jeudi 2 juillet 2009

Football : un professionnalisme de pacotille

Depuis quelques années, notre sport-roi est passé d’un amateurisme bidon à un professionnalisme tout aussi bidon, ne répondant à aucun des critères généralement pris en compte dans ce domaine, mais surtout plus dangereux pour la cohésion nationale.

Après moult congrès, colloques, séminaires et autres occasions de buffets garnis bien achalandés, nos qui-de-droit nous ont gratifiés d’un cahier des charges pour la pratique du professionnalisme collant tellement à nos réalités socio-économiques qu’il en est émanée une compétition dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle frise l’indigence et la médiocrité. Sans oublier le fait qu’elle semble exclure des titres et des honneurs tous les férus de foot, à part ceux de Tunis, Sousse et Sfax, villes relativement prospères et équipées, exacerbant les sentiments de laissés pour compte du reste de la république.

En fait, c’est quoi un club professionnel ? La règle voudrait que cela soit une association, bien mieux, une entreprise qui, en tant que telle, rétribue des salariés en tirant des revenus autant des spectacles qu’elle offre que de l’exploitation de son image de marque. En tant qu’entreprise, elle doit s’évertuer à équilibrer ses comptes autant que faire se peut, ou compter sur un mécénat librement consenti de la part de ses adhérents ou de personnes bien nanties et peu regardantes à la dépense. Ces adhérents, véritables actionnaires, sont les propriétaires de ces entreprises et en désignent donc les dirigeants par des votes démocratiques réguliers, hors de toutes pressions ou désignations arbitraires.

Qu’en est-il chez nous ? Force est de constater qu’il n’en est rien. D’abord, tous les clubs du pays nagent dans des déficits répétés sinon chroniques. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette tare, allant des ambitions démesurées de certains par rapport à leurs moyens et à ceux de leurs adhérents au non respect des règles élémentaires de saine gestion. Mais ces déficits sont la plupart du temps la conséquence inévitable des salaires, primes et autres avantages exorbitants octroyés à des joueurs à la petite semaine et des techniciens de la baballe. Episodiquement et furtivement (puisque cela relève du secret), nous parviennent des brides d’informations sur ce sujet. Et il y a de quoi couper le souffle ! Des milliers, voire des dizaines de milliers de dinars, mensuellement, à part les primes et le reste ! Alors que des milliers de Bac + 5 traînent dans les rues ou triment pour des salaires de misère, nos joueurs et leurs techniciens nagent dans les millions pour nous affliger de spectacles souvent médiocres. Sortis des caisses pleines de clubs florissants, on pourrait comprendre. Mais lorsque, et c’est souvent le cas, on lit que des gouverneurs de régions ont gracieusement offert, au nom des conseils régionaux, de fortes sommes pour éviter les frondes ou les mouvements d’humeur, on ne peut s’empêcher de penser que ces nobles gestes se font sur le compte de budgets sociaux ou d’infrastructure, privant les citoyens de services au profit de professionnels surpayés. Ne parlons pas des municipalités qui, annuellement, contribuent à ce cirque au détriment d’équipements et d’investissements autrement plus utiles aux communautés. Deux questions se posent : d’abord, ces gens, étant supposés gagner leur vie à travers leur profession, pourquoi la communauté les finance-t-elle avec de l’argent public ? Ensuite, si nous sommes réellement égaux devant la loi, ces gens paient-ils vraiment leurs impôts et comment fait le fisc pour démêler les magouilles que permet le secret.

L’autre tare du système est plutôt d’ordre institutionnel. Tout le monde sait que la liberté d’association est, chez nous, sous étroite surveillance. Ne dirige pas qui veut, et surtout pas la masse, donc les adhérents des clubs. C’est donc au gouverneur ou au délégué de réfléchir pour eux et de choisir un futur « élu » digne de confiance. La masse n’a qu’à entériner. Il n’est d’ailleurs pas rare que ces simulacres d’A.G se déroulent dans les locaux du parti, n’en déplaise à ceux qui n’en font pas partie. C’est ainsi que l’on vit parfois des pantalonnades dignes d’un « Karakouz », telles celles offertes, la saison passée, par deux présidents de clubs dûment choisis et imposés. Il est par ailleurs légitime de se poser la question de savoir dans quelle mesure ces « hommes d’affaires », triés sur le volet, ne réagissent-ils pas en tant que tels, faisant de « bonnes affaires » (fiscales ou autres) durant leurs mandats. Ce qui expliquerait les empressements à assumer des charges réputées lourdes.

« Faut pas jouer les riches quand on n’a pas le sou » chantait Brel. Plus trivialement, on recommande chez nous de ne pas fréquenter le souk des pétomanes lorsqu’on n’a pas d’anus. N’ayant ni les moyens matériels ni même humains de répondre aux exigences du professionnalisme tel que l’imposent ses règles de base, pourquoi ne pas revoir les choses de façon à éviter la farce actuelle, sans pour autant retomber dans l’ancienne. Nos réalités sociales et économiques ne permettent pas à la plupart d’être au niveau des quatre grands qui assument d’ailleurs difficilement leur statut. Les rancoeurs s’accumulent, les disparités grandissent. Les laissés pour compte, c'est-à-dire la majorité, ressentent de plus en plus fort des sentiments d’injustice et de maltraitance qui se transforment en comportements agressifs et en régionalisme outrancier. Il est temps que cette comédie s’arrête, que les réalités socio-économiques soient prises en compte et que l’on arrête d’institutionnaliser les écarts régionaux déjà criards. Il y va de l’intérêt supérieur de la nation et de son unité. Un bon coup de balai fiscal aurait en outre l’avantage de conforter l’égalité des Tunisiens devant la loi et de mettre fin à cette disparité salariale indécente et nocive.

Khaled Chebil

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