samedi 19 mars 2011

Réconcilier la gauche avec l’entreprise ?


Quand les membres du « Club de la citoyenneté » au sein du Mouvement Ettajdid avaient programmé une conférence – débat autour du thème « Entreprise et politique », ils étaient loin de se douter que les locaux d’Ettajdid allaient être « envahis » par de nombreux patrons tunisiens, grands et petits, jeunes et vieux, membres de l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprise (IACE) ou du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD), qui sont venus écouter le conférencier (Tarek Chaabouni), puis débattre de questions aussi diverses que celles de l’emploi, du développement régional, des PME, de l’entreprise et de l’administration, des relations sociales au sein de l’entreprise…  Les grands posters de Mandela, Ghandi et Hendrix qui ornent la salle des réunions et qui étaient habitués à voir plutôt défiler des syndicalistes, des chômeurs, des étudiants, des enseignants, des artistes, des intellectuels, des féministes… devaient être tout étonnés de découvrir ce nouveau groupe social.
Mais, une fois passé le moment de la surprise et de l’étonnement, il faut bien essayer de comprendre ce qui, au-delà des relations personnelles ou de l’intérêt du thème abordé, a pu être à l’origine de cette rencontre, que d’aucuns considéraient comme bien improbable, et poser la question : qu’est-ce qui a bien pu attirer des entrepreneurs dans l’antre d’un parti solidement installé à la gauche de l’échiquier politique tunisien ?
Certes, une révolution est passée par là et un vent de liberté souffle sur le pays, nos locaux ne sont plus surveillés par la police politique et un homme d’affaires qui nous rend visite ne risque plus de perdre… ses affaires. Il est évident, aussi, qu’Ettajdid bénéficie, à l’instar des autres partis sérieux de la place, d’un effet curiosité : après la disparition de la chape de plomb, tous les citoyens renouent avec la politique et ont hâte de se faire une idée sur les positions, les analyses et les programmes des uns et des autres. Néanmoins, de ces partis, Ettajdid est le seul qui incarne réellement la gauche démocratique, et l’effet curiosité ne peut dès lors tout expliquer. D’autres pistes relatives à l’image d’Ettajdid auprès de l’opinion publique doivent, me semble-t-il, être étudiées.
D’abord, Ettajdid a bien compris, depuis quelques années déjà, que la société tunisienne n’avait que faire des beaux discours et qu’elle attendait, au contraire, des réponses concrètes à ses problèmes, économiques et sociaux, notamment. Il a ainsi clairement abandonné la perspective idéologique pour évoluer vers une démarche résolument politique : « Que voulons-nous faire ? Que proposons-nous comme solutions face aux problèmes les plus urgents du pays ? ». C’est, d’ailleurs, cette posture politique qui a permis de réunir des militants qui venaient, eux, d’expériences et d’horizons intellectuels divers et d’élaborer, au congrès de 2007, un programme économique et social ambitieux. C’est également cette posture qui lui a permis d’élaborer un programme sérieux pour les présidentielles de 2009 et de présenter des propositions constructives aux Conseils supérieurs des ressources humaines, du développement, de la jeunesse, de la recherche scientifique…
Ensuite, et au moment où de « nouveaux » partis politiques se réclamant de la gauche voient le jour, véhiculant un discours archaïque, tout droit sorti des années 1970, l’approche d’Ettajdid apparaît comme éminemment moderne, en phase avec les préoccupations des citoyens et, partant, digne d’intérêt pour certains secteurs de l’opinion. Car, nul programme politique sérieux ne peut être fondé uniquement sur des principes, aussi respectables soient-ils, avec, dans le même temps, une méconnaissance de l’économie. Celle-ci nous oblige, en effet, en ces temps de mondialisation féroce, à mener une réflexion qui sache conjuguer notre combat pour l’égalité avec l’impératif de l’efficacité économique de la nation.
Cependant, de même que la gauche est invitée à faire preuve de souplesse, de réflexion et d’imagination pour être à même de penser les défis de l’économie et les problèmes de l’entreprise tunisienne, de même, les entrepreneurs tunisiens sont invités à faire leur propre inventaire et à opérer une véritable mise à niveau. Beaucoup de progrès sont à faire, en effet, dans le respect du droit du travail et du droit syndical, dans le dialogue social, dans le respect des accords signés avec les travailleurs, dans le paiement de l’impôt et le versement des cotisations sociales, etc. Et il y va de leur intérêt bien compris : l’actualité récente a bien montré que les choses se sont le mieux passées là où existaient déjà les traditions d’un véritable dialogue social. Les patrons ne peuvent également faire l’économie d’une autocritique concernant l’appui indéfectible que l’UTICA a manifesté, en leur nom, pour la dictature jusqu’à l’ultime seconde de son règne – à la différence de l’UGTT qui a dû, elle, se résoudre, bien qu’au dernier moment, à suivre ses bases militantes dans leur combat pour la liberté !
Aujourd’hui, la révolution a changé la donne. Elle nous donne l’occasion de tout remettre à plat, de discuter ensemble, sociétés civile et politique, du modèle de développement que nous voulons pour notre pays et de sa modalité d’insertion dans l’économie mondiale. Ce débat aura une importance cruciale et il faudra le mener avec sagesse et rationalité, loin de la démagogie et du populisme - pour les politiques, et loin des petits réflexes corporatistes - pour les représentants du travail et du capital.
Baccar Gherib
Attariq Aljadid, n°220

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