vendredi 20 février 2009

Vingt ans d'UMA. Trois questions à Ahmed Ounaïes

Attariq Aljadid : Le Traité de Marrakech a 20 ans, qu’est-ce que vous en pensez ?
Ahmed Ounaïes : Il faut saluer cette réalisation quelles qu’en soient les insuffisances. Le Traité de l’UMA a exprimé l’engagement sincère des cinq dirigeants de l’époque de créer enfin une institution commune qui réponde aux attentes des peuples et qui donne un sens aux espoirs nés du sommet de Zeralda. Ils réalisaient tous le tournant que représentait l’année 1989 dans le contexte régional et mondial. Leur volonté d’aller de l’avant l’emportait sur les inhibitions et sur les rancœurs qui clouaient encore une part de leur entourage. C’était un moment de rare convergence entre les cinq dirigeants, eux-mêmes porteurs d’une volonté profonde des peuples du Maghreb : ils ont tenu à fixer ce moment de fusion même si le traité en lui-même était loin de correspondre aux ambitions et aux exigences plus élevées de leurs peuples et qu’ils percevaient intensément en leur for intérieur. Cette date marque un grand moment de notre histoire commune. Il ne faut pas manquer de la célébrer et d’en rappeler la portée, parce que le traité de Marrakech dépasse les personnes et qu’il exprime la volonté profonde de la communauté maghrébine unie, solidaire et porteuse d’un grand rêve.

A. A. : Comment s’explique le blocage qui traîne depuis décembre 1994 ?
A. Ounaïes : C’est le volontarisme du Président Chadli Ben Jedid qui avait alors permis d’aller jusqu’au bout et de signer le traité. C’était évidemment un pari. Nous savons aujourd’hui que ce pari est perdu. Au cours de l’été 1982, Ben Jedid avait confié à un homme d’Etat tunisien : « Je ne voudrais pas passer dans l’histoire pour quelqu’un qui a bloqué l’édification du grand Maghreb. » Il a tenté, à son honneur, de forcer les résistances dès que les circonstances l’avaient permis. Tout prouve que sa bonne foi est entière et qu’à son niveau, il a réussi à faire une brèche, mais sans lendemain. Son entourage l’a rattrapé et a fini par reprendre le dessus. A mon sens, le blocage tient à un petit nombre de dirigeants algériens résolus à honorer le testament de Boumediene et à créer un 6e Etat dans le Maghreb, à tout prix, au prix d’une guerre et au prix du blocage de toute une politique régionale qui s’imposait dans l’intérêt supérieur de l’ensemble de la communauté maghrébine. Un 6e Etat indépendant et souverain dans le Maghreb n’est dans l’intérêt de personne.

A. A. : Doit-on garder l’espoir ?
A. Ounaïes : Certainement. L’Algérie a déjà accompli certaines révisions stratégiques : elle a enfin signé l’Accord d’Association avec l’Union Européenne qui signifie, entre autres, l’admission du Libre Echange : c’est un tournant dans la doctrine économique. Elle a également établi des relations positives avec l’OTAN : c’est un tournant dans la doctrine stratégique. Elle a dépassé la rhétorique idéologique qui avait dominé les années Boumediene. Il est clair qu’une rationalité politique moderne est désormais à l’œuvre dans la classe politique algérienne. Les contraintes externes, conjuguées à quelques évolutions intérieures, promettent, à moyen terme, des ajustements de convergence plus larges avec le Maroc et la Tunisie. A terme, l’évolution est inéluctable. Dans l’intervalle, il ne suffit pas de garder l’espoir, il faut changer la démarche et ouvrir le débat entre les hommes et les institutions au sein de la grande famille maghrébine : il faut parler en toute liberté des écueils qui entravent l’édification du Maghreb, surmonter les tabous et les non dits, poser les problèmes tels que nous les voyons en toute franchise. Cette démarche de franchise et de maturité n’a jamais prévalu jusqu’à présent dans nos relations intermaghrébines.

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