lundi 10 mai 2010

Elections municipales : misère de la politique


J’ai lu avec beaucoup d’intérêt et une certaine émotion le bel article de Faouzi Ksibi, paru dans le dernier numéro d’Attariq, racontant les difficultés de la constitution, dans sa ville de Kelibia, d’une liste citoyenne aux élections municipales et son rejet – non justifié, comme de coutume – par les autorités. Car cette petite histoire de la difficile bataille pour la constitution d’une liste qui sera, au bout du compte, rejetée, peu après sa présentation, par un anonyme et fort bureaucratique trait de plume, est emblématique. Elle révèle, d’abord, la prégnance d’une mentalité et la poursuite de pratiques tout à fait opposées au discours officiel de promotion de la démocratie et du multipartisme. Elle montre, ensuite, étant donné ces pratiques, l’extrême exiguïté du champ d’action pour une opposition politique légale et légaliste et, à cause de cette exiguïté, la position très inconfortable où se trouvent coincés d’authentiques militants patriotes et démocrates, obligés ainsi de choisir, entre continuer, malgré tout, à se battre pour le droit légitime de représenter leurs concitoyens ou cesser de «jouer le jeu». Bref, elle met au jour la misère de notre vie politique et nous somme de composer avec elle.

Ce contexte particulier fait en sorte que ces listes citoyennes qui se sont engagées dans les élections municipales sont la cible de deux discours opposés mais qui ont le même défaut de méconnaître la dure réalité du terrain. Il est bon de rappeler celle-ci pour mieux répondre à ces deux discours et ces deux faux procès. Pour le premier, qui prolifère sur les pages de Facebook, notamment, les listes citoyennes font partie du décor et, en participant dans un contexte n’offrant pas les minima pour une vraie compétition, elles ne font que cautionner une mascarade. Pour le deuxième que l’on trouve, par exemple, sur les pages d’Achourouk, le nombre très restreint de listes de l’opposition – treize, dont sept ont été rejetées – n’est que le signe de sa faiblesse politique et organisationnelle.

Ainsi, aussi bien le discours «radical» (qui stigmatise ces listes comme complices d’une mascarade) que le discours «politiquement» correct (faisant mine d’ignorer les difficultés extrêmes du terrain) font fausse route: les citoyens qui ont réussi à constituer des listes citoyennes ont réalisé une véritable gageure. Ils ont réussi non seulement à s’imposer dans un contexte de démission et de scepticisme quasi-généralisés, mais surtout à résister aux multiples pressions, maniant carotte et bâton, visant la défection d’un de leurs colistiers et, partant, la chute de leur liste. Que celle-ci ait été finalement acceptée ou rejetée, ils méritent le respect de tous les démocrates de ce pays. À l’heure où beaucoup veillent à ne pas s’exposer, leur engagement pour leur ville, leur militantisme et leur courage sont à saluer et nul n’a le droit de les traiter comme les complices d’une «mise en scène destinée à flouer les Tunisiens».

Reste le constat de la faiblesse de l’opposition dont semblent se désoler certains commentateurs politiques… Elle est incontestable : seulement treize listes présentées sur un total de 264 municipalités. C’est peu, trop peu! Mais ce constat gagne à être relativisé en le rapportant au contexte politique évoqué ci-dessus. Considéré sous cet aspect, ce chiffre n’est plus ridicule. Loin de là! Dans treize villes, de Kelibia à Jbeniana, en passant par Hammamet, Gtar et Omm Larayes, des militants authentiques ont réussi à sensibiliser des citoyens pas encore totalement blasés et à les convaincre du bien fondé de se rassembler sous la bannière de l’opposition et de porter pour leur ville un projet alternatif à ceux qu’elle a subis jusque-là… Car, visiblement, ces listes gênent au plus haut point et l’idéal, pour certains, aurait peut-être été qu’il n’y en eût aucune! À croire que les listes de Khlidia, Ksiba ou Mateur représentaient un danger pour l’unité nationale! Bref, un diagnostic objectif de la santé de l’opposition en Tunisie ne peut faire abstraction des effets de cette formidable machine à désengager, démobiliser et dépolitiser, qui est à l’œuvre, inlassablement. 

Plus profondément, le contexte manifestement de plus en plus hostile à l’exercice par l’opposition de ses activités naturelles, dont la participation aux échéances électives, pose de manière lancinante la question des modalités d’action du Mouvement Ettajdid et de ses alliés sur la scène politique en général et leur positionnement par rapports aux élections à venir en particulier. Certes, le choix de la participation militante a été politiquement juste, aussi bien aux élections de 2004 que celles de 2009, et leur a permis notamment de réaliser une progression notable et de gagner en crédibilité et en visibilité. Certes, le boycott n’a de sens que s’il a un effet, que s’il est ressenti. Ce qui est, on le voit, hautement improbable dans un contexte où le désintérêt pour la chose publique et la démission sont l’état normal de la société. Et il risque ainsi d’être moins une action politique qu’une pétition de principe. Mais force est de constater que les Municipales de 2010 sont en train de confirmer le rétrécissement de la marge de manœuvre pour les listes opposantes, déjà constaté lors des Législatives de 2009. Dès lors, il est impératif de prendre en compte cette donne et, tout en militant pour un assainissement du climat politique et une réforme du code électoral, de repenser nos modalités d’action et de participation à la vie politique de notre pays. 

Tout en souhaitant bon courage aux six listes citoyennes rescapées, à nous de prendre conscience de la misère de la situation politique actuelle, de savoir composer avec elle et de faire en sorte de ne pas ressembler à ceux que plaint l’adage tunisien parce qu’ils «ont accepté un malheur qui n’a, hélas! pas voulu d’eux»!

Baccar Gherib

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