiment quelconque, souligne une intention, ou alors au contraire est une simple ponctuation qui signifie dans cette grammaire primitive la fin d’un énoncé. Et la réponse est évidente: pour exprimer un point de vue, quel qu’il soit, il faut un certain niveau intellectuel au moins égal ou supérieur à celui du bonobo et de l’orang-outang. Il s’agit donc, pour le cas de ces australopithèques dégénérés, d’une simple ponctuation dans une espèce de réflexe de Pavlov.
L’autre principe linguistique, c’est que le gros mot joue le rôle d’un mot vicaire, c’est-à-dire d’un mot de remplacement, comme quand, en français, on dit truc ou machin, mais voilà : en arabe dialectal tunisien on ne dit ni machin ni bidule ni chose, on dit un gros mot, choisi d’une manière aléatoire dans une liste prédéfinie, paradigme qui appauvrit inexorablement les compétences lexicales de ces bigfoots que j’ai du mal à appeler locuteurs. Si ces phacochères se contentaient de pratiquer leur sociolecte entre eux, dans un bouge infâme ou au fond d’une ruelle obscure, je n’aurais rien écrit à leur sujet, mais ces babiroussas veulent que tout le monde les entende, et goûte les rots et les miasmes qui sortent de leur cloaque.
Alors basta, cela fait au moins 40 ans que ça dure. Mais, comme pour tout le reste, on laisse faire, on baisse les bras, on se dit à quoi bon, alors que nous avons raison sur tous les plans, qu’on représente l’écrasante majorité des citoyens, des citoyens dignes, responsables, civilisés, des citoyens qui, par la simple expression de leur colère, la colère du juste, pourraient inverser la tendance. Il y a des gifles qui se perdent, je vous jure !
Zinelabidine Benaïssa
(NDLR : pour contacter l'auteur, cliquer sur son nom)
[Cet article a été publié dans Attariq Al Jadid]
1 commentaire:
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