mercredi 21 avril 2010

Aam Hamda El Aattel de Mohamed Salah Fliss: A la mémoire de son père, pour vaincre l’oubli!

Quand des ex-prisonniers politiques sous l’ère Bourguiba se rencontrent pour parler des années de souffrance et des privations qu’ils ont endurées dans leur tendre jeunesse, c’est d’abord l’émotion qui les étreint, et celle-ci est perceptible dans leurs propos et leurs témoignages. Avec Mohamed Salah Fliss, alias Khalifa du temps de la clandestinité militante, l’émotion est encore plus intense et plus chargée, surtout quand pour nous narrer sa vie carcérale et militante dans Al Aamel Ettounssi, il convoque - affectueusement - la mémoire de son père, Aam Hamda, docker à Bizerte.

Aam Hamda n’est ni philosophe, ni idéologue et encore moins militant, mais quand je l’observe dans sa vie de tous les jours et je l’écoute parler des événements et des problèmes contemporain avec une telle simplicité, j’apprends et je me renseigne encore plus, et je me sens davantage résolu et aguerri dans mes engagements politiques, confie t-il à la cinquantaine de présents, essentiellement des militants de sa génération et d’anciens condamnés politiques, réunis, jeudi dernier pour la séance de dédicace de son ouvrage autobiographique, à l’espace Arts Libris de notre ami Raouf Dakhlaoui.

La lecture de l’ouvrage nous fait découvrir un Mohamed Salah attendrissant, sensible aux personnes qui l’entourent, mais aussi aux choses de la vie, aux valeurs auxquelles il demeure toujours attaché, à son rapport charnel à sa ville, Bizerte…Mais c’est aussi un personnage lucide et attrayant, qui exprime, sans fard, toute sa gratitude pour des personnes pleines de bonté qu’il a côtoyées dans cet univers carcéral, comme le Dr Moncef Ben Ayed, médecin des prisonniers de Borj Erroumi, auquel il rend un vibrant hommage.

Les épreuves? Mohamed Salah en a connues et les a vécues sous toutes leurs coutures, du fait des engagements qu’il affichait courageusement et, parfois même, avec acharnement. Mais l’épreuve la plus douloureuse qu’il ait eu à subir fut celle de l’annonce du décès de son père, un certain 19 mars 1979 après-midi, par l’administration pénitentiaire! Après moult démarches et insistance, il fut autorisé à aller se recueillir devant sa dépouille, dans la maison familiale, et à assister aux obsèques, mais toujours…escorté de ses gardes!

Truffé d’anecdotes, d’histoires de vie singulières, de témoignages vivants, de récits de la vie carcérale, ce livre se donne à lire comme le scénario d’un film focalisé sur un pan de notre mémoire politique, qui demeure, cependant, encore méconnu par la quasi totalité de nos jeunes, et pour cause! Aujourd’hui, le fait même d’évoquer sur la place publique le passé de ces militants qui furent persécutés, torturés et incarcérés n’est pas du tout évident. D’abord, les conditions minimales ne sont pas réunies pour qu’un débat libre, contradictoire et serein sur les années de répression sous Bourguiba puisse se déployer partout, à l’Université, dans les médias, y compris sur les chaînes de télévisions nationales… Mais, paradoxalement, la figure même du Bourguiba répressif et autoritaire tend à être masquée par celle du chef charismatique, à l’intelligence alerte, à la vision perspicace et aux réalisations progressistes incontestables… Ensuite, il y a la manière avec laquelle des dignitaires souhaiteraient «tourner» officiellement cette page de l’histoire du pays en feignant d’occulter les leçons du passé et les responsabilités qu’elles induisent. Fort heureusement, le passé finit toujours par rattraper tout le monde, y compris ceux qui s’obstinent à vouloir l’enterrer. Et force est de constater que, depuis une année, pas moins de quatre ouvrages, écrits par des anciens de Perspectives et d’Al Aamel Ettounssi, victimes de la répression du régime de Bourguiba, ont vu le jour. En plus de celui de Mohamed Salah, citons aussi ceux de Gilbert Naccache, de Fethi Ben Hadj Yahyia, sans oublier l’ouvrage posthume de Mohamed Charfi; D’autre part, les pièces de théâtre Khamssoun et Yahyia Yaïche de Fadhel Jaïbi viennent - rafraîchir quelque peu - la mémoire de ceux qui sombrent - facilement - dans un semblant d’amnés

Un fait mérite toutefois d’être rappelé à chaque fois; la cohésion nationale, l’histoire d’un peuple, le devenir d’une nation, l’attachement à la patrie… ne peuvent se construire, se déployer, s’affirmer, évoluer harmonieusement quand un pan entier de notre histoire politique demeure relégué à «l’oubli»!.

Larbi Chouikha

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