mercredi 21 avril 2010

Le football malade… de notre société et de notre politique

Les graves débordements d’une partie des supporters de l’Espérance de Tunis pendant le match qui opposa leur équipe à celle d’Hammam-Lif et les durs affrontements qui les opposèrent ensuite aux forces de l’ordre ont suscité, légitimement, une forte émotion et ont occupé la une des médias pendant plusieurs jours. Bref, c’est le sujet de l’heure: condamnations, rappels à l’ordre, interrogations et propositions de prévention ou de remèdes se sont succédé sur les pages des journaux et à l’occasion de dossiers télévisés. Nous revenons, pour ce qui nous concerne, sur ces événements en proposant une lecture qui situe la passion exagérée des supporters dans son contexte social, qui fait le point sur le phénomène des ultras et l’inanité de son traitement sécuritaire et, enfin, sur la médiocrité de nos dirigeants sportifs.

Dépassionner les débats?

Dépassionner les débats, relativiser les enjeux, rappeler que le football n’est après tout qu’un jeu. Tout cela est sensé, sage et doit être dit. Mais, hélas! ça reste en porte-à-faux avec notre réalité sociale. L’intérêt, sinon la passion, pour le football y occupe une place exagérée, tout à fait disproportionnée. Regardez la part de ses émissions que consacre notre télé nationale à la transmission des matchs et à l’actualité du foot. Idem pour la radio et les journaux. Or, ceci n’est pas l’état normal des choses. C’est même le symptôme d’une situation malsaine, d’un état maladif de la société qui fait que, par un jeu de vases communicants, l’intérêt pour le foot ait occupé, en particulier chez nos jeunes, les places laissées vides de la lecture, de la culture ou, plus généralement, de l’implication dans la vie de la cité. Vus sous cet angle, les appels à la relativisation des enjeux apparaissent comme tardifs et inopérants. D’autant plus que le monde des supporters a vu l’apparition, ces dernières années, d’un phénomène nouveau: celui des groupes dits ultras qui a suscité certaines mesures pas très heureuses de la part des autorités.

Le phénomène ultra et son traitement maladroit

Comme leur nom l’indique, les ultras se veulent comme les supporters les plus radicaux – d’autres diront les plus fanatiques – d’un club de football. Leur moyenne d’âge est basse et ils se distinguent des autres supporters par leur manière d’encourager leur équipe: ils ont leurs propres signes distinctifs et, 90 minutes durant, ils chantent la gloire de leur club et la leur. Comme leur passion, leurs chants – repris d’ailleurs par les autres supporters – sont excessifs. Ils ont une tonalité guerrière: on y évoque souvent la guerre, la révolution, des commandos, le martyr et, logiquement, la volonté d’en découdre. Ainsi, tout en promouvant un aspect festif sur les gradins, à travers les belles chorégraphies qu’ils improvisaient, les ultras inquiétaient les autorités qui décidèrent de réagir pour juguler le phénomène.

Toutefois, on ne peut pas dire que les mesures prises par les autorités aient été fines ou adroites. Il s’agissait, pour elles, de faire que ces groupes n’existassent plus. D’abord, en leur enlevant toute visibilité. Autrement dit, en combattant leurs signes particuliers: exit leurs drapeaux, leurs maillots et leurs casquettes, l’effigie du Che étant particulièrement indésirable. Or, l’application de ces mesures s’est traduite, dans les faits, par toute une série de petites humiliations que devait endurer le supporter moyen pour entrer au stade: confiscation de drapeaux, de casquettes et, pire, de tee-shirts, obligeant parfois des jeunes à rester torse nu durant tout un match!

Ensuite, en prenant la décision, au début de cette année, de dissoudre ces groupes. Ce qui est pour le moins paradoxal, parce que ceux-ci n’ont aucune existence officielle, étant des formations spontanées au sein du public des grands clubs… Néanmoins, c’était là le signe qu’on n’allait plus les tolérer et qu’on allait les combattre par tous les moyens. Mais, au vu de ce qui s’est passé le 8 avril dernier, on est en droit de s’interroger si la traque, le harcèlement et l’interdiction de ces groupes aient été le bon choix. Les tolérer et identifier des vis-à-vis ou des relais avec cette frange du public n’aurait pas été plus judicieux que le choix de la répression tous azimuts, d’autant que la violence qu’on leur imputait était encore potentielle et ne s’était pas vraiment manifestée sur le terrain?

Par ailleurs, et comme nous le soulignions dès le début, nous pensons que, quelles que soient leurs tares, les ultras ne peuvent être tenus pour les uniques coupables des dérives de notre football. Nous sommes pour une saisie globale du phénomène de la violence. Et, à ce niveau, on ne peut occulter le triste rôle joué par les «dirigeants» de notre football dont plusieurs, hélas ! ne brillent pas par leurs qualités intellectuelles ou morales!

La médiocrité de nos dirigeants

On ne le sait peut-être pas, mais il ne se passe pas une semaine sans qu’un dirigeant de club (souvent son président) ne soit convoqué par la commission de discipline de la Fédération tunisienne de football. Au menu des errements de ces «responsables» sportifs, on trouve de tout: déclarations intempestives – propres à enflammer les esprits – mettant en doute la neutralité et la probité des instances fédérales, l’évocation de complots ourdis dans les coulisses contre les intérêts de leur club, tentatives de corruption d’adversaires, invasion de terrain et agression, souvent verbale, parfois physique, de l’arbitre ou d’un joueur adverse, etc… ça laisse songeur!

Or, à ce niveau, la responsabilité des pouvoirs publics est clairement engagée. Qui ne sait, en effet, que les présidents de clubs, ceux des grandes villes, comme ceux des villages les plus reculés, sont d’une certaine manière cooptés – sinon désignés – par les autorités régionales, le gouverneur présidant souvent les assemblées générales «électives»? Pourquoi, malgré l’existence de profils de qualité dans le monde du sport et de gens compétents dans l’entourage des clubs, le choix tombe souvent sur ceux qui, à la télé ou sur les journaux, réagissent comme des supporters moyens, justifiant les défaites par l’arbitrage, le complot ou trafics en tout genre ? Comment ne pas voir, dans ce contexte, que ce type de déclarations fait monter la tension de plusieurs crans et que les risques de dérapages sont multipliés… et qu’il suffit, souvent, d’une petite étincelle pour mettre le feu aux poudres!

On le voit, la problématique de la violence dans nos stades est complexe, et elle doit être saisie dans sa globalité. Il ne sert à rien, sous le coup de l’émotion, de s’empresser de chercher un coupable pour le désigner à la vindicte populaire et en faire un bouc émissaire. On ne ferait, ainsi, qu’esquiver les vrais problèmes et passer à côté de leur traitement. L’autorité de tutelle a du pain sur la planche : on espère que, dans sa démarche, elle s’occupera un peu plus de jeunesse que de sport, qu’elle essaie de faire en sorte que notre jeunesse s’intéresse au sport, mais aussi à plein d’autres choses, tout aussi passionnantes!

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