L’état des libertés publiques en Tunisie -en particulier la liberté de la presse et de l’information-a connu, ces derniers temps, une grave détérioration. L’information publique et privée est soumise aux directives et à la mainmise du gouvernement. La publication et la propriété des journaux et des périodiques sont soumises au pouvoir discrétionnaire du ministre de l’Intérieur. L’obtention de l’autorisation de stations radio et télévision n’est basée sur aucune condition ou critère objectif, mais est tributaire du degré de proximité du bénéficiaire du centre de décision, ce qui consacre le monopole de l’Etat sur ce secteur sensible. Au niveau des médias électroniques, rares sont les sites, blogs et publications électroniques indépendants qui n’ont pas été en butte à la fermeture, à la destruction ou au piratage –sans parler des tracasseries policières et des poursuites judiciaires contre les bloggeurs. Les différents moyens d’information indépendants et d’opposition souffrent tous de restrictions et de divers obstacles, à toutes les étapes de leur activité.
Cette situation a engendré une information unilatérale, figée et arriérée, qui ne reflète nullement la réelle diversité de notre société et de ses élites et ne correspond ni aux sacrifices consentis par la communauté nationale depuis l’indépendance ni à son besoin d’investi r dans la science et le savoir. Une telle information ne respecte pas le citoyen tunisien et ne fait aucun cas de son intelligence : elle est devenue un instrument de propagande totalitaire, ce qui a porté atteinte à la réputation de la Tunisie, classée, dans les différents rapports des organisations internationales crédibles, parmi les derniers pays dans le domaine du respect de la liberté de la presse,.
La situation s’est détériorée encore plus ces derniers mois : le pouvoir a, en effet, organisé, à la veille des élections présidentielles et législatives, un coup de force contre le Syndicat national des journalistes tunisiens, annonçant par là que les élections allaient se dérouler dans une atmosphère de fermeture et de restrictions. Simultanément, le parti au pouvoir a durci sa campagne contre ses opposants, campagne qui s’est déroulée principalement dans les médias et dont le leitmotiv était d’accuser de trahison toute voix discordante. Le citoyen tunisien a ainsi été privé de son droit à prendre connaissance des programmes et des orientations existants, dans leur multiplicité et leur diversité.
Certains journaux se sont lancés, sous le regard et dans le silence des autorités, dans une campagne sans précédent d’attaques, d’insultes et d’atteintes à l’honneur de journalistes indépendants, de militants des droits de l’homme d’opposants politiques et de personnalités indépendantes. Certains journaux ont porté le discours médiatique à un niveau inégalé de bassesse morale, en contradiction criante avec la déontologie de la presse et les valeurs de notre société. De telles pratiques ont provoqué un choc dans l’opinion publique nationale par leur incitation directe à la haine et à l’agressivité, allant jusqu’à l’appel au meurtre, dans une démarche de nature à créer la discorde parmi les citoyens.
Alors que les Tunisiens aspiraient à plus de détente et d’ouverture, les attaques contre les journalistes et les journaux ont monté d’un cran : les emprisonnements, les kidnappings, les agressions physiques et morales contre les journalistes, les poursuites contre les journaux, les saisies, les entraves à leur publication et à leur distribution se sont multipliés et les journalistes compétents ont été encore plus marginalisés dans les entreprises de presse en vue de faire taire toute voix différente.
Les signataires de cet appel :
-Convaincus qu’une information libre constitue la clé de toute réforme politique, de toute construction démocratique et de tout développement véritable.
-Persuadés qu’on ne peut asseoir le pluralisme politique et culturel et une citoyenneté réelle avec une information dirigée, unilatérale et fermée ;
-Conscients du degré de gravité atteint par la situation de la presse, de l’information et de la liberté d’opinion et d’expression en Tunisie, d’une part, et de leurs responsabilités, actuelles et futures envers leur pays, d’autre part ;
- Attachés au droit du citoyen tunisien à une information honnête et libre, qui respecte son intelligence et sa maturité, sauvegarde ses acquis et défende les valeurs de la république et de la dignité humaine afin que l’information constitue un soutien réel à la stabilité et au développement du pays ;
-Considérant que la liberté de l’information constitue, pour notre pays, une nécessité impérieuse qui ne peut plus être retardée ;
-Appellent à unifier les efforts de tous pour faire évoluer le paysage médiatique dans notre pays et le soustraire à la mainmise du pouvoir exécutif. Ils soutiennent la création d’un « Comité national de défense de la liberté d’expression et d’information », visant à présenter des propositions et des solutions de nature à instaurer une information indépendante, plurielle et libre, et ce en œuvrant pour :
. libérer les journalistes emprisonnés et mettre fin à toutes les formes de violation des droits et de restriction subies par les travailleurs du secteur de l’information,
. lever les entraves imposées aux les journaux indépendants et d’opposition,
. mettre immédiatement fin aux campagnes de dénigrement contre les journalistes, les opposants et les militants des droits de l’homme, campagnes dans lesquelles se sont spécialisés des journaux échappant à toute poursuite,
. mettre fin à l’immixtion du pouvoir dans les affaires des structures professionnelles indépendantes représentant les travailleurs du secteur et permettre au Syndicat national des journalistes tunisiens de tenir son congrès règlementaire en toute indépendance,
.réviser rapidement les lois limitant les libertés d’opinion, d’expression et de réunion, lever les entraves à la liberté de faire paraître les publications et les périodiques et mettre fin à la monopolisation des émissions radio et télé,
. créer une structure indépendante de supervision du secteur de l’information réellement représentative des journalistes et de toutes les familles politiques et de pensée.
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