dimanche 22 février 2009

"Mots d'après la guerre" d'Anouar Brahem : la déchirure

C’est de sensibilité qu’il s’agit dans ce film. La sensibilité du musicien transposée au cinéma : la caméra a remplacée le luth, les touches ont servi à la place des cordes et les séquences sont autant de partitions. Anouar Brahem a entrepris un voyage dans le Liban d’après l’agression israélienne de l’été 2006. Il est parti à la rencontre de ses amis, intellectuels et artistes, pour trouver des réponses à une demande intérieure, à un besoin de clarification, bref à un désarroi. D’ailleurs n’a-t-il pas déclaré à un journal de la place : « cette idée m’est tombée dessus de façon inattendue, un peu comme cette guerre qui est tombée sur le Liban ». Le trouble d’Anouar nous a tous habité tout le long de cette guerre, nous autres intellectuels prétendument laïques et modernistes, il a meublé nos discussions, suscité quelques petites polémiques sans commune mesure avec les déchirures qui ont traversé la société libanaise entre partisans et adversaires du Hezbollah, considéré par les uns comme le dernier rempart contre les velléités belliqueuses d’Israël, décrié par les autres pour avoir entrainé le Liban dans une guerre qui n’obéît qu’à un agenda iranien.

Anouar Brahem, conscient de la complexité de la situation libanaise, n’a pas voulu ajouter de la confusion à un moment extrêmement difficile. Il s’est effacé derrière sa caméra laissant les intervenants s’exprimer en toute liberté, sans désir de les orienter dans des directions préalablement arrêtées. Ce qui nous a valu de très forts moments de vérité et d’émotions. Je n’oublierai jamais le frisson qui m’a habité en voyant Pierre Abi Saab, l’intellectuel laïque et rationnel, envahi par l’émotion, s’arrêter pendant quelques instants ; les mots bloqués au fond de sa gorge ont laissé la place aux larmes. Pierre voulait pleurer, moi aussi et toute la salle avec. On avait l’impression qu’il n’y avait plus de film, la caméra s’est arrêtée et Pierre Abi Saab est devant nous. Fort moment de cinéma que nous a offert Anouar Brahem. Ses invités étaient nus devant nous car, par sa discrétion, il les a poussés à abandonner leurs présupposés idéologiques, pas forcément favorables au Hezbollah, et à exprimer des sentiments qui sont ceux de n’importe quel libanais entrain de voir la puissante armée d’un Etat militariste détruire ce qu’il a de plus cher, sa patrie. D’ailleurs, certains critiques libanais qui ont reproché à Anouar son parti pris pro Hezbollah ont tort du fait qu’eux même ne sont pas parvenus à se débarrasser de leur parti pris hostile au Hezbollah. Leur surprise fut grande quand ils ont constaté que les témoignages faits par les intervenants ne coïncidaient pas avec leurs discours politiques habituels. C’est cela la magie du vrai cinéma. Cette magie que seul l’art peut nous procurer et qui nous rappelle la fameuse phrase d’Oscar Wilde : « la vie imite l’Art plus que l’Art n’imite la vie ».

Anouar Brahem, en s’aventurant avec succès dans l’art cinématographique, a ajouté la touche et la sensibilité du musicien à celle du cinéaste de sorte qu’en plus du cerveau nous avons besoin d’un cœur pour voir le film.

Serions-nous rentrés grâce à Anouar Brahem dans une grande époque artistique, celle qui permet au musicien de réussir dans le cinéma, au plasticien d’exceller dans le théâtre, au danseur de jouer sa comédie…. ? L’unité de l’Art a fait dire à Charles Morice, théoricien du symbolisme, que « les grandes époques artistiques disent : l’art. Les époques médiocres disent : les arts ». Mais rassurons les ennemis de l’art, nous ne sommes pas, malgré le talent d’Anouar Brahem, à l’aube d’une grande époque artistique car, pour « donner une âme à nos cœurs et des ailes à la pensée »(Platon), l’art a besoin de LIBERTE. Mais cela est une autre question.

Samir Taïeb

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