vendredi 20 mars 2009

Visite de Qaradhaoui en Tunisie : ni pour ni contre… inquiet, tout simplement !

Le chroniqueur d’un quotidien de la place a favorablement apprécié la polémique qui a fait rage, sur la blogosphère tunisienne, entre traditionalistes – qui se sont enthousiasmés par la visite dans nos contrées du Cheikh Qaradhaoui – et modernistes, qui l’ont déplorée. Pour lui, c’est le signe d’une bonne santé intellectuelle : la preuve qu’il existe, quelque part dans le pays, une élite avide de débats et qui s’intéresse à autre chose que le football. Tant mieux, en effet ! Mais au-delà du fait que ce n’est pas un signe de bonne santé pour les libertés dans le pays que ce débat ne soit possible que sur Internet, il est clair qu’être pour ou contre cette visite n’a pas en soi un grand intérêt. Ce qui est plus intéressant, par contre, c’est d’essayer de la mettre dans son contexte et de la situer dans une chronologie, à la suite de faits semblables, pour être à même d’en déduire un diagnostic sur le positionnement idéologique du pouvoir.

Pour ce faire, il faudra, d’abord, s’interroger pourquoi et comment ce personnage qui a par ailleurs un côté assez rigolo – il n’hésite pas à donner son avis sur des sujets a priori délicats tels que la masturbation ou la fellation – en est venu à acquérir une telle popularité et, donc, une telle importance, chez nous. C’est là que réside, à notre avis, le vrai problème : que, dans le pays des grands penseurs et politiciens réformistes, une bonne partie de la population soit accrochée aux paroles d’un «télé-évangéliste» musulman véhiculant une lecture archaïque de la religion et qu’elle essaye de régler son comportement sur ses fatwas, traduit manifestement l’échec patent des politiques éducatives et culturelles du régime. La responsabilité de ce dernier dans cette évolution est lourde.

Venons-en, à présent, au deuxième volet de l’affaire : l’invitation en elle-même, la visite et ses résultats. C’est à ce niveau, en effet, qu’on peut juger le positionnement du pouvoir par la nature et le degré de ses concessions aux courants les plus rétrogrades de la société tunisienne. Le prédicateur a été reçu en grande pompe par des autorités peu rancunières – oublieuses du procès en mécréance qu’il leur a intentées, il y a peu – et avides d’une «réhabilitation» et d’une réintégration dans le rang de l’islamité bien pensante qui soit prononcée par la bouche de ce nouveau pape islamique. Ce qui fut obtenu et relayé par tous les journaux, qui ont repris en chœur la dépêche de la TAP. Tout ça a de quoi faire sourire ! Mais si l’on rappelle que cette comédie a été jouée au moment où les Femmes Démocrates ont été privées de célébrer, dans un espace public, la Journée Internationale de la Femme et, surtout, qu’elle succède à la Radio islamique privée, à laquelle est venue s’ajouter, récemment, la Banque islamique privée – toutes deux appelées, comme par hasard, Zitouna – on ne peut s’empêcher de craindre que ce régime aux racines modernistes soit en train d’opérer lentement, mais sûrement, un virage idéologique inquiétant. La vigilance doit être de mise !

Boubaker Jridi

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