La crise qui couve à l’intérieur du Syndicat National des Journalistes Tunisiens à la suite de la publication du rapport 2009 sur l’état de la liberté d’expression en Tunisie, est le signe patent de l’existence d’un épais paradoxe qui perdure depuis l’aube de l’indépendance et qui prend plus de relief aujourd’hui. En effet, le sentiment qui imprègne bon nombre de journalistes et qui les pousse à vouloir s’affranchir de la mainmise pesante du pouvoir politique bute à chaque fois sur la volonté étatique à contrer toute tentative d’autonomisation de la profession. Ce paradoxe est toujours latent, et il se cristallise davantage quand les revendications démocratiques exprimées par une partie de la profession deviennent plus évidentes. En effet, des signes révélateurs de ces dernières années montrent que les journalistes sont plus que décidés à délimiter leur territoire professionnel en défendant leurs spécificités et en dénonçant les interférences nombreuses venues de l’extérieur de leur profession.
Déjà, et à trois reprises, des journalistes du quotidien gouvernemental La Presse avaient tenu à rendre publique une liste de griefs à l’adresse de leur direction, en mettant au grand jour les brimades, les conditions déplorables, les abus de pouvoir… qu’ils subissent dans leur travail, au quotidien. Deux ans auparavant, la métamorphose de l’AJT en SNJT avait créé de grands espoirs parmi les journalistes et plusieurs indices laissaient déjà transparaître cette ferme volonté à vouloir s’affranchir de toute tutelle et surtout, à réhabiliter cette profession laissée pour compte. Le 4 mai dernier, au lendemain de la journée mondiale de la liberté de la presse, le SNJT rendait public son rapport sur l’état de la liberté d’expression dans le pays, et celui-ci se distingue par sa consistance, son exhaustivité et, surtout, par son absence de complaisance.
Et nous apprenons de même que dans des entreprises privées, des journalistes sont résolus aussi à faire entendre leur voix face à des propriétaires souvent peu scrupuleux à l’égard de la déontologie et des principes professionnels. Rapports, pétitions, déclarations circulent sur Internet et mettent en avant la volonté des journalistes à vouloir émerger comme des acteurs à part entière dans un champ médiatique où l’emprise du pouvoir et l’appât du gain facile priment souvent. A cet effet, ils recourent à tous les moyens possibles pour faire entendre leurs doléances et pour crier leur soif d’autonomie et de liberté.
Face à la prise de conscience de la profession, certains responsables zélés cherchent à semer la discorde parmi les journalistes : des membres démissionnent du bureau du SNJT avec l’intention de provoquer un congrès électif avant l’heure, des campagnes de presse sont orchestrées contre des responsables du syndicat, des contre rapports sont rédigés, mais pour convaincre qui ?… Que de réactions totalement anachroniques et incongrues qui nous rappellent bien d’autres situations… et qui montrent, que les vieux réflexes autoritaires ont encore la vie dure chez nous ! Mais, dans ce bras de fer qui oppose les journalistes aux responsables et patrons d’un autre temps, l’attitude des militants des droits de l’homme et ceux de l’opposition confondue doit être sans faille. Notre solidarité unanime et sans appel en faveur du bureau actuel du SNJT doit être totale car le combat des journalistes pour leur liberté et la dignité de la profession est aussi celui pour la démocratisation du pays et pour la reconnaissance de nos droits citoyens.
En effet, cette volonté d’autonomie est à la fois le résultat d’une maturation de la profession et dans le même temps, le miroir des signes précurseurs d’un changement substantiel qui commence à germer dans le monde des médias et qui peut stimuler une dynamique démocratique dans le pays. D’ailleurs, faut-il rappeler que dans toutes les transitions démocratiques récentes observées en Europe, en Afrique et ailleurs, le processus a d’abord été enclenché par des journalistes aguerris et déterminés qui s’étaient élevés pour dénoncer leurs censeurs et les détracteurs de la liberté en vue de réhabiliter l’autonomie et la crédibilité de la profession. Par conséquent, et à quelques mois d’une campagne électorale qui s’annonce déjà morose et insipide pour beaucoup d’entre nous, ce mouvement qui agite le monde des journalistes traduit, en fait, les espoirs de l’opposition démocratique à faire de la liberté d’expression et d’information le véritable combat de l’heure. A tous ces journalistes, audacieux et aguerris, le combat que vous menez peut frayer le chemin pour la démocratie, et les échéances électorales prochaines peuvent être l’occasion pour vous de faire en sorte que les principes d’impartialité, d’objectivité, de rigueur, d’honnêteté,… ne soient pas de vains mots et que les temps du psittacisme et des journalistes de communiqués sont bien révolus !
Larbi Chouikha
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