samedi 19 mars 2011

La révolution autrement


Il n'y a pas à tourner autour du pot, l'ambiance est révolutionnaire. C'est un moment exaltant, où tout est possible après des décennies de verrouillage politique, mais qui demande vigilance et lucidité, car tout ce qui est possible n'est pas nécessairement souhaitable.
Je fais partie des optimistes inquiets. Optimiste parce que j'ai confiance en la sagesse et la maturité des Tunisiens et Tunisiennes et en leurs capacités à accoucher ensemble d'un Etat démocratique. Je suis, en revanche, inquiet car, n'étant pas – à l'instar de beaucoup de mes concitoyens - un "révolutionnaire professionnel", je me sens sans cesse bousculé par les révolutionnaires de tout bord qui me somment de me positionner de manière radicale sur des sujets pour lesquels je n'ai d'avis que nuancés et pleins de questionnements.
Voilà qu'il faut maintenant se positionner sur un «conseil de protection de la révolution» censé réaliser la volonté du peuple. Avec le gouvernement provisoire, nous avons tout loisir de contester son action et de réagir en tant que Tunisiens qui aspirent à la démocratie et à la justice sociale ; d'ailleurs personne ne s'en prive ! Cela précisément parce que c'est un dispositif transitoire, dont la légitimité est conditionnée à sa mission et dont l'action reste encadrée par la constitution (ou ce qu'il en reste). Avec un conseil de protection de la révolution qui se veut au dessus des institutions existantes, dont la légitimité émane de sa seule posture révolutionnaire, qui pourra contester quoi que ce soit sans être taxé de contre-révolutionnaire?
En créant une institution révolutionnaire sans limite ni de mandat ni de durée, ne risque-t-on pas de tuer dans l'œuf le magnifique élan démocrate des Tunisiens? Avons-nous oublié les conséquences autoritaires des soviets suprêmes et autres conseils des gardiens de la révolution?
La question de fond qui semble créer le clivage est celle de la nature même de notre processus révolutionnaire. Personnellement, je ne me reconnais pas dans les paradigmes hérités des révolutions centralisées (soviétique, chinoise, nationaliste arabe, iranienne....), pas seulement pour des raisons idéologiques, mais surtout parce que le mouvement qui a abouti à la chute de la dictature a été un mouvement participatif, décentralisé et protéiforme, dans lequel de multiples énergies, sensibilités et intérêts se sont alliés pour aboutir à un renversement du régime, sans qu'aucune force politique ne puisse honnêtement prétendre en être ni l'inspiratrice ni l'organisatrice.
Les réflexes centralisateurs, totalisants et institutionnalisants (excusez-moi, celle-là est un peu osée!) proviennent, à mon sens, d'une culture politique qui est restée figée dans les débats des années 1970 et qui ne parvient pas encore à s'ouvrir à la radicale nouveauté des mouvements sociaux actuels, en Tunisie aujourd'hui, mais aussi en Bolivie récemment, pour ne citer que ce pays, dans la récente floraison politique sud-américaine.
La révolution est partout, portée par tous. Elle n'est pas nécessairement univoque. Déjà aujourd'hui, elle s'exprime et vit dans tous les espaces de la vie : les quartiers, les entreprises, les lycées, les facultés ; la population est vigilante, réactive, ardente dans ses débats et ses combats... et rien que pour cela, les contre-révolutionnaires, les opportunistes et les champions du retournement de veste ont déjà perdu.
Alors, de grâce, mes chers concitoyens ! Nous avons aujourd'hui la chance d'imaginer une nouvelle Tunisie dans laquelle tous et toutes ont leur part, alors osons regarder notre révolution et notre pays avec un regard neuf et ne plaquons pas dessus les vieilles recettes qui ont fait leur temps, car c'est exactement cela qu'attendent les adversaires de notre cause.

Nizar Baraket  
(Attariq Aljadid, n°219)

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